Dossier spécial décideurs
Margherita Balzerani, «cheffe d'orchestre du collectif» au Louvre-Lens Vallée
La directrice de cet incubateur d'entreprises à vocation culturelle et tiers-lieu de rencontres revient sur son parcours. Partie de Rome vers Lens en passant par Paris et la MEL, elle nous livre sa vision de ce qu'est - ou doit être - un(e) décideur(se) aujourd'hui.
Pouvez-vous présenter Louvre-Lens Vallée ?
MB. C'est un lieu dédié à la Culture, à l'entreprenariat et à l'innovation. Elle est arrivée en 2013 suite à l'installation du musée du Louvre-Lens. On réunit plusieurs fonctions - incubateur et accélérateur d'entreprises, tiers-lieu culturel, lieu d'intelligence collective, de sociabilité, pépinière d'entreprises, FabLab culturel, événements. Et surtout, c'est un endroit où tout le monde peut se retrouver pour répondre à une question fondamentale : celle de la création. Aussi bien la création d'entreprise que la création tout court, car nous avons des artistes et artisans d'art. On accompagne de A à Z les projets. Et nous avons une spécificité : les entreprises industrielles créatives et culturelles. Le spectre est large : l'industrie du livre, du jeu vidéo, du spectacle, la médiation culturelle ou le tourisme. On fait partie de l'un des lieux-totems pour ces industries. Depuis onze ans, nous avons accompagné 150 projets. On accompagne également les acteurs culturels comme les musées. Il ne faut pas oublier que dans les Hauts-de-France, nous en avons 92 !
Quel est votre rôle à la tête de cette structure ?
Je ne suis pas l'initiatrice de ce projet, mais suis là depuis trois ans et, en quelque sorte, je l'ai réorienté sur la question de la Culture. Louvre-Lens Vallée était auparavant très orienté innovation, start-ups. Je me suis dit : 'On ne peut pas accompagner les innovations si on ne connaît pas les besoins des prescripteurs qui vont commercialiser ces innovations'. Je suis donc allée chercher les professionnels de la Culture pour élargir notre gouvernance. La Culture est un patrimoine commun, et les industries créatives et culturelles à la fois nous font du bien - on l'a vu pendant le covid -, et génèrent d'énormes chiffres d'affaires.
Quel est votre parcours ?
Je suis arrivée en France en tant qu'étudiante Erasmus, je viens d'Italie. Je me sens européenne. Je viens d'une ville très orientée vers le passé or pour moi venir en France, c'était remettre en perspective l'avenir. Pour moi la France c'était Simone de Beauvoir, Simone Veiln, Vivre dans un pays où il y avait la liberté, l'égalité et la fraternité. Je suis historienne en histoire de l'art. J'ai démarré ma carrière à 22 ans au Palais de Tokyo à Paris, où pendant sept ans j'ai côtoyé toute la scène artistique internationale. C'était une bouffée d'oxygène ! J'ai été directrice d'une école de mangas, j'allais alors souvent au Japon. J'ai ensuite dirigé Lille Design, et je suis passée par l'artisanat d'art : j'ai lancé, à l'époque, le salon des métiers d'art à Lens, qui existe toujours. Je suis sur un territoire pour lequel j'ai beaucoup d'affection, parce que le bassin minier est un lieu des possibles. Sa géographie, les terrils, c'est une renaissance. Au lieu de les raser, on a décidé d'en faire un patrimoine de l'Humanité. Pour ce lieu, on a choisi la Culture. On a créé la galerie du Temps, et Louvre-Lens Vallée. C'est un peu la réponse choisie pour ce territoire, et j'espère y contribuer, à ma petite échelle, avec une équipe de dix personnes qui est fantastique.
Qu'est-ce, pour vous, qu'un(e) décideur(se) ?
Un décideur, c'est pour moi quelqu'un qui a une vision. Un bon manager, un dirigeant, doit tracer une feuille de route et incarner cette vision. C'est fondamental. Et surtout, on ne peut jamais y arriver seul. Un bon décideur sait mettre en valeur les forces de son équipe. Il fédère autour d'une idée, une ambition. C'est aussi celui qui doit choisir. Pas pour soi, mais au service du projet. Je crois beaucoup en la notion de service public. On agit pour un territoire, au service des habitants.
Quelles sont les responsabilités qui lui incombent ?
J'aime bien l'image de «sparring-partners» (partenaires d'entraînement dans certains sports, ndlr). Et plutôt que décideur, j'aime bien la notion d'éclaireur de chemin. Quelqu'un qui écrit la feuille de route. Qui dit je pense qu'il faut aller dans cette direction, mais je ne peux pas y aller seul. Mais il faut avoir le courage de prendre la route, et être capable parfois de prendre les coups en protégeant son équipe. C'est hyper important de soutenir, d'encourager ses collaborateurs. Pour le reste, j'ai une grande devise : «Si on veut obtenir quelque chose que l'on a jamais eu, il faut tenter quelque chose que l'on a jamais fait».
Quels sont les satisfactions et éventuelles difficultés rencontrées au quotidien ?
La grande difficulté, c'est que les femmes doivent toujours travailler trois fois plus que les hommes. Aujourd'hui, je peux le dire car j'ai 47 ans et que j'ai été plusieurs fois à la tête de grandes structures. Travailler plus pour parler moins, car notre parole est coupée en réunion, elle n'est pas écoutée. Il faut être déterminée, courageuse, et très très engagée au quotidien. Après, la grande satisfaction c'est de ne pas avoir peur d'affronter toutes sortes de projets. Je porte de grandes ambitions, et pour moi tout est possible dans la mesure où l'on a la détermination. Mais les grandes ambitions ne correspondent pas toujours aux réalités des moyens et des acteurs. Je reste toutefois habitée par l'idée de dessiner le futur. Je suis toujours sur l'impact à dix ans. Pour moi, la plus grande réussite est que certains de mes projets aient continué après moi, un peu comme une cheffe d'orchestre du collectif.
En tant que femme, auriez-vous un conseil à donner à une jeune décideuse ?
Cela se passe dès l'école. J'éduque mes enfants, qui sont deux garçons. Je leur lis tous les soirs un livre qui s'appelle «Histoires du soir pour filles rebelles». Je leur lis ainsi l'histoire d'une femme. Michelle Obama, Marie Curie, etc. Il faut avoir des modèles. J'ai dû m'en créer. On a besoin de cela car ces femmes ont été oubliées, invisibilisées. Il faut savoir s'indigner aussi, quand quelqu'un met en doute vos capacités. Mais les décideuses d'aujourd'hui vivent le «meToo», et c'est une bonne chose. Je conseillerais, enfin, de ne jamais arrêter de désirer les choses pour pouvoir les accomplir au mieux.