Entreprises
Quelles perspectives socio-économiques pour l'artisanat de proximité et son écosystème ?
Combien sont-ils d’artisans en Grand Est ? En Moselle ? Quelle est leur situation économique ? Leurs potentialités d'emplois ? Leurs perspectives ? L’Outil de Prévision de l’Artisanat du Grand Est, piloté par la CMA, en partenariat avec la région Grand Est, livre un descriptif complet à l’heure de l’entrée imminente dans une année 2023 qui ne sera pas, à coup sûr, un long fleuve tranquille.
La CMA, la région Grand Est et l’Observatoire Régional de l’Emploi et de la Formation (OREF) ont édité une note de conjoncture portant sur le premier semestre 2022, riche d’enseignements. Dans la sphère artisanale, on recense dans le périmètre régional 133 500 établissements, dont 41 % de micro-entreprises. 46 % de ces entités ont moins de cinq ans d’existence. En Moselle sont comptabilisés 25 102 établissements. Sous la loupe du secteur d'activité, la répartition est la suivante : bâtiment (37 %), services (37 %), fabrication (15 %) et alimentation (11 %). Quant à l’âge des dirigeants, il est homogène : une moitié à moins de 46 ans, l’autre moitié plus.
Une situation économique gris clair, gris foncé
Dans un climat socio-économique aux lourdes incertitudes et de crises à répétition, le ressenti des artisans locaux est un bon indicateur. Cette économie de proximité est souvent le pouls de la tendance actuelle et esquisse celle à venir. Début 2022, le ressenti des chefs d’entreprise restait semblable au premier semestre 2021. Sur le dernier exercice clos, le constat des entreprises quant à l’évolution de leur chiffre d’affaires se partage presque équitablement entre hausse, stabilité et baisse. Les entreprises de l’alimentation sont toutefois proportionnellement davantage à relever une détérioration de leur chiffre d’affaires (40 %) qu’une progression (37 %). L’effet inverse s’observe dans le bâtiment : 40 % des dirigeants notent un chiffre d’affaires en hausse (23 % en baisse). Parmi les 32 % d’entreprises signalant une dégradation de leur trésorerie, la baisse de chiffre d’affaires, liée pour partie à la crise sanitaire, apparaît comme une des premières raisons. La hausse des coûts des matières premières est également souvent mentionnée pour expliquer les tensions sur le niveau de trésorerie. En termes de prévisions, avec seulement 14 % anticipant une baisse, l’évolution à venir de l’activité dans les 12 prochains mois semble assez favorable pour les entreprises artisanales de la région. Les prévisions des dirigeants de la fabrication et de l’alimentation laissent imaginer une conjoncture plus favorable encore pour ces deux activités.
La question récurrente de la pénurie de main-d’œuvre
Au premier semestre 2022, 37 % des entreprises artisanales envisagent de développer leur activité, une proportion similaire à celle observée en 2021. Les aspects les plus cités de ce futur développement concerneraient de nouvelles actions commerciales et de communication, des investissements (principalement productif), de l’innovation commerciale et la création d’une nouvelle activité. On le sait, dans de nombreux secteurs du champ artisanal, la pénurie de main-d’œuvre est réelle et préoccupante. Pour plus de la moitié des entreprises artisanales qui ont embauché au cours des douze derniers mois, il s’agissait de créer de nouveaux postes. 43 % des entreprises employeuses ont réalisé des recrutements alors que moins de 2 % de celles n’ayant pas de salarié ont recruté au cours des derniers mois. Si la forte proportion d’auto-entreprises, peu compatible avec l’embauche d’un salarié, explique en partie ce chiffre, les craintes et difficultés des dirigeants à passer le «cap» du recrutement du premier collaborateur restent avérées. Pour 70 % des recrutements, les nouvelles recrues avaient au mieux un diplôme de niveau CAP/BEP. Les difficultés de recrutement ont concerné plus de la moitié des entreprises artisanales, du fait principalement d’un manque de candidats. Les difficultés de recrutement sont davantage signalées par les entreprises du bâtiment et des services (55 %). En matière de prévisions, les entreprises déjà employeuses sont nettement plus nombreuses à anticiper des embauches : 45 % contre 7 % pour celles n’ayant aucun salarié. Les projets de recrutements sont proportionnellement plus importants dans les activités de bâtiment et d’alimentation, aussi bien pour celles qui ont déjà des salariés que pour celles qui n’en ont pas encore.
L'apprentissage, pas si systématique
En matière artisanale, la question de l’apprentissage est un élément clé. Les excellents chiffres nationaux, régionaux, comme mosellans, quant à l’alternance sont positifs et témoignent d’une dynamique certaine qui ne retombe pas. Attention, toutefois, à ne pas enjoliver le tableau. La réalité de l’apprentissage n’est pas uniforme. Il faut être conscient que les incitations financières jouent un rôle important dans la signature de contrats. Car, au demeurant, une entreprise embauche un apprenti quand elle a un besoin, comme d’ailleurs pour un salarié. La proportion d’entreprises artisanales régionales ayant des apprentis varie de 27 % dans l’alimentation à 7 % dans la fabrication (13 % dans le bâtiment et 9 % dans les services) et de 1 % pour les entreprises sans aucun salarié à 62 % pour les entreprises employant plus de 10 salariés (29 % pour les structures ayant entre 1 et 10 salariés). 70 % des entreprises qui disposent d’apprentis en ont un seul et 85 % les forment dans un métier technique. À l’issue de la formation, 67 % des entreprises envisagent de les recruter. Au sein des activités de fabrication, cette part atteint 82 % et descend à 41 % dans l’alimentation (74 % dans le bâtiment et 67 % dans les services). En termes de prévisions, ce sont 25 % des entreprises du bâtiment qui envisagent de former de nouveaux apprentis au sein de leur structure, en lien pour partie avec les difficultés de recrutements très prégnantes dans cette activité.
Formation : contraste en les besoins des dirigeants et des salariés
Enfin, dernier, point étudié, essentiel, celui de la formation. Là, début 2022, 48 % des dirigeants étaient prêts à accueillir au sein de leur établissement au moins un type de public (étudiants, apprentis,…) pour une période de formation. Ce sont dans les activités de bâtiment et de l ’alimentation que cette proportion était la plus importante (respectivement 56 % et 63 %). Il sera intéressant de la mesurer en forme de bilan confirmé ou non en fin d’année. Quelle que soit l’activité, les formations techniques sont les plus demandées, notamment dans le bâtiment où elles représentent près de la moitié des formations. Dans l’alimentation, le développement commercial a également un poids important (29 %). Dans la fabrication, les formations autour du numérique occupent une place importante (28 %). Dans les services, hors formations techniques, trois domaines se distinguent : numérique (16 %), gestion administrative (14 %) et développement commercial (13 %). Les bilans de compétences, VAE, développement durable, ressources humaines et commande publique sont par ailleurs plébiscitées par les chefs d’entreprise. On remarque dans les données établies des différences notables entre les aspirations des salariés et celles de leurs dirigeants, lesquels, bien sûr, doivent trouver les formations les plus appropriées au développement de l'entreprise. On le voit, cette observation à grande échelle dresse un fidèle de la réalité de l’artisanat de nos territoires. L’enquête réalisée sur le premier semestre doit aujourd’hui être resituée dans les évolutions survenues depuis ces dernières semaines, crise énergétique en tête, avec son corollaire de hausse des prix des énergies et ce risque prégnant de coupures durant cet hiver.
Du côté de la transmission et de la reprise d’entreprises
Le dirigeant de près d’une entreprise artisanale régionale du Grand Est sur dix envisage de la céder. En écho à la pyramide des âges des dirigeants (24 % des dirigeants ont 55 ans et plus), le motif principal est un départ à la retraite. Pour plus de la moitié des cas, la cession est envisagée à très court terme (51 % dans les 2 ans), alors même que plus de 2/3 des dirigeants n’identifient pas encore de repreneur. La piste familiale reste, néanmoins, la piste privilégiée pour la transmission-reprise des entreprises artisanales. Celle du salarié de l’entreprise ne s’impose pas comme alternative (19 %). En l’absence de solution, le risque de cessation d’activités de ces entreprises menace directement la diversité artisanale sur les territoires, mais aussi le maintien des savoir-faire et de l’emploi. Les enjeux d’anticipation, donc d’identification et d’accompagnement des potentiels cédants n’en sont que renforcés. À la question clé, «avez-vous déjà une piste de repreneur ?», la réponse est à 68 % «non.»