Prévention des risques RSE : quelle place pour l’avocat auprès des entreprises ?
Face à l’inflation réglementaire et législative en matière de prévention des risques d’atteinte à l’environnement et aux droits humains, les avocats ont un rôle central à jouer auprès de toutes les entreprises, et notamment les PME.
En matière de prévention des risques liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), le rôle de l’avocat est « fondamental et naturel, notamment auprès des entreprises », a déclaré Marion Couffignal, avocate au barreau de Paris et ancienne responsable de la Commission Droit et entreprises du Conseil national des barreaux (CNB). C’était au cours d’une matinée d’échanges organisée par l’institution représentative des avocats, à l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, le 5 juin dernier.
La question de la place de l’avocat en matière de prévention des risques RSE se pose actuellement dans un contexte bien particulier. On assiste, en effet, au développement de tout un corpus de normes – issues de directives et règlements européens – visant à rendre la RSE contraignante pour les entreprises, en les obligeant à déployer des dispositifs de prévention des risques sociaux et environnementaux. L’idée est donc de passer d’une démarche volontaire – et parfois un peu cosmétique – à l’obligation d’identifier et de prévenir les risques RSE.
Toutes les entreprises sont concernées, y compris les PME et ETI
Or, si les plus grandes entreprises sont les premières visées, les autres le sont aussi, par ricochet. Les grandes entreprises assujetties à ces nouvelles obligations étant tenues de maîtriser les risques sur toute leur chaîne de valeurs, elles ont tendance à répercuter ces mêmes obligations à leurs partenaires et cocontractants. Aussi, si le rôle des avocats est fondamental auprès des grandes entreprises, il l’est également auprès « des PME et ETI qui sont indirectement concernées, par le biais du ruissellement contractuel, notamment », a expliqué l’avocate. « Face à cette inflation législative, le rôle des avocats est de rendre toutes ces normes accessibles aux petites et moyennes entreprises. »
Directrice juridique en charge des risques, de la compliance et des droits humains de Nestlé en France, Lydia Meziani, a pointé le danger que peut représenter ses « cascades contractuelles » en matière de RSE. « Cela ne doit pas conduire les grandes entreprises à faire porter leurs obligations et leur responsabilité sur le plus petit de la chaîne de valeur, c’est là qu’est le danger pour nos PME », a-t-elle déclaré. « Nos PME sont véritablement asphyxiées par les demandes des grands groupes qui exigent qu’elles répondent à des chartes, des questionnaires, etc. Notre responsabilité [en tant que grandes entreprises], c’est de veiller à ne pas trop en demander. »
La plus-value des spécialistes du droit de l’environnement et du travail
« Jusqu’à présent, les questions de compliance et de reporting RSE étaient essentiellement l’apanage des cabinets d’affaires », a relevé Antoine Clerc, avocat au barreau de Lyon, spécialisé en droit de l’environnement et en droit public. Or, « je veux souligner l’intérêt pour les avocats environnementalistes ou travaillistes de s’impliquer sur ces questions car ils ont évidemment une plus-value à apporter sur des questions qui nécessitent parfois une expertise très technique et quasiment scientifique en matière environnementale, ou très spécifique en matière sociale. Je pense qu’il faut les inviter à s’intéresser de près à ces questions. » Et de souligner que « la comptabilité extra-financière nécessite de maîtriser un certain nombre de méthodologies et d’indicateurs. C’est très technique mais c’est indispensable pour traiter au mieux ces enjeux, avec la plus grande granularité possible. »
« Informons nos clients, aidons-les à identifier leurs risques et accompagnons-les à mettre en place des solutions pour atténuer les risques RSE », a repris l’avocate Marion Couffignal. Et ce, en mettant en avant tous les atouts que peut représenter cette mise en conformité pour les entreprises. « La conformité RSE, c’est un avantage concurrentiel aux yeux des clients, et c’est quelque chose sur lequel l’entreprise va pouvoir communiquer. »
L’avocat auditeur de durabilité, une nouvelle mission très particulière
En France, la transposition de la directive sur le reporting extra-financier (Corporate sustainability reporting directive, ou CSRD, applicable depuis le 1er janvier 2024) offre la possibilité aux avocats d’être opérateur tiers indépendant (OTI) en matière d’informations de durabilité. Il s’agit de réaliser les audits (contrôle et certification) des rapports de durabilité que les entreprises vont désormais devoir publier – dès 2025 pour les plus grandes entreprises européennes ou installées en Europe ; au fil des années suivantes pour un nombre de plus en plus important d’entreprises. Une disposition transitoire prévoit que cette faculté de devenir auditeur de durabilité est ouverte aux avocats à l’issue d’une formation de 90 heures (clause dite de grand père). Après cette période transitoire, le parcours de formation exigée des avocats sera plus contraignant.
Tout en soulignant « la légitimité de l’avocat » à exercer cette nouvelle mission car « l’audit de durabilité implique un audit juridique », Marion Couffignal a appelé les avocats à une certaine vigilance, car « cette activité particulière s’exerce dans un cadre déontologique spécifique ». L’avocat auditeur de durabilité est en effet soumis à l’autorité du bâtonnier et à celle de la Haute Autorité de l’audit. Par ailleurs, les règles inhérentes au conflit d’intérêts font qu’il n’est pas possible de proposer cet audit aux clients du cabinet – on ne peut pas être conseil et auditeur d’une même entreprise.