Passage de témoin
Après une superbe saison anniversaire pour les 40 ans de la phalange musicale créée et dirigée par Jean-Claude Casadesus, l’orchestre national de Lille devrait vivre une nouvelle saison au moins aussi passionnante avec le passage de témoin, en douceur, de son chef d’orchestre emblématique à son successeur, le très prometteur Alexandre Bloch. Tour d’horizon d’une riche programmation.
L’émotion devrait être au rendez-vous lorsque Jean-Claude Casadesus passera le relais au nouveau directeur musical, le jeune et talentueux Alexandre Bloch, lors des concerts des 29 et 30 septembre. “Je passerai la baguette après un petit mot à l’assistance à Alexandre Bloch. Quand l’orchestre avait 10 ans, Alexandre n’était pas né, ça fait un drôle d’effet, il pourrait être mon petit-fils !”, a plaisanté Casadesus, 80 ans, au sujet de son jeune successeur à la direction musicale, âgé de 30 ans, lors de la conférence de presse dévoilant la nouvelle saison. Avec l’ouverture de Benvenuto Cellini d’Hector Berlioz, le chef fondateur de l’ONL nous emmènera donc sur les traces d’un orfèvre du cinquecento florentin, avant de laisser la baguette à son successeur. Lequel nous donnera tout d’abord sa vision de InFALL, l’oeuvre cosmologique d’Hèctor Parra, compositeur en résidence, avant de nous plonger dans le virtuose Concerto pour violon de Khatchaturian aux côtés de Nemanja Radulovic et nous transporter enfin dans le monde fascinant de l’immortel Oiseau de feu de Stravinsky.
A travers l’oeuvre de Robert Schumann
La saison se poursuivra ensuite avec le premier volet du cycle Schumann magnifié au long de la saison par le pianiste et chef d’orchestre Christian Zacharias. Une personnalité unique qui donnera toute la mesure de son talent à la tête de l’ONL pour ce voyage musical au coeur de l’oeuvre de Robert Schumann, compositeur qu’il interprète avec une ferveur particulière. Ce premier concert est un hymne à l’amour que porte Robert à sa femme Clara : l’ouverture de Manfred, célèbre personnage de Lord Byron hanté par son amour malheureux, puis le fameux Concerto pour piano, décrit par Clara comme une oeuvre où le piano et l’orchestre sont unis comme deux êtres qui «ne peuvent penser l’un sans l’autre» (6 octobre). La deuxième étape de ce périple musical nous emmènera au fil du Rhin, source d’inspiration cardinale de l’un des plus grands créateurs romantiques. Composée en décembre 1850, la Symphonie n°3, dite «Rhénane», épouse les contours et méandres du fleuve majestueux, symbole de liberté et de puissance mais aussi miroir des souffrances de l’artiste. Car cette allégorie de la nature est aussi une projection des tourments intérieurs d’un homme brûlant de transfigurer la poésie en musique. OEuvre emblématique de la littérature romantique, interprétée par le jeune prodige Julian Steckel, le Concerto pour violoncelle s’immerge dans une passion amoureuse imprégnée de lyrisme où s’esquisse la figure de Clara Schumann, à la fois épouse, interprète et muse du compositeur. Soit un programme d’une intensité émotionnelle et musicale rares (16 novembre). C’est dans l’allégresse des premiers mois de son mariage avec Clara que Schumann compose en quatre jours sa Première Symphonie, sous-titrée Le Printemps, dans laquelle le musicien exprime la plénitude de sa joie. Bien que sombrant peu à peu dans la dépression, le compositeur écrit son Concerto pour violon dans le plus grand enthousiasme, célébrant ainsi sa rencontre avec Brahms d’une part et avec le violoniste Joseph Joachim de l’autre. Ce bonheur se retrouve également dans l’ouverture de Genoveva dont la structure dramatique préfigure la fin heureuse de l’opéra. Un moment de grâce que nous offrent Christian Zacharias à la baguette et la très talentueuse Isabelle van Keulen au violon (16 juin). Pour clore en beauté ce cycle Schumann, deux oeuvres de facture éminemment originale : l’Ouverture, Scherzo et Finale avec ses allures de petite symphonie, que Schumann songea à nommer “symphonette”, alterne passages rêveurs et moments endiablés, alors que l’Introduction et Allegro appassionato fait dialoguer le soliste et l’orchestre tantôt avec ferveur, tantôt avec la plus grande douceur. Dans sa Deuxième Symphonie, Schumann qui lutte âprement contre la maladie, parle de «la résistance manifeste de l’esprit». Un cycle qui s’achèvera triomphalement (23 juin).
L’amour et la danse
Jean-Claude Casadesus a consacré toute sa vie à la musique, avec passion et générosité. Le cycle L’amour et la danse qu’il dirige tout au longde la saison est l’expression musicale de l’ardeur avec laquelle il aborde chaque oeuvre. Il sera question ici d’amour céleste dans les poétiques Nuées de Dominique Probst ; d’amour dévorant dans La Mort de Cléopâtre de Berlioz où la reine, anéantie par le remords, est empoisonnée par la morsure d’un serpent ; enfin d’amour passionnel dans le Roméo et Juliette de Prokofiev. Un voyage au coeur de la musique symphonique des XIXe et XXe siècles, inspirée par les figures mythiques qui peuplent notre imaginaire collectif (1er décembre). Entouré de solistes prestigieux, Jean-Claude Casadesus poursuivra ce cycle avec un programme s’ouvrant sur le très original Triple concerto de Beethoven, dont la partie de piano était destinée au jeune archiduc Rodolphe, et qui fait alterner de longs passages plein d’allégresse et quelques moments plus mélancoliques. À cet opus riant, marqué par le classicisme, succède la lascive Danse de Salomé de Richard Strauss, signant l’arrêt de mort du prophète Jean-Baptiste. Après ce tragique épisode biblique aux accents expressionnistes vient le Poème de l’Extase d’un Scriabine mû par une pensée philosophique et mystique, et en quête de transcendance et d’universalité (19 et 20 janvier). Lors de l’ultime volet, le chef d’orchestre dirigera la soprano berlinoise Annette Dasch qui, depuis ses débuts acclamés à Salzbourg en 2006, fait partie du sérail des grands artistes lyriques. De sérail justement il sera question, avec en fil rouge la figure du plus grand séducteur de tous les temps. Si le Don Giovanni de Mozart, fidèle à sa seule réputation, compte les femmes par milliers, celui de Strauss se perd dans sa quête impossible de la perfection. Désir de transcendance que l’on retrouve également dans les Quatre derniers Lieder, véritable testament musical de Strauss, et dans la Symphonie no 8, chef-d’oeuvre absolu et pourtant inachevé de Schubert (2 et 3 mars).
De prestigieux interprètes
La saison sera ponctuée par la venue d’artistes émérites tel le chef d’orchestre et violoniste allemand Peter Rundel qui dirigera trois œuvres offrant une immersion dans l’univers de grands compositeurs qui ont chacun, à leur époque, déclenché une révolution musicale profonde. Les pièces choisies dessinent une cartographie du sentiment amoureux – audacieux dans Leonore III, ouverture de Fidelio, l’unique opéra de Beethoven ; épanoui dans Siegfried Idyll de Wagner ; dévastateur dans Le Mandarin merveilleux de Bartók. Une création contemporaine clôturera ce programme : le Concerto pour violoncelle de Yann Robin, spécialement écrit pour le violoncelliste Éric-Maria Couturier. Cette pièce déploie une ampleur sensorielle plutôt rare dans la musique contemporaine – plus proche du rock que de la musique classique –, où le plaisir du jeu amplifie les possibilités du son (13 octobre). Les concerts des 5 et 6 avril seront entièrement dédiés à une oeuvre immense, Le Messie de Haendel dans la version réorchestrée par Mozart – ce qui la rapproche de l’art profane. Installé à Londres depuis 1713, le musicien et compositeur allemand écrit au cours de l’été 1741 – en moins d’un mois ! – cette fresque musicale ambitieuse relatant les épisodes de la vie du Christ, de sa naissance à sa résurrection. Dans cet oratorio, les paroles du Christ ne sont jamais proférées directement, mais rapportées à travers la narration ou les prophéties. «Je pensais voir tout le Ciel devant moi et le grand Dieu lui-même», confia Haendel après la création de sa plus célèbre partition, synthèse admirable de la Passion germanique et du chant lyrique de l’opéra italien. Entouré d’une distribution vocale de haut vol, le chef d’orchestre néerlandais Jan Willem de Vriend – dont la sensibilité s’inscrit dans la belle lignée du légendaire Nikolaus Harnoncourt – devrait élever cette grandiose pièce liturgique jusqu’au pinacle. Avec sa voix aussi ronde et chaleureuse que virtuose, la soprano Julie Fuchs transporte l’auditeur au gré des rôles les plus divers. Dirigée par Alexandre Bloch à la tête de l’ensemble Les Cris de Paris, elle incarnera la belle Leïla, grande prêtresse de Brahma, dont le coeur est déchiré entre son amour pour le pêcheur Nadir et sa dévotion au Dieu créateur de l’Hindouisme. C’est un Bizet d’à peine 25 ans et tout juste auréolé du Grand Prix de Rome, qui compose Les Pêcheurs de perles, opéra à l’exotisme délicat et dont l’intensité dramatique suscite l’admiration de Berlioz. Avec une grande finesse, le jeune compositeur offre un superbe portrait de femme, quelques années avant de donner vie à une autrehéroïne, l’inoubliable Carmen (10 mai).
Patrick BEAUMONT