Rentrée du Tribunal de Commerce de Lille Métropole : «L'année qui s'ouvre ne sera pas de tout repos»

C'est devant un auditoire très restreint – restrictions sanitaires oblige – que le président Eric Feldmann a prononcé son discours d'audience solennelle de rentrée du Tribunal de Commerce de Lille Métropole. Si la vague de défaillances tant redoutée ne s'est pas encore faite ressentir, le président reste prudent, face aux vagues successives que le pays est en train de vivre.


Au micro, le président du Tribunal de Commerce de Lille Métropole, Eric Feldmann.
Au micro, le président du Tribunal de Commerce de Lille Métropole, Eric Feldmann.

La Procureure de la République Carole Etienne n'aura pour l'instant, pas encore connu d'audience solennelle non masquée. Nommée depuis bientôt deux ans, elle a profité de l'audience du 10 janvier dernier pour rappeler que «la modernisation de la justice consulaire doit se poursuivre» et que le chef d'entreprise doit davantage avoir à sa connaissance les différentes procédures qui lui sont proposées. «Si le tsunami de défaillances n'a pas eu lieu, l'interrogation d'une possible vague reste en suspens.»

Carole Etienne a également pu rappeler que le droit des difficultés des entreprises a de nouveau été réformé en octobre 2021. S'il n'y a pas de véritable bouleversement, le législateur veut garantir la lisibilité du droit avec notamment le renfort du pouvoir du président du Tribunal de Commerce mais aussi l'accélération de la procédure amiable. «La véritable modernité que nous attendons, c'est l'aboutissement de la politique générale, en associant les professions des chiffres et du droit, les tribunaux de commerce, etc.» a réitéré la Procureure de la République.

Le soutien aux entreprises pour préserver l'économie

Œuvrer de justice tout en restant déterminés et résilients face à une situation qui ne semble plus finir : «l'année 2021 a retrouvé, par rapport à 2020, un retour à la normale en termes de fonctionnement mais pas en termes de nombre d'affaires à régler» a rappelé, en préambule, le président Feldmann.

Alors que le nombre annuel normal de défaillances d'entreprises en France tourne autour de 46 à 50 000, ce chiffre est tombé à 30 000 en 2020, grâce aux mesures exceptionnelles prises par l'Etat. C'est ainsi que l'on a dénombré 393 ouvertures de liquidations judiciaires et liquidations judiciaires simplifiées (-43,62% par rapport à 2019), 96 ouvertures de redressement judiciaire (-71,08%) et 17 ouverture de sauvegarde (+41,67%).

Des chiffres «sans précédent» tant au Tribunal de Commerce de Lille Métropole que dans tout le pays. Des baisses historiques que l'on peut notamment attribuer à l'arrêt, depuis le 15 mars 2020, des assignations URSSAF et leur non-reprise tout au long de 2021 mais aussi au dispositif gouvernemental de soutien ainsi qu'aux textes législateurs facilitateurs.

Reste encore bien des secteurs à la peine, à l'image des hôtels-cafés-restaurants, des traiteurs, de l'automobile qui souffre des pénuries de matières premières ou encore du bâtiment qui érode ses marges et diminue sa rentabilité. Sans compter les difficultés de recrutement. «L'année qui s'ouvre ne sera pas de tout repos. Les troupes de procédures collectives sont prêtes à relever le défi, quel qu'il soit, quel que soit le moment où les volumes prendront de l'ampleur.»

Des dossiers «sensibles et difficiles» en 2021

Bon nombre d'entreprises ont été frappées par la crise sanitaire en 2021 et les juges consulaires ont eu beaucoup de dossiers sur la table. C'est par exemple le cas d'Office Dépôt en redressement judiciaire, de Devianne et de Dervyn qui connaissent des difficultés des plans de suivi, mais aussi en toute fin d'année, de l'entrée en procédure collective et en période d'observation de la société Demeyere à Pérenchies.

En ouverture et en suivi de procédures collectives, près de 8 000 salariés ont été concernés (5 000 pour Flunch – qui a connu une sortie heureuse en procédure de sauvegarde – et 1 500 pour Office Dépôt, dont 650 sauvegardés par un plan de cession). Restent donc 1 500 emplois à prendre en compte par rapport aux 76 mandats ad-hoc et conciliations ouverts, concernant au total 26 040 salariés. «75% d'entre eux n'entendront même pas parlé des difficultés de leurs entreprises car elles auront été sauvées. C'est une remise en question salutaire.»

Fait marquant de cette année 2021 : «une majorité de petites et moyennes entreprises ont recours à ces procédures. C'est une véritable satisfaction pour les Présidents des tribunaux de commerce qui sans relâche, prennent leur bâton de pèlerin pour prodiguer la bonne parole» se félicite Eric Feldmann. La cellule de détection-prévention du tribunal a d'ailleurs vu son activité croître de 12% en 2021.

En ce qui concerne le traitement du contentieux et des modes amiables des règlements des différends, les cinq chambres de contentieux général comprenant 30 des 65 juges du TCLM «n'ont pas chômé» selon le président : elles ont rendu 1 070 jugements (contre 1 011 en 2020), en légère augmentation de 5,84%. Les assignations en contentieux au fond ont en 2021, également augmenté : 849 contre 955 en 2021. L'augmentation se limite à 5,03% pour les référés.

A l'aube d'une année qui débute et à la veille d'échéances électorales cruciales, Eric Feldmann reste prudent et se garde bien d'établir des pronostics sur l'activité économique. Une année 2022 en «régime sec» qui mettra encore à rude épreuve les nerfs des dirigeants d'entreprise.

Nomination de dix nouveaux juges

56 juges sur 65 ont été renouvelés dont seulement quatre femmes, déplore Eric Feldmann. Pour cette année cependant, un profil atypique rejoint les juges consulaires en la personne de Pavina Kelly LUANGRATH. A la tête avec son frère de deux restaurants Soho Urban Food – un au Stade Pierre Mauroy depuis 2013, un autre dans le centre ville de Lille en 2016 – cette jeune femme dynamique gère en temps normal, une cinquantaine de salariés. Crise oblige, ce nombre est descendu à 30.

A 36 ans, elle fait donc son entrée dans le groupe des nouveaux juges consulaires, avec envie et détermination : «Je suis passionnée par le juridique et le commerce. En tant que chef d'entreprise, on a tous connu des phases descendantes et on essaie de maintenir le maximum d'emplois. Le Tribunal de Commerce, c'est beaucoup de prévention et le chef d'entreprise ne s'en rend pas compte.»

Les autres juges installés ce samedi 10 janvier : Thierry LE CHAPOIS, Yvan MASURE, Jean-Noël ORVAL, Grégory SNAUWAERT, Robert TERRAS, Olivier THOMAS, Amaury TOULEMONDE, Christian VERGEZ-PASCAL et Riquier WILLOQUET.

Les dix nouveaux juges. Crédit photo Victor Mahieu