Qui pour maintenir le fil ?

La filière dentellière des Hauts-de-France, établie sur ses deux sites traditionnels de Calais et de Caudry, vit peut-être ses dernières heures. Le 18 juillet dernier, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a repoussé au 12 septembre l’examen des liquidations judiciaires du fabricant Desseilles et du teinturier Color Biotech. Également en redressement judiciaire, Noyon connaîtra son sort à la même date.

  Chez les dentelliers de la place de Calais, la production de dentelle Leavers est au plus bas.
Chez les dentelliers de la place de Calais, la production de dentelle Leavers est au plus bas.

Un mariage ou une série d’enterrements ? C’est la question que se posent les pouvoirs publics autour des tables de discussion entre dentelliers de Calais et de Caudry, services de l’Etat, techniciens du Conseil régional et élus des territoires concernés. À l’heure où le marché de la filière s’est contracté de moitié sur la dernière décennie, les dernières entreprises de fabrication de dentelles Leavers et Jacquard pour la lingerie, le prêt-à-porter et la robe sont en redressement ou liquidation judiciaire (les fabricants Noyon-Darquer et Desseilles, le teinturier Color Biotech, l’écailleur Delmotte…). Les autres sont sous perfusion grâce à leurs actionnaires et quittent Calais pour Caudry (Codentel, Riechers & Marescot du groupe Holesco). D’autres encore surnagent difficilement, comme le clippeur Salperwik. Tous sont dans l’expectative d’une rentrée qui peut s’avérer apocalyptique. Au salon Interfilière des 5 au 7 juillet derniers, les dentelles sont rares. La tendance, c’est le maillot de bain ; on note une conférence sur les tendances de la lingerie… en russe. Les clients des dentelliers n’arborent pas ou peu de dentelles Leavers. «Les clientes finales regardent les prix. Elle ne font plus la différence entre une dentelle ou une broderie. Alors, entre un tricotage et un tissage…» explique une acheteuse de corvette. On compte très peu de lingers cette année au salon, un boycott dû à l’organisation des espaces. L’Asie est partout. Tien Hai, Takeda, Sakae Lace, principaux concurrents des Calaisiens et des Caudrésiens, exposent des dentelles tissées ou tricotées qui ont gravi un seuil en termes de qualité et à des prix quatre à cinq fois moins cher… Les derniers calaisiens sont là (le stand de Noyon ne désemplit pas ; l’un de ses actionnaires – l’indien Mas – n’est pas loin) tandis que peu de caudrésiens sont présents (Mery, Maison Lévêque, Codentel). Dans les allées, les discussions sur la filière vont bon train : «Si la production descend à un niveau trop bas, ce sont nos fournisseurs qui arrêteront de nous servir et comment produire sans fil ?» s’interroge un Caudrésien. Côté clients, on s’apprête à faire sans : «On a toujours travaillé sur de la très haute qualité, explique Olivier Piquet, directeur général de Lise Charmel. La finesse du Leavers sur certains produits fait vraiment la différence. Est-ce perceptible par la cliente ? Pas forcément. La filière doit évoluer, se réinventer comme nous-mêmes.»

Le stand du dentellier Noyon-Darquer au salon Interfilière de Paris le 8 juillet dernier.

Quelle
entente Calais-Caudry ?

À Calais, Arras, Caudry, Paris, les discussions vont bon train depuis trois semaines pour trouver des solutions. La Région et le ministère des Finances cherchent des repreneurs potentiels en France et en Europe. Un industriel du luxe est évoqué. Les dentelliers Noyon, Desseilles et le teinturier Color Biotech sont-ils prêts à fusionner en une seule entité et sur un seul site, avec une réduction très conséquente des effectifs ? L’actionnaire chinois de Desseilles ne montre aucune velléité à poursuivre l’activité et attend la liquidation. Noyon, actionnaire minoritaire de Color Biotech avec les caudrésiens Bracq, Carpentier et Machu, est plongé dans son second plan social et des relations actionnariales compliquées. Les actionnaires caudrésiens de Color Biotech préparent leur plan B à Caudry. Dans cet écheveau, les pouvoirs publics semblent impuissants : «Il n’y aura pas d’argent sans solution viable», indique le cabinet de Xavier Bertrand.

Faire
moins avec mieux ?

Or, sans argent, pas de «porteur», pas (encore) de repreneur, «et surtout pas de commandes» appuie Michel Machart, dirigeant de MM textiles et ancien cadre chez Desseilles et Noyon : «Le problème principal réside dans le marché. Les clients ont, à peu de chose près, la même qualité en Asie avec des prix divisés par trois ou quatre !» Monter encore en gamme avec des métiers à fins points (Calais et Caudry sont les seuls au monde à en détenir), retrouver le chemin des savoir-faire en très haut de gamme avec d’autres matières, faire moins mais mieux ? La Région devra se pencher sur le volet formation pour renouer le fil de la transmission d’un savoir-faire industriel bicentenaire. Ou accepter la fin probable d’une industrie…

Les salariés de Desseilles au tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer le 18 juillet dernier.

La dentelle en Hauts-de-France 

Six fabricants de dentelle demeurent à Calais aujourd’hui : Noyon et Boot sur le site des Salines, Desseilles, Storme, Codentel et Riechers & Marescot (du groupe caudrésien Holesco). Quelques sous-traitants de la filière demeurent encore : le teinturier Color Biotech et l’écailleur Hurtrel (du groupe caudrésien Holesco). À Caudry, sept dentelliers sont toujours debout : Sophie Hallette, MD (du groupe Holesco), Mery, Laude, Solstiss, Bracq, Beauvillain-Davoine. Holesco dispose également d’une teinturerie (La Caudrésienne) et d’un clippeur (Lace Clipping). En tout, l’activité de ce secteur ne dépasse pas 60 millions d’euros. Moins de 800 salariés forment le reste de la filière.