«Nos propositions peuvent déboucher sur des textes de loi»
Le congrès des notaires de France se déroule à Cannes jusqu’au 30 mai. L’occasion de faire le point sur cet événement et d’évoquer, avec le président du Conseil supérieur du notariat, également en exercice à Oyonnax, les problématiques d’actualité que connaît le métier.
En quoi le congrès des notaires de France est-il un rendez-vous incontournable pour votre profession ?
Le congrès des notaires de France rassemble des notaires bien sûr, mais également des professeurs de droit, des sociologues, des économistes. Il accueille en outre, le ministre de la Justice. Ce congrès est organisé en quatre commissions («demain l’agriculture», «demain l’énergie», «demain la ville» et «demain le financement»). Chacune des thématiques a fait l’objet de débats sur une demi-journée, durant laquelle ont été examinées des propositions de la profession. Les propositions des congrès des notaires débouchent régulièrement sur des textes de loi. À titre d’exemple, j’ai été rapporteur général du congrès et président de commission en 2004, après mon étude sur la conjugalité. Nous avions élaboré des propositions, et j’ai été sollicité pour bâtir le régime juridique du Pacs pendant six mois à la Chancellerie.
Pourquoi avoir fait le choix de thématiques aussi denses que l’agriculture, l’énergie, la ville et le financement ?
Ce sont des thématiques liées aux territoires qui présentent des enjeux différents, qu’il s’agisse du milieu rural ou non. Chaque territoire répond à ses propres problématiques. En milieu rural, les énergies renouvelables peuvent être une solution pour valoriser l’espace : l’hydraulique connaît un fort succès, mais il ne faut pas oublier la biomasse. Il suffit de traverser la France pour constater que l’éolien est partout, de même que le photovoltaïque. Toutes ces installations entraînent des questions juridiques. Un agriculteur se demandera si l’éolien peut être rattaché à son statut agricole. Bien souvent, il s’agira de revoir le statut (régime juridique) mais aussi des enjeux liés à la fiscalité, car la fiscalité agricole n’est pas la même que la fiscalité commerciale.
D’où l’implication du notariat sur ces sujets…
Absolument. Prenons l’exemple d’un agriculteur propriétaire d’un terrain sur lequel vous décidez d’implanter dix éoliennes. Les négociations doivent définir si l’agriculteur accepte la présence d’éoliennes sur son terrain. Bien souvent, cela requiert des techniques juridiques à mettre au point. Dans le cas du photovoltaïque, l’agriculteur peut concéder sa toiture à un tiers opérateur qui souscrira un bail pour une certaine durée. Parmi les enjeux de l’agriculture de demain, l’environnement occupe une place centrale. On assiste à l’arrivée du bio notamment. Des baux peuvent disposer d’un caractère environnemental et entraîner des avantages fiscaux qu’un bail classique ne présentera pas. Il y a des adaptations à prévoir car les agriculteurs sont de véritables chefs d’entreprise. En matière de droit, l’idée est d’apporter une diversité d’outils à l’agriculture selon les problématiques de chacun.
Qu’en est-il du volet ville ?
En 2050, environ 70 % à 80 % de la population mondiale vivra dans des zones urbaines. Il faut aussi préserver les espaces qui entourent les villes. Aujourd’hui, la tendance de l’urbanisme est de contenir l’expansion des villes et favoriser la verticalité. La revitalisation des centres-villes est aussi un enjeu fort, réglé par des dispositions d’urbanisme, dont les effets ne seront pas immédiats. La caisse des dépôts et consignation lancera d’ailleurs la banque des territoires, au lendemain du congrès. C’est une banque qui mettra des financements importants à disposition des territoires, en accompagnant les collectivités pour repenser leur attractivité.
Autre sujet d’actualité : la dématérialisation des actes est une réalité dans le notariat. Où en est votre profession en matière de numérique ?
Sur le numérique, nous sommes relativement avancés, même si cela nécessite d’être sur le qui-vive en permanence. Pour les Français qui fréquentent nos études, la partie la plus visible de notre travail grâce au numérique reste l’acte électronique. Il ne s’agit pas d’un acte papier signé puis scanné. Tout le processus est entièrement électronique. Cela permet à l’État de gagner en productivité sur la gestion des fichiers et les données fiscales. Désormais, le télé@cte permet de dématérialiser 100 % de nos actes. Les actes électroniques représentent un flux de 12 000 actes par jour. Pour notre profession, la dématérialisation permet d’entrer de plain-pied dans l’ère du numérique, mais aussi d’apporter plus d’interactivité lors des rendez-vous. Aujourd’hui, les personnes participent à l’élaboration de leur acte et sont plus attentives. Cela devenait aussi fastidieux de signer 150 pages lors d’un achat immobilier. Grâce au numérique, nous avons mis en place des plateformes d’échange avec l’État : les bases statistiques immobilières dont les indices sont labellisés par l’Insee, aident l’État, les départements et les communes à engager des politiques publiques. Et actuellement, nous travaillons sur l’acte authentique à distance. Mon étude est équipée de ce système, et c’est le cas de 900 études en France. D’ici la fin de l’année, la visioconférence devrait être opérationnelle pour l’ensemble de notre profession.
De nouveaux offices ont été installés entre septembre 2017 et janvier 2018. Y a-t-il suffisamment de notaires en France ?
Je pense qu’il y a suffisamment de notaires en France, puisqu’en nombre de professionnels par habitant, notre pays s’est hissé à la deuxième place européenne, juste après les Pays-Bas. La densité est forte. Les nouvelles nominations sont intervenues et ne sont pas encore effectives, car l’objectif est d’atteindre 1 650 nouveaux notaires soit 30 % d’offices supplémentaires. Actuellement, on compte un peu plus de 1 200 nouveaux offices créés dont 930 notaires ont prêté serment et un peu plus de 500 se trouvent en activité.
Le notaire a parfois l’image d’un nanti. Combien perçoit-il, ou elle, mensuellement ?
Les notaires fonctionnent comme des entreprises. Nous sommes détenteurs de fonds publics, il y a quand même 600 milliards de capitaux exprimés qui circulent dans les études, et 22 milliards d’impôts collectés chaque année. Ces sommes considérables nous obligent à avoir une gestion prudente et des fonds de roulement dans les offices. Le salaire mensuel est très variable, de 5 000 euros à 15 000 euros selon que vous êtes à Paris, Marseille ou Lyon. La rémunération d’un notaire équivaut à celle d’un médecin spécialiste. Notre profession compte par ailleurs 43 % de femmes, et nous devrions être prochainement à parité. La moyenne d’âge est de 47 ans dans notre profession.
Vous êtes également chargé des affaires internationales au Conseil supérieur du notariat. Que faites-vous exactement ?
À l’international, le notariat français développe des coopérations nombreuses avec un certain nombre d’états dans le monde. Certains accèdent à une économie de marché et souhaitent créer un univers de confiance à destination de leurs habitants et des investisseurs étrangers. J’ai reçu le ministre de la Jordanie il y a un an et demi, qui m’expliquait combien les tribunaux sont surchargés, et les contentieux nombreux. Il souhaitait créer un notariat dans son pays car il n’y avait ni régulation, ni contrôle en amont et les tribunaux ne parvenaient plus à rendre la justice convenablement. Le ministre de la Jordanie m’a demandé de mettre en place une coopération avec l’État de Jordanie. Depuis, nous aidons la Jordanie à implanter un notariat, sur la structuration et les compétences que nous connaissons, la déontologie, les contrôles. C’est ce que nous avons fait pour la Chine il y a quinze ans. À l’époque, la Chine devait choisir entre le système de droit anglo-saxon et le droit français calqué sur le droit continental. Nous disposons d’un institut en permanence à Shanghai, et récemment je me suis rendu en Chine avec Emmanuel Macron où j’ai signé un accord avec les notaires chinois. Nous leur donnons nos outils juridiques, qu’ils traduisent si cela est possible, chez eux. En outre, j’ai été reçu dans les sphères de l’État iranien il y a un an et demi, car l’Iran détient un notariat de bon niveau, mais qui n’est pas reconnu au niveau international. Si l’Iran modifie certains textes, nous l’accompagnerons dans son adhésion à l’Union internationale du notariat qui est une reconnaissance mondiale et officielle. Je suis toujours étonné de constater l’aura de la France à l’étranger, et du notariat français en particulier.