Mobilisation d'ampleur dans les rues de Nouméa sur la question du corps électoral

Deux manifestations distinctes, d'une ampleur inédite depuis les années 1980, ont réuni à Nouméa indépendantistes d'un côté, non-indépendantistes de l'autre, tous mobilisés sur la question de l'élargissement du corps électoral en...

Des manifestants loyalistes à Nouméa, le 13 avril 2024 © Theo Rouby
Des manifestants loyalistes à Nouméa, le 13 avril 2024 © Theo Rouby

Deux manifestations distinctes, d'une ampleur inédite depuis les années 1980, ont réuni à Nouméa indépendantistes d'un côté, non-indépendantistes de l'autre, tous mobilisés sur la question de l'élargissement du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.

Ces mobilisations visaient à exiger le retrait du projet de loi constitutionnelle prévoyant le dégel du corps électoral pour les élections provinciales du côté indépendantiste et à le soutenir pour les non-indépendantistes.

Les chiffres officiels du Haut-commissariat de la République, donnés en fin d'après-midi, estimaient le nombre total de manifestants à quelque 40.000 pour une population totale de 269.000 habitants: 20.000 pour les indépendantistes et autant pour les non-indépendantistes.

Des chiffres nettement en-deçà des comptages de chacune des organisations qui donnent une participation de 58.000 manifestants pour les indépendantistes, 35.000 pour les non-indépendantistes.

Les manifestants se sont retrouvés dans le centre-ville de Nouméa, séparés par les forces de l'ordre.

"Paris, entends-nous !", a scandé devant une foule essentiellement européenne Sonia Backès, la cheffe de file loyaliste, à l'initiative de cette mobilisation avec le Rassemblement-LR (droite) pour montrer son attachement à la France et à l'ouverture du corps électoral.

Le cortège a effectué une boucle au son de la Marseillaise et au rythme des slogans: "On est chez nous !" ou encore: "Fiers d’être Calédoniens, fiers d’être Français !".

"Ce n'est pas une démarche contre le peuple kanak mais ce n'est pas normal que nous n'ayons pas ce droit citoyen. C'est une aberration que l'on n'ait pas les mêmes droits qu'ailleurs dans la République !", a déclaré à l'AFP Bertrand, un manifestant de 67 ans installé depuis trois mois en Nouvelle-Calédonie, qui a souhaité garder l'anonymat.

"Ici, c'est la France. (...) Je suis là parce que je veux que tous les gens puissent voter chez eux", a déclaré Guillaume, lui aussi sous couvert d'anonymat, 17 ans, résidant de Koumac, dans le nord de la Grande-Terre.

"La paix est menacée parce que l'Etat est sorti de son impartialité. (...) Le dégel du corps électoral nous mène à la mort", a de son côté estimé Roch Wamytan, l'un des responsables de l'Union calédonienne, principal parti indépendantiste du Front de libération nationale kanak et socialiste.

Contexte tendu

Ces démonstrations de force interviennent dans un contexte de fortes tensions entre partisans et opposants à l’indépendance de l’archipel dont les responsables politiques peinent à dialoguer pour s'entendre sur un nouveau statut, après la tenue des trois référendums d’autodétermination.

Les dernières manifestations de cette ampleur remontent aux années 1980, décennie marquée par une quasi-guerre civile. En mai 1983, la venue du secrétaire d’État au DOM-TOM Georges Lemoine avait fait descendre plus de 30.000 personnes dans les rues de Nouméa. Depuis, les manifestations ont très exceptionnellement atteint les 25.000 personnes.

Le dégel partiel du corps électoral prévu par le projet de loi constitutionnelle porté par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et adopté par le Sénat le 2 avril, pourrait remettre en cause les équilibres politiques entre indépendantiste et non-indépendantistes, définis par l’Accord de Nouméa passé en 1998. 

Les élections provinciales déterminent en effet la représentation des partis au congrès de la Nouvelle-Calédonie, l’instance délibérante du territoire.

Le projet de loi doit être examiné courant mai par l'Assemblée nationale. Il vise à ouvrir le corps électoral des élections provinciales aux personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans.

Selon le rapport du Sénat, ce dégel augmenterait la composition du corps électoral de 14,5%, ajoutant 12.441 natifs de Nouvelle-Calédonie, ainsi que 13.400 citoyens français présents de manière continue depuis au moins dix ans.

Pour les indépendantistes, ce dégel" décidé de "manière unilatérale", "rompt avec les règles fondamentales qui ont instauré la paix dans ce pays", comme l’a rappelé cette semaine dans un communiqué Dominique Fochi, le secrétaire général de l’Union calédonienne.

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