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Mouvement social des agriculteurs : l’Europe, la mal-aimée

Le gouvernement français a multiplié les annonces pour calmer la colère des agriculteurs, arrachant même quelques concessions à Bruxelles, qui ne modifient cependant qu’à la marge les cadres idéologiques et législatifs de l’UE…Décryptage.

Mouvement social des agriculteurs : l’Europe, la mal-aimée

« Stop à l’accord UE-Mercosur », « L’Europe veut faire crever ceux qui la nourrissent »… Autant de slogans scandés durant le court — mais intense — épisode de colère des agriculteurs français. Le mouvement n’est d’ailleurs pas limité à la France, la Roumanie et l’Allemagne ayant déjà connu, quelques semaines plus tôt, une grogne du monde agricole à l’échelle nationale, certes peut-être moins spectaculaire. Toujours est-il qu’une partie des revendications cible clairement l’Union européenne avec ses règles, normes et politiques communes.

Le dogme de la libre concurrence au sein de l’UE

La construction européenne, au moins depuis le traité de Rome en 1957, accorde une place majeure à la politique de la concurrence. Celle-ci doit garantir une « concurrence libre, loyale et non faussée » au sein du Marché commun européen, devenu depuis le Marché unique, afin de sélectionner les entreprises les plus efficaces et d’encourager l’innovation, tout en améliorant la situation des consommateurs (prix plus bas et diversification des produits).

D’où un droit communautaire qui s’applique à toutes les entreprises privées ou publiques et interdit, en principe, les abus de position dominante, certaines concentrations et acquisitions, les accords de restriction de la concurrence et certaines aides de l’État. Les seules dérogations en dehors de la pandémie concernent, actuellement, les aides d’État aux entreprises de l’énergie, de la décarbonation, des semi-conducteurs et à celles subissant les conséquences de la guerre en Ukraine.

Assurément, le bon fonctionnement d’un si grand marché unique et complexe va forcément de pair avec une inflation de normes, règles et politiques européennes, pour peu que l’on souhaite éviter de verser trop vite dans la loi de la jungle.

Mercosur et libre-échange

Dans une volonté de diversification et d’enrichissement mutuel, l’UE a naturellement souhaité s’engager dans des accords commerciaux bilatéraux, la signature d’un accord mondial multilatéral sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) relevant pour l’heure d’un leurre. Le Mercosur, accord de réduction des obstacles commerciaux (pas uniquement agricoles) entre l’UE et quatre pays d’Amérique du Sud, est ainsi rapidement devenu l’archétype de l’accord de libre-échange honni par les agriculteurs. La France a du reste fait savoir qu’elle s’opposerait au Mercosur « en l’état », contrairement à l’Allemagne et à l’Espagne, ce qui promet de belles passes d’armes dans la mesure où la ratification de ce texte nécessite un vote à la majorité qualifiée.

Cela ferait presque oublier les nombreux autres traités de libre-échange avec le Japon, le Mexique, le Canada, etc., qui à chaque fois ont donné lieu à de vives critiques — souvent légitimes — concernant la concurrence déloyale, les pertes d’emploi et le nivellement par le bas des normes européennes. En effet, ces accords ne prévoient, en général, quasiment pas de « clauses miroir », qui obligeraient les importateurs à respecter les mêmes normes sanitaires et environnementales qu’au sein de l’UE. Or, même au sein du Marché unique européen, les normes de production diffèrent beaucoup trop d’un pays à l’autre. D’autre part, chercher à accroître le volume des exportations, tout en limitant drastiquement celui des importations, relève d’une forme de mercantilisme, habillement caché derrière un discours souverainiste, mais méconnaissant les réalités du commerce mondial. La seule certitude est qu’un tel accord commercial, même s’il peut être globalement favorable, rebat une multitude de cartes et empêche de connaître a priori les gagnants et les perdants individuels dans chaque pays…

Pacte vert et normes écologiques

Quant aux produits agricoles ukrainiens, dont les droits d’importation vers l’UE ont temporairement été suspendus et qui inondent le marché européen (volaille, sucre…), ils sont vus comme une concurrence déloyale par les agriculteurs, tant sur les prix que les normes. Il est donc question de limiter l’entrée de ces produits dans l’Union, s’ils dépassent les niveaux moyens importés en 2022 et 2023, qui sont pourtant déjà très élevés.

Quant au Pacte vert européen (Green Deal), il concerne certes tous les secteurs d’activité, mais c’est sa déclinaison à l’agriculture qui a suscité le plus de contestation, alors même qu’un grand nombre de lois et règlements n’ont toujours pas été votés ! Le principal reproche que l’on peut faire à ce Pacte vert est de ressembler davantage à un inventaire à la Prévert qu’à une véritable politique opérationnelle. Et il semble d’ailleurs que nombre de pays se rallient à l’idée d’une pause dans son déploiement, comme en témoigne notamment le renouvellement de l’autorisation du glyphosate.

Enfin, que dire de la Politique agricole commune (PAC), tant décriée en raison de son coût et de ses résultats en demi-teintes, mais dont les agriculteurs ne sauraient plus se passer ?

À l’évidence, le mouvement social des agriculteurs vient de donner le coup d’envoi de la campagne des élections européennes !