Paul, une aventure mondiale née à Lille

Nous avons rencontré, en son fief de Marcq-en-Baroeul, Maxime Holder, directeur général du groupe éponyme, connu notamment pour ses boulangeries Paul, présentes dans le monde entier. Il nous relate l'histoire d'une entreprise familiale née à Lille il y a cinq générations. 

Maxime Holder, directeur général du groupe Holder. © Lena Heleta
Maxime Holder, directeur général du groupe Holder. © Lena Heleta

La famille Holder, ce sont cinq générations de boulangers. Pouvez-vous revenir sur l'histoire familiale ?

MH. C'est une belle histoire. À la première génération, ils étaient des boulangers itinérants, auxquels les villageois confiaient leur farine pour qu'ils leur fassent du pain. Et qui se sont fixés dans une première boulangerie, à Croix, reprise ensuite par la deuxième génération. Troisième génération : ma grand-mère Suzanne épouse Julien Holder, lui aussi boulanger. Ensemble, ils ont acheté une première boulangerie à Lille du côté de Wazemmes. Courte pause à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, où mon grand-père s'est essayé au négoce en vins car la boulangerie était trop difficile. Cela n'a pas fonctionné. Alors avec les économies qu'il lui restait, il a racheté la boulangerie de la famille Paul, place de Strasbourg à Lille, et en a gardé le nom. Mon grand-père est décédé alors que mon père Francis n'avait que 17 ans. Il a aussitôt pris la relève. C'était une transmission assez classique quoique prématurée. Sauf que Francis Holder a rapidement eu des ambitions de déploiement.

Francis Holder a été le premier boulanger-artisan à se développer sur tout le territoire, puis à l'international. En quoi a-t-il été visionnaire dans les années 1970 ?


Il baignait dans la culture entrepreneuriale du Nord, une région dans laquelle, à l'image du textile, il fallait se développer. Il a commencé à livrer la famille Mulliez en pain pour leur premier supermarché Auchan. Et puis, il avait une vraie vision de la qualité produit authentique, à un moment où les Français avaient une appétence pour le pain blanc. La plupart des boulangers suivaient cette tendance du pain blanc, mais mon père l'a prise à contre-courant en refaisant du pain à l'ancienne. Il a été le premier à rendre le fournil visible des clients, à faire des petits pains spécifiquement pour les sandwiches, à normer un concept de boulangerie notamment avec les fameuses façades noires. En fait, ce sont toutes ces petites idées très intuitives qui ont fini par former le concept. Il a également été le premier à imaginer que, chez un boulanger, on devrait pouvoir s'asseoir pour se restaurer. Totalement passionné par la qualité du produit, il a ainsi réinventé son métier. 

Et surtout, en parallèle, il n'a jamais considéré la grande distribution comme une ennemie, contrairement à la plupart des artisans boulangers de l’époque. Lui a accepté d'accompagner le développement des centres commerciaux et des galeries commerçantes. Ce qui fait que Paul s’est vite retrouvé dans toute la France. Francis a ainsi, en effet, été le premier artisan boulanger à s'être déployé au national.

Pouvez-vous présenter ce qui est, désormais, le groupe Holder ?


On a en fait une double culture : artisanale et industrielle. Le retail et la méthode artisanale en magasins d’une part. Et le BtoB, avec un outil industriel d’autre part. On a donc des process très manuels, et d'autres beaucoup plus automatisés. Par exemple, notre ligne de viennoiseries qui fabrique 35 000 croissants à l'heure. Nous exportons aussi ce modèle. D’'un côté nous avons des fournils avec des boulangers locaux qui fabriquent le pain avec de la farine française importée. Et pour certains produits plus complexes, pour la pâtisserie et la viennoiserie par exemple, nous pouvons les livrer de France. Car former et garantir une même qualité de chausson à la pomme Boskoop, d’anglaise à l'abricot, de croissants avec un certain taux de beurre, c'était plus compliqué dans autant de pays différents.

Vous vous destiniez plutôt à une carrière de haut fonctionnaire. Mais vous avez rejoint l'aventure, en tant que gérant du magasin de Bagnolet (93) en 1998, jusqu'à devenir directeur général du groupe l'an dernier. Qu'est-ce qui vous a décidé et vous anime encore aujourd'hui ?


J'ai en effet fait du droit et sciences Po Paris pour être haut fonctionnaire. J'ai eu la chance de faire l'armée. Ensuite, il y a eu une pression familiale assez… «forte» pour rejoindre le groupe. Donc j'ai fait mes apprentissages pendant un an. Je suis allé me former à l'Institut national de la pâtisserie. J'ai vécu une année formidable, j'ai fait des stages chez Lenôtre, chez Fauchon. J’ai fait mon tour de France, y compris du pain bio dans des fermes… C'était génial. Mais je pensais toujours qu'il était trop tôt pour rejoindre le groupe. Je voulais vivre mes propres expériences. Donc j'ai travaillé dans le conseil, chez Arthur Andersen. Cela a duré trois ans puis… j’ai cédé à la pression familiale ! J’étais prêt. 

Mon père tient beaucoup à cette transmission du savoir-faire tel que nous l’avions connu depuis quatre générations. Mes parents travaillaient ensemble et souhaitaient que leurs enfants les rejoignent. Mon frère a été absorbé immédiatement à la sortie de ses études dans le groupe. Pour ma part, cela aura pris trois ans et pour ma soeur, dix. Nous avons tous été happés par l'énergie, la volonté et -quelque part- l'amour que l'on ressentait les uns pour les autres. 

Et au-delà de la famille, ce sont les gens qui travaillent dans l'entreprise qui m’ont fait rester. Je trouve que c'est un métier de passionnés. Pour se lever la nuit et préparer de beaux et bons produits, il faut être totalement passionné. J'ai rencontré des boulangers, des pâtissiers mais aussi dans les métiers supports, toutes les cultures et formations. Quand vous regardez nos magasins, c'est un véritable concentré de la société française et de ses enjeux. On a ainsi rapidement travaillé sur une charte de la diversité, sur l'égalité femmes-hommes. C'est cela qui m'a plu, et également le côté bleu-blanc-rouge, qui consistait à servir mon pays en développant l'outil économique, en France et à l'international.

Vous avez été nommé président de CCI International Hauts-de-France, qu'est-ce que cela représente pour vous ?

La CCI, c'est très intéressant parce qu'elle a pour finalité d'accompagner les entreprises de la région dans leurs connexions internationales. Nous avons à la fois l’ambition d’attirer les investisseurs étrangers et d’aider nos entreprises à exporter. Il ne faut pas oublier que nous sommes la quatrième région d'export en France. De nombreuses entreprises de notre région ont, à mon avis, un potentiel à exporter et j'ai envie de contribuer à ce qu'on appelle la Team France export. C'est quelque chose qui m'emballe et je crois que j'ai un peu de crédit pour l'avoir fait avec ma propre entreprise.

Vous avez enregistré une croissance de près de 10% en 2024, pouvez-vous faire un point d'étape sur votre activité ?


Il faut faire un petit retour en arrière. En 2020-2021, avec le covid, il y a eu un effondrement de notre activité économique, ce qui a occasionné le sacrifice de Ladurée. Cela a été un vrai déchirement pour nous, mais nous avions besoin de recapitaliser pour faire face à des enjeux de remboursements. Et permettre à Paul et Ladurée de rebondir, chacun de leur côté. 

Chez Paul, nous avions décidé de rester ouverts pendant la crise sanitaire. Donc l'activité a repris dès que les gens ont recommencé à fréquenter les commerces. Nous avons ainsi retrouvé assez rapidement notre niveau d'activité de 2019, puis avons renoué avec la progression, avec en 2023 une fréquentation positive. 

En revanche, dans un contexte très inflationniste, la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous… même si vous reprenez du chiffre d'affaires. Depuis 2022, avec la guerre en Ukraine puis d’autres crises, beaucoup de produits ont augmenté et il y a une tension indéniable sur le pouvoir d'achat. Donc vous ne pouvez pas augmenter vos prix en proportion de ceux des matières premières. C’est une situation complexe et nous connaissons tous dans ce secteur d’activité une problématique de détérioration de la rentabilité à un moment où la plupart des entreprises ont pris un Prêt garanti par l'État (PGE)… Double effet pour les entreprises : un tassement de la rentabilité et une pression de la dette qui est importante. C’est le paradoxe du moment : commercialement, l'activité se porte bien mais, économiquement, les choses sont plus tendues depuis quelques années.

Paul est né à Lille, et 860 de vos collaborateurs officient dans les Hauts-de-France. Est-ce votre région de cœur ?

Nous sommes originaires de Lille et fiers de l’être. On a même des photos de Lille et des affiches Paul est né à Lille ! dans nos magasins du bout du monde. Et en plus d'être une base de cœur, la région est aussi notre base économique. Nous disposons de trois sites de production dans la région et notre siège est à Marcq-en-Baroeul. Nous sommes attachés au Nord, et les valeurs des entreprises de la région, nous essayons de les porter à l'international également.

Vous réalisez un peu plus de la moitié de votre chiffre d'affaires à l'international. Vous êtes présents dans 54 pays et dites souvent que la maison n'aurait pas connu ce succès si elle n'était pas française. La clé de votre réussite, c'est l'art de vivre à la française ?

Je dis souvent que dans notre métier, être français est une chance énorme. Car la France est vue comme le pays du monde -avec nos amis italiens-, comme l'un des pays où l'on mange le mieux, à la fois en termes de qualité gustative et d’équilibre nutritionnel. C’est fabuleux de bénéficier de cette marque France. Nous sommes un pays touristique dont la clientèle du monde entier rêve ou a gardé de ses voyages une image de qualité et de plaisir. On arrive donc avec cette réputation de qualité et c'est une grande chance. Les grands chefs étoilés ont ouvert le chemin. Nous, on arrive sur un segment différent, mais qui plaît et fonctionne.

Vous avez été précurseur en développant en 2000 le café à emporter à Londres. Désormais, c'est le produit Paul le plus vendu dans le monde et vous déployez en parallèle vos propres coffee shops : Paul, le café

Voici ce qui s'est passé. En 2000, à Londres où je venais d’ouvrir notre premier magasin, on me demande un café latte et je sers un café au lait à la française. Mon client me dit alors : «Vous savez faire du pain c’est bien, mais si vous voulez continuer votre activité ici, je vous conseille vivement d'apprendre à faire un café latte». J'ai été un peu piqué au vif et ai recruté aussitôt une collaboratrice pour faire une carte de cafés qui corresponde au marché britannique (flat white, etc). On a acquis cette culture outre-Manche, à tel point que la vente de café au Royaume-Uni pèse de l'ordre de 20% de nos ventes ! 

On a développé depuis toutes ces années une expertise. Des coffee shops il y en avait, mais ce que l'on appelle des Bakery Cafés -je vais dans une boulangerie pour acheter du café-, c'est quelque chose qui est très présent dans les pays anglo-saxons et que j'ai eu envie de développer à la française. L'idée n'est pas de faire toutes sortes de cafés dans une diversité que je ne suivrai jamais, mais de proposer une petite gamme de qualité, avec nos baristas, et de la proposer avec une offre alimentaire qu'à mon avis seuls des boulangers sont capables de proposer. On a lancé Paul, le café il y a quatre ans, et désormais il y en a 70 dans plus de 20 pays ! En France, nous approchons les vingt unités, notamment sur des sites de transport mais aussi en centre-ville désormais.

Quels sont les autres grands projets du groupe ?


On a un projet important de renouvellement du concept en France. Il est primordial de ne jamais perdre pied sur son territoire. Nous rénovons et changeons progressivement l'univers des magasins. Et nous sortons plus de 60 nouveaux produits par an. Bien entendu, en parallèle, nous allons continuer notre déploiement international.

Vous avez changé le statut de la société pour devenir entreprise à mission. En quoi cela était-il important pour vous ?

Je me suis beaucoup interrogé sur notre responsabilité, car nous avons vocation à nourrir les hommes et les femmes. C'est pourquoi nous nous sommes engagés il y a des années dans des projets de RSE, que l'on a finalisés en devenant l'an dernier entreprise à mission. Toutes les entreprises doivent réfléchir à leur impact. Nous avons été parmi les premiers à signer la charte Nutrition-Santé. J'ai envie de nourrir nos clients avec des produits de qualité, ce sera toujours notre ambition. C'est la seule chose qui nous fera tenir, nous les acteurs et entreprises alimentaires. Notre véritable challenge est de déployer la qualité en changeant d’échelle. J'entends les avis positifs ou négatifs sur toute entreprise qui se déploie de façon massive. Si nous le faisons, si nous voulons accompagner nos clients là où ils vont, cela doit être avec la même qualité gustative et nutritionnelle. 

Au niveau environnemental, nous suivons toutes les réglementations et souvent les anticipons. Nous avons par exemple été précurseurs sur la non-utilisation des sacs en plastique. On lutte contre le gaspillage, on développe l'offre végétale, nous n'utilisons aucune huile de palme. 

Nous nous sommes aussi engagés contre les violences faites aux femmes… Ces engagements, c'est ce qui m'anime aujourd’hui. Bien sûr une entreprise doit être pérenne, mais la question est de savoir ce qu'elle fait de l'argent qu'elle gagne.

Que répondez-vous à la rumeur selon laquelle le groupe s'apprête à ouvrir une part de son capital ?


On est la cinquième génération, mon frère et ma soeur ne travaillent plus directement pour le groupe et aujourd'hui, ils ont plein de projets. Nous sommes entrepreneurs dans l’âme ! Ils sont venus nous voir en nous demandant s'il était envisageable de céder quelques-unes de leurs parts pour financer leurs propres projets. Donc j'ai deux options : utiliser le cash du groupe pour financer ses rachats et rester ainsi une entreprise familiale. Ou alors nous pouvons faire entrer quelqu'un à nos côtés qui viendrait changer notre gouvernance. Un associé apporterait éventuellement un nouveau regard… mais la famille restera aux commandes !

La relève Holder est-elle prête ? Ou se dirige-t-elle vers d'autres aventures ?


Auparavant, il était écrit que quoi qu'il arrive, on entrerait dans l'entreprise familiale. Nous avons désormais un regard différent et une règle simple : ce n’est pas un sujet avant l'âge de 30 ans ! On n'ouvrira la piste qu'à partir du moment où nos enfants auront démontré qu'ils étaient capables de se débrouiller seuls et de créer leur propre chemin avant de, s'ils le souhaitent, s'inscrire dans le chemin familial. L'aîné de la sixième génération a 28 ans, on a encore un peu de temps…

Paul, le Café. © Lena Heleta

Dans le laboratoire Paul, à Marcq-en-Baroeul. © Lena Heleta
Dans le laboratoire Paul, à Marcq-en-Baroeul. © Lena Heleta

Questions bonus 

Une personnalité inspirante ? La judokate Clarisse Agbegnenou, pour sa dimension sacrificielle.

Un lieu favori ? Lille. Parce que j'y ai été élevé. Mais j'aime aussi l'énergie de Londres, où j'ai longtemps vécu.

Un conseil à un jeune dirigeant ? Croire en son propre chemin? 

Zoom sur Paul

1889 : naissance de Paul 

Présent dans 54 pays

12 000 salariés sous enseigne, y compris franchises et International

954 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023

830 établissements, dont 430 à l'international et 70 «Paul, le café» (20 pays)

61 nouvelles adresses dans le monde depuis un an

L'ambition d'ouvrir 100 nouveaux magasins par an, dont les deux tiers à l’international

23 magasins dans le Nord et le Pas-de-Calais

860 collaborateurs dans les Hauts-de-France

Le siège de Paul, à Marcq-en-Baroeul. © Lena Heleta