Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment : «Entre l’urgence et des changements positifs.»
L’élection d’Olivier Salleron, entrepreneur à Périgueux (Dordogne) à la présidence nationale de la Fédération française du bâtiment (50 000 entreprises représentant plus d’un million de salariés) s’est déroulée le 20 mars dans un contexte inédit, confinement oblige, avec vote électronique. Son entrée en fonction, qui devait être progressive aux côtés de l’actuel président Jacques Chanut - jusqu’à la mise en place d’un comité exécutif renouvelé et rajeuni, le 12 juin, lors d’un congrès prévu à Lyon – se transforme en baptême du feu, avec des réunions de crise à répétition en visioconférences. Olivier Salleron compte 15 chantiers à l’arrêt dans sa propre entreprise de chauffage et climatisation : un temps qu’il investit pour l’intérêt général. Rencontre avec un président tiraillé entre l’urgence et des pistes de changements positifs.
Comment vivez-vous cette arrivée à la présidence nationale dans un tel contexte ?
C’était inimaginable, en effet. C’est une arrivée très particulière, mais je préfère être dans l’opérationnel, une mission en duo assurée avec l’actuel président. Une heure après les félicitations par téléphone, j’étais dans la boucle de négociations et d’informations, avec les acteurs de la réalisation du guide (voir encadré) : je suis au cœur du réacteur tout en restant confiné en Dordogne, entre mon entreprise et mon domicile. Je passe 8 à 10 heures par jour en visio et audioconférences. C’est finalement un formidable accélérateur relationnel, cela crée aussitôt des liens très forts avec l’équipe de la fédération. On se connaît mieux. En 15 jours, j’ai eu des contacts avec plus de décideurs que j’aurais pu avoir en deux ans dans le contexte habituel : des relations téléphoniques régulières avec cinq ministères, ça fait bizarre même si j’ai l’expérience des négociations… Ça servira pour la suite. J’essaie de voir ce côté positif.
Quelle était la situation, avant la crise, pour les métiers du bâtiment ?
Le secteur connaissait une timide reprise depuis deux ans, avec des recrutements. Les carnets de commandes 2020 étaient bons pour les artisans, les PME et les grandes entreprises. Cette crise vient casser la progression dans une conjoncture favorable après une dizaine d’années difficiles. Les comptes se redressaient, les trésoreries pas encore.
Ce coup d’arrêt brutal est un danger «extraordinaire» pour des entreprises qui n’avaient pas pu se rétablir totalement : si cela dure, s’il n’y a pas d’innovations en termes de marchés privés et publics et d’aides de l’État, nous pourrions voir 30 à 50 % d’entre elles mettre un genou à terre – le redressement -, sinon les deux – la liquidation. Les prix sont encore bas, les entreprises fragiles : on peut s’attendre à des fermetures dès le mois de juin. La marge moyenne en 2019 pour les professionnels du bâtiment était autour de 2 % : on estime la perte de chiffre d’affaires à 20 % en 2020 si la reprise des chantiers s’exécute aux tarifs donnés avant la crise, sans tenir compte des méthodologies que nous devrons déployer dans le cadre d’une lente reprise du travail. On ne peut mathématiquement pas réussir à s’en sortir avec une rentabilité dégradée. Il faudrait augmenter les prix de 20 % en moyenne dans le bâtiment, du fait des précautions nécessaires pour la main-d’œuvre. On va forcément passer plus de temps sur des chantiers qui mettront des mois à redémarrer, ce qui va dégrader les relations entre les corps d’état, compliquer celles entre les entreprises et les maîtrises d’œuvre, et les maîtrises d’ouvrage.
Lorsque vous parlez de solutions innovantes à trouver, que pouvez-vous proposer aux pouvoirs publics ?
Le plan de relance est valable pour un rebond immédiat : report des charges sociales et fiscales, congés payés lissés sur plusieurs mois, étalement des prêts bancaires pour les investissements, mais il faudra les payer un jour et une entreprise qui ne tourne pas garde ses charges fixes. Nous comptons sur le maintien des travaux d’été prévus dans les lycées, collèges et écoles, nous espérons que les conseils régionaux, départementaux et municipaux donnent le tempo pour que les autres maîtres d’ouvrages suivent. Pas question de créer d’autres marchés, qu’on ne pourrait pas assurer : il faut garantir ce qui était prévu, dans de bonnes conditions. Pour que ce choc économique ne soit pas encaissé par les seules entreprises du bâtiment, il faudra trouver des méthodes de maîtrise d’œuvre pour nous faciliter les choses, toujours en sécurité sanitaire. Nous devrons revenir sur les chantiers avec des avenants pour tenir compte du nombre d’heures à passer, y compris sur les marchés du logement et marchés privés. Sans cela, les entreprises vont s’effondrer après avoir tiré sur la corde jusqu’au bout. Et les chantiers s’arrêteront, faute de combattants : nous devons tenir sur la durée.
Peut-on sortir plus fort de ce genre de situation ?
On a pris conscience que l’activité humaine peut s’arrêter du jour au lendemain. On n’était pas prêt à tout cela et on va observer des modifications de stratégie. Que ce soit pour faire tourner l’économie ou pour les échanges humains, on voit bien que les technologies de communication font gagner du temps et permettent d’aller droit au but. On devrait conserver les apports en concision, en facilité de travail : on passe une heure en visio là où on mettait quatre heures jusque-là, la discipline est plus grande, avec des prises de paroles constructives. Le gain de temps est primordial aussi dans les réunions et les visites de chantier. Je m’appuierai sur cette expérience dans la gouvernance de la FFB. Mon programme insistait déjà sur ce que j’avais développé en Nouvelle-Aquitaine, sur l’innovation dans le bâtiment et tout ce qui améliore les gestes quotidiens, le BIM, le Lean, le télétravail…
Les métiers du bâtiment vont forcément évoluer, le secteur va réduire les déplacements, s’ouvrir davantage à l’environnement. Je souhaite aussi créer une direction de la communication, transversale et en direction des jeunes : il va falloir les attirer, tout comme les personnes en réorientation, et démontrer que nos métiers sont technologiques et innovants.
Je reste optimiste, c’est sûrement lié à ma trajectoire. Je suis entré à la fédé pour rejoindre une bande de copains, nouer des échanges professionnels et amicaux. J’ai dû reprendre rapidement la présidence périgourdine, il y a seulement sept ans, puis la présidence régionale, en 2017. J’ai réalisé la fusion des trois anciennes régions, soit 12 départements de Nouvelle-Aquitaine sur lesquels je veille encore, en lien avec les partenaires locaux. Tout est allé très vite, avec la vice-présidence nationale et la commission sociale. Je porte un certain renouveau malgré la crise que nous traversons.
Bâtiment : un guide des bonnes pratiques
Avec 70 % des entreprises du bâtiment ayant procédé à du chômage partiel, la profession s’est battue, avec les Travaux publics, pour obtenir les autorisations dès la première semaine de confinement moyennant l’écriture d’un guide des bonnes pratiques, publié jeudi 2 avril. Afin que ceux qui ne peuvent pas poursuivre les chantiers, dans des conditions de sécurité décrites, accèdent au chômage partiel sans réserve. Ce guide apporte des critères précis pour déterminer la possibilité d’accès au chantier et, si la sécurité n’est pas garantie, de chômage partiel. «On a du travail, on veut honorer nos carnets de commandes, ça ne nous fait pas plaisir de rester chez nous et de quémander du chômage partiel, ce n’est pas dans nos habitudes, c’est la première fois en 47 ans d’histoire de l’entreprise familiale : mais on ne veut pas prendre de risque.» Les prescriptions ont été fixées par l’OPPBTP, organisme paritaire qui régit la prévention dans le BTP depuis 70 ans, avec la Capeb, FFB, FNTP et Scop. Représentants des salariés et des dirigeants de tous les métiers concernés ont contribué à cette réalisation : la première édition, écartée par le gouvernement, a été retravaillée en une semaine et a reçu l’accord des ministères de la Transition écologique et solidaire, de la Ville et du Logement, des Solidarités et de la Santé, et du Travail. Mais les organisations salariales ne l’ont pas encore paraphé.
Propos recueillis par Suzanne BOIREAU-TARTARAT (Échos Judiciaires Girondins) pour Réso Hebdo Éco / www.reso-hebdo-eco.com