Pourquoi l'investissement des entreprises françaises est-il peu productif ?

Les entreprises françaises investissent plus que la moyenne européenne, et pourtant, les bénéfices économiques ne sont pas au rendez-vous. Un récent rapport analyse la nature de ces investissements et bat en brèche quelques idées reçues, comme le poids des contraintes réglementaires.

 L’industrie allemande présente, en 2016, un nombre de robots installés pour 10 000 employés 2,3 fois supérieur à celui de l’industrie française. © stockddvideo
L’industrie allemande présente, en 2016, un nombre de robots installés pour 10 000 employés 2,3 fois supérieur à celui de l’industrie française. © stockddvideo

Les entreprises françaises investissent plus que la moyenne européenne, et pourtant les bénéfices économiques ne sont pas au rendez-vous. Un récent rapport  analyse la nature de ces investissements et bat en brèche quelques idées reçues, comme le poids des contraintes réglementaires.

Le paradoxe est lourd de conséquences : les entreprises françaises investissent en moyenne plus que leurs homologues européennes sans que cela produise les résultats économiques que l’on pourrait  escompter. La Fabrique de l’industrie, laboratoire d’idées, et France stratégie, organisme d’études et de prospective, d’évaluation des politiques publiques et de propositions, placé auprès du Premier ministre, ont rendu récemment publique une étude portant sur la nature des investissements des entreprises en Europe, de 1995 à nos jours. Premier constat, «toutes formes d’actifs confondues, on observe un investissement  des industries manufacturières – et plus largement de l’ensemble des entreprises – plus élevé en France que dans les autres pays européens, à l’exception de la Suède». En effet, en France, le secteur manufacturier a mobilisé en faveur de l’investissement l’équivalent de 25,7% de sa valeur ajoutée en 2016, contre 24,1% en Italie, 21% en Espagne, 20,5% aux Pays-Bas, 19% en Allemagne et 17,6% au Royaume-Uni. Outre le fait d’être plus élevé, l’investissement des entreprises françaises présente une autre spécificité, celle d’être particulièrement tourné vers les actifs immatériels.
Ainsi, depuis 1995, le taux d’investissement en logiciels et bases de données des industriels français est compris entre 4,5 et 6% de la valeur ajoutée alors que celui des autres pays européens  ne dépasse pas 3%. Partant, les entreprises françaises investissent aussi de manière importante dans  la R&D, en particulier dans le secteur manufacturier. Et même s’il est moins important, l’écart avec les autres pays demeure : le taux d’investissement en recherche et développement s’élève à 10,7%  en France en 2016, nettement au-dessus de l’Allemagne (8,4%) et d’autres pays européens, comme l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni. Seule exception, la Suède.

Concevoir en France, produire
ailleurs ?

En fait, le niveau français d’investissement dans l’immatériel, presque 8 points de valeur ajoutée au-dessus de celui de l’Allemagne, pourrait refléter un choix stratégique des entreprises, d’après les analystes de la Fabrique de l’industrie : «Les entreprises localiseraient alors plus volontiers leurs activités de production à l’étranger, alors que les activités de conception seraient conservées en France.» Un autre constat de l’étude semble corroborer cette hypothèse : les  entreprises industrielles françaises investissent un peu moins dans les machines et équipements que  leurs homologues européennes, sur la période  1995-2015. Plus encore, ces dépenses d’investissement ont diminué de près de 20% entre les périodes 2003-2006 et 2012-2015, alors qu’elles ont augmenté de 19% en Allemagne. Au terme de cette dynamique, en 2015 l’écart de taux d’investissement est de 1,5 point de valeur ajoutée au profit des entreprises allemandes. «Il reste à savoir dans quelle mesure ce défaut d’investissement dans les machines et équipements pourrait expliquer la perte de compétitivité de l’industrie française», mettent en garde les analystes. De manière plus affinée, l’étude constate que le moindre investissement français dans l’appareil de production ne concerne pas les technologies de l’information et de la communication. Dans ce domaine, les efforts d’investissement sont relativement stables et comparables à ceux des autres pays européens.

Le taux de robotisation ne
dit pas tout

L’étude bat en brèche quelques idées communément admises en matière d’investissements. En particulier, celles concernant le taux de robotisation, différent selon les pays. Il reflète surtout la composition sectorielle des industries nationales, d’après la Fabrique de l’industrie. Ainsi, l’industrie allemande présente, en 2016, un nombre de robots installés pour 10 000 employés 2,3 fois supérieur à celui de l’industrie française. Mais cela reflète surtout le poids des industries automobile et électrique en Allemagne. En effet, pour le seul secteur automobile, le taux de robotisation est même légèrement supérieur en France (1 150 robots pour 10 000 salariés) qu’en Allemagne (1 131).

Par ailleurs, les secteurs manufacturiers en Italie et en Espagne ont des taux de robotisation similaires (respectivement 150 et 160 robots pour 10 000 salariés) alors que leur taux d’investissement en machines et équipements est très différent (15,1% de la valeur ajoutée en Italie et 4,9% en Espagne, en 2015). Bref, «il faut donc se garder de voir dans ce taux de robotisation un marqueur fiable du niveau d’équipement de notre industrie», met en garde l’étude. Celle-ci va également à l’encontre de l’idée selon laquelle le peu d’effets macroéconomiques du niveau élevé d’investissement des entreprises françaises serait lié à une part importante de l’investissement dans l’immobilier, en raison des prix du foncier. Dans les faits, «l’investissement dit productif, incluant les machines, équipements et les actifs immatériels, représente 91,5% des dépenses d’investissement du secteur manufacturier français en 2015. (…)  L’investissement immobilier ne représente qu’une faible part des investissements industriels, comparable à celle observée en Italie, et relativement stable sur vingt ans», constate l’étude.

Les contraintes
réglementaires ont bon dos

Autre idée reçue mise à mal par l’étude, celle du poids des investissements liés à la mise en conformité réglementaire : il serait particulièrement élevé pour les entreprises françaises et expliquerait de ce fait le surplus d’investissement par rapport à leurs homologues européennes. Sur ce point, la Fabrique de l’industrie se focalise sur le secteur de la chimie, l’un de ceux où s’appliquent les contraintes réglementaires les plus importantes, en se basant sur deux études de l’Union des industries chimiques. Selon ces dernières, 7 à 10% de l’effort d’investissement des entreprises de ce secteur sont destinés à la protection de l’environnement et la prévention des risques spécifiquement liées à la réglementation française. Cela représente un peu moins de la moitié du supplément d’investissement dans ce secteur en France par rapport à l’Allemagne. Bref, «les efforts de mise en conformité liés à la réglementation française ne sauraient donc expliquer qu’une part limitée du supplément d’investissement du secteur manufacturier en France», conclut l’étude.

En mesurant  le caractère limité de l’impact des
contraintes réglementaires ou de l’immobilier sur l’investissement, l’étude
écarte ces pistes comme explications majeures de la faiblesse de l’efficacité
de l’investissement des entreprises. Mais le phénomène  reste encore largement à décrypter.