Association 60 000 Rebonds

Patrick Drion : «il faut changer le regard sur l’échec entrepreneurial»

À la tête aujourd’hui de 5V Consulting, spécialisée dans la stratégie et le management, comme directeur associé, Patrick Drion a connu la solitude du chef d’entreprise face à la liquidation de sa société et le regard des autres. Depuis décembre dernier, l’entrepreneur messin a créé une antenne en Lorraine de l’association 60 000 rebonds. Créée en 2012 par le Lyonnais Philippe Rambaud et reconnue d’intérêt général en 2016, elle a pour but d’accompagner les chefs d’entreprise touchés par le dépôt de bilan vers un nouveau projet professionnel. Objectif affiché : changer le regard sur l’échec entrepreneurial. Un Club des Entreprises du Rebond pourrait voir le jour dans la région à la fin de l’année ou début d’année prochaine. Entretien.

Patrick Drion, chef d’entreprise messin, a créé l’antenne lorraine de 60 000 Rebonds en décembre dernier.
Patrick Drion, chef d’entreprise messin, a créé l’antenne lorraine de 60 000 Rebonds en décembre dernier.

Pourquoi avoir décidé de créer une antenne de l’association 60 000 Rebonds en Lorraine ?

J’ai connu l’expérience de la liquidation judiciaire en 2018 et je me suis demandé pourquoi il n’y avait rien dans la région au niveau associatif pour épauler les chefs d’entreprise dans leur accompagnement post-liquidation. J’ai alors découvert l’association 60 000 Rebonds qui a été créée à Lyon en 2012 par le chef d’entreprise lyonnais Philippe Rambaud. Une antenne est déjà présente dans la région Grand Est à Strasbourg mais rien n’était présent en Lorraine. J’évolue en Moselle et dans l’agglomération messine et un de mes associés, Thierry Leduc, se charge de Nancy et de ses environs.

Quel est l’essence même de 60 000 Rebonds ?

La liquidation d’une entreprise entraîne un traumatisme financier, professionnel et personnel pour son dirigeant. Entre problèmes financiers, sentiment d’isolement, stigmatisation sociale et difficultés à reprendre confiance en soi professionnellement, il n’est pas facile de rebondir pour les entrepreneurs. Le problème est que rien ou presque n’existe pour les accompagner dans ce rebond. On voit aujourd’hui que les défaillances d’entreprises, avec la situation que nous connaissons, vont être très importantes. Les chiffres des défaillances aujourd’hui, en baisse de 40 %, sont totalement artificiels. En moyenne, il y a 60 000 liquidations par an en France, les choses risquent de devenir beaucoup plus délicates. Ces liquidations sont autant de potentiels rebonds, qu’il faut accompagner.

Comment fonctionnez-vous ?

Nous nous basons sur des parrains chefs d’entreprise bénévoles et un écosystème de professionnels que nous avons grâce à nos différents réseaux. Nous mettons tout en œuvre pour aider le chef d’entreprise à redécouvrir ses talents et rebondir sur un nouveau projet professionnel, que cela soit dans l’univers entrepreneurial ou comme salarié. Un entrepreneur sur deux que nous accompagnons repart vers l’entrepreneuriat. La première chose à faire est déjà de convaincre le chef d’entreprise de venir vers nous, et c’est loin d’être facile. Face à l’adversité, le chef d’entreprise a du mal à prendre conscience de ses difficultés. Ce n’est pas dans sa nature, il pense que cela peut toujours s’améliorer. Les différentes chambres de prévention des difficultés d’entreprises des tribunaux de commerce le savent bien, les dirigeants poussent leurs portes quand il est déjà trop tard. Nous, nous intervenons quand la liquidation est effective. Oser parler de son échec est la première chose à faire avec, notamment, d’autres personnes ayant vécu la même chose. Ce n’est pas une fatalité. Le problème est que la culture de l’échec est loin d’être acceptée. Il faut aujourd’hui changer de regard sur l’échec entrepreneurial.

Quel est le parcours que vous proposez dans votre accompagnement ?

Le chef d’entreprise qui vient nous voir passe tout d’abord devant un comité d’agrément, histoire de valider et confirmer son expérience, en somme nous devons voir si nous n’avons pas à faire à un voyou. L’accompagnement débute d’abord par une prise en main par un coach professionnel bénévole. Il travaille sur les possibilités à envisager le rebond du chef d’entreprise. Nous ne rentrons pas dans le domaine des soins psychologiques. Nous travaillons d’ailleurs en lien avec l’association Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë) et aiguillons les personnes si besoin. Des réunions (aujourd’hui réalisées en visio) avec d’autres «entrepreneurs en rebond» comme nous les appelons sont organisées pour évoquer leurs problématiques et surtout échanger pour combattre l’isolement. Un parrain est aujourd’hui choisi pour accompagner le chef d’entreprise en quête de rebond.

Quel est le profil de ces parrains ?

Ils doivent être en activité, ce qui est indispensable pour être légitime et être dans un domaine en phase avec les aspirations de la personne qui souhaite rebondir. Ce duo ne serait rien sans nos différents experts, en caution bancaire ou encore des avocats par exemple, qui permettent d’offrir un panel de compétences pour accompagner au mieux le rebond.

Beaucoup annoncent un nombre important de défaillances d’entreprises à venir, comment l’association va-t-elle faire face ?

Il faut anticiper cette vague de défaillances. Plus nous mettrons en œuvre les compétences de nos différents réseaux issus des diverses strates de l’écosystème entrepreneurial, plus nous pourrons accompagner les personnes dans leur rebond. En Lorraine, nous souhaitons, pour la fin de l’année ou début 2022, mettre en place un Club des Entreprises du Rebond. Un genre de mécénat de la part d’entreprises en activité pouvant abattre ainsi la carte de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). La liquidation d’une entreprise n’est pas une fatalité, il est temps de faire bouger les lignes.


60 000 Rebonds : à la loupe
Créée en 2012 par Philippe Rambaud et reconnue d’intérêt général en 2016, l’Association 60 000 Rebonds a pour mission de faire sortir de l’isolement et d’accompagner vers un nouveau projet professionnel des entrepreneurs ayant liquidé leur entreprise. Son engagement sociétal se traduit par des actions de fond pour faire changer le regard stigmatisant de notre société sur l’échec. Elle a tissé un réseau étendu de représentations territoriales et noué ainsi des partenariats opérationnels avec les acteurs des écosystèmes privés et publics économiques, entrepreneuriaux et judiciaires. Elle est aujourd’hui présente dans une trentaine de villes.