Marchés publics régionaux : à qui vont ces milliards d’euros ?
à l’heure où le débat porte sur la politique économique du gouvernement, la commande publique française fait l’objet d’analyses intéressantes. C’est le cas d’une étude de la CCI de région nord de France qui a interrogé des dirigeants d’entreprise. Bilan ? Peut mieux faire, beaucoup mieux…
Plus de 103 0 00 marchés publics pour un montant total de 75,5 milliards d’euros, c’est le poids de la commande publique française en 20121. Grâce à celle-ci, l’Etat français participe au financement et au soutien d’activités aussi majeures que l’industrie, la construction, les services aux particuliers, aux entreprises, ou encore le commerce de gros. S’il existe des chiffres nationaux, établis chaque année par l’Observatoire économique de l’achat public (OEAP), en extraire des chiffres régionaux n’est possible qu’au prix d’une supposition : la cohérence du rapport entre le poids du Nord-Pas-de-Calais dans la France, en ter mes de produit intérieur brut (PIB) et de population, et le montant total des marchés publics en région. Dès lors, on estime que la commande publique s’établit entre 4 et 5 milliards d’euros dans le Nord-Pas-de-Calais !
Quelles sont les entreprises qui décrochent ces marchés en répondant aux appels d’offres ? Les entreprises régionales savent-elles le faire ? Les marchés émis en région profitent-ils essentiellement aux entreprises de la région ? Ce sont quelques-unes des questions posées à près de 2 500 dirigeants d’entreprise, en mars et avril derniers, par le département des études de la CCI Nord de France 2. Et les réponses obtenues démontrent combien la captation de ces marchés constitue un enjeu majeur pour les entreprises régionales.
Dix mille entreprises régionales. Premier constat de cette étude : dans le Nord-Pas-de -Calais, près d’une entreprise sur quatre répond aux marchés publics. En effet, 24% des entreprises interrogées déclarent répondre à des marchés publics. Une proportion qui varie de 9% pour les entreprises avec zéro ou un seul salarié, à près de 40% pour les entreprises de plus de 50 salariés. Néanmoins, dans près de la moitié des cas, ces marchés publics représentent moins de 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce qui limite le poids réel des marchés publics dans l’activité des entreprises régionales. Ainsi, on peut ainsi estimer que 10 000 entreprises de la région répondent à des marchés publics pour une part de leur chiffre d’affaires supérieure à 10%. Pour environ 3 000 entreprises, ces marchés publics représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires et sont donc fortement dépendantes. On l’aura compris, l’objectif de réduction des dépenses publiques en France et son incidence prévisible sur les achats de fournitures, services ou travaux “aura donc des répercussions sur une part significative des entreprises régionales”, indique l’étude. Bien évidemment, c’est dans le secteur de la construction que les entreprises répondent davantage aux marchés publics : une entreprise sur cinq se positionne sur ces marchés. Et pour les entreprises de plus de 20 salariés, cette proportion monte même à 65% ! Dans les services aux entreprises et l’industrie, ce sont respectivement 16% et 10% des entreprises qui répondent aux marchés publics. Enfin, dans les secteurs du commerce (de gros comme de détail) et dans les services aux particuliers, cette pratique est bien moins répandue, puisqu’elle ne concerne que 5% des entreprises. “Quel que soit le secteur d’activité, il ressort que plus l’entreprise est de taille importante, plus elle se portera sur ces marchés, peut-on lire dans l’étude de la CCI. L’écart est cependant particulièrement important dans la construction avec des pratiques plus dépendantes qu’ailleurs de la taille de l’entreprise.”
Répondre aux marchés publics demeure difficile.
Quand elles décident de répondre aux marchés publics, 44% des entreprises rencontrent des difficultés ! C’est l’autre enseignement majeur de l’étude. Et, bizarrement, cet te proportion n’est pas dépendante du poids des marchés publics dans le chiffre d’affaires. En effet, les entreprises rencontrent tout autant de difficultés, que la commande publique soit majoritaire dans leur chiffre d’affaires ou qu’elle ne soit que secondaire. Pour ces dirigeants, la principale difficulté rencontrée réside, on s’en doute, dans le taux de transformation des réponses à ces appels d’offres. Plus précisément, “l’investissement mis en œuvre par une entreprise pour répondre à un appel d’offres peut effectivement être important et doit en tout état de cause se traduire par un taux de transformation suffisamment élevé pour justifier cet investissement”, rappelle cette étude. Quant à l’autre difficulté exprimée par les dirigeants, elle porte sur la veille des marchés publics. Une contrainte plus marquée pour les entreprises faiblement dépendantes aux marchés publics et qui n’ont donc pas déployé de veille spécifique sur ces marchés. Autres explications souvent avancées : procédures trop complexes, niveaux de prix trop bas car concurrence exacerbée et carnets de commandes suffisamment remplis. De nombreuses raisons peuvent expliquer le fait qu’une entreprise ne réponde pas aux appels d’offres. Tout d’abord, 60% des entreprises régionales n’y répondent pas car elles considèrent qu’il n’y en a pas, ou insuffisamment, dans leur secteur d’activité. Cette explication est souvent donnée par les acteurs de l’industrie, du commerce de détail et des services aux particuliers, notamment l’hôtellerie-restauration. D’autres encore jugent que les procédures des marchés publics sont “trop complexes” ou encore que “les conditions tarifaires sont trop exigeantes pour leur entreprise”. C’est le cas des entreprises de construction : une entreprise sur deux considère que les marchés publics n’offrent pas une rémunération suffisante. Enfin, 11% des entreprises qui ne répondent pas aux marchés publics souhaiteraient néanmoins s’y mettre, mais ne savent pas comment se positionner sur ces marchés. “Ces entreprises ont donc bien conscience de la manne que peuvent représenter ces marchés”, fait observer l’étude, avant d’indiquer que “cette difficulté est particulièrement marquée dans les petites entreprises et dans les secteurs de la construction et des services aux entreprises”.
Des marchés qui profitent essentiellement aux entreprises régionales.
Les marchés publics régionaux profitent-ils aux entreprises régionales ? C’est sans doute le tour de force de cette étude que de parvenir à apporter une réponse à cette question. “Afin d’avoir une vision des pratiques d’achats de donneurs d’ordre régionaux, nous avons agrégé les marchés publics d’une trentaine d’acheteurs publics régionaux (collectivités, services déconcentrés de l’Etat, hôpitaux…) pour lesquels nous avions des informations sur le contractant (nom de l’entreprise, localisation) et les montants des marchés“, détaillent en préambule les auteurs de l’étude. La base3 ainsi constituée porte sur 1 700 marchés, pour un montant total de plus de 300 M€ – près de 8% du total de la commande publique estimée dans le Nord-Pas-de-Calais –, mais offre une image “précise de l’achat public régional, sans néanmoins que nous soyons en mesure de nous prononcer sur sa représentativité”, écrivent les auteurs. Une fois rappelée cette mise en garde, un chiffre ne manque pas de retenir l’attention : plus de 60% des marchés publics émis en Nord-Pas-de-Calais sont exécutés par des entreprises présentes en région ! Sur les seuls marchés de travaux, plus de 80% de la commande publique est adressée à des entreprises régionales. Une part qui s’élève à 40% pour les services et 25% pour les fournitures. Cet écart s’explique en grande partie par l’achat de fournitures spécifiques, notamment dans les domaines médicaux ou de la recherche scientifique qui ne sont pas forcément disponibles auprès de fournisseurs en région. Et c’est d’ailleurs ce biais qui explique notamment la présence des Pays de la Loire en troisième position de ce classement (voir graphique). Le reste du classement s’explique ensuite soit par le poids économique relatif de la région dans la France, soit par la proximité géographique avec le Nord-Pas-de-Calais. Enfin, il est à noter que la présence des pays étrangers dans les marchés publics du Nord-Pas-de-Calais reste relativement faible, un peu plus de 1% seulement des montants des marchés publics régionaux étant exécutés par des entreprises étrangères. Et parmi ces entreprises étrangères, rien d’étonnant à apprendre que 80% de ces marchés ont été captés par des entreprises belges… Enfin, point négatif pour l’économie régionale, les entreprises du Nord- Pas-de-Calais sont peu présentes sur les marchés publics émis par l’Etat. En effet, après ouverture des données publiques du Service des achats de l’Etat (SAE), il est désormais possible de consulter la liste des marchés passés par l’Etat et ses services déconcentrés, et ceci nationalement. Constat : les entreprises du Nord-Pas-de-Calais ont décroché 4% des 11 000 marchés renseignés, ce qui représente un peu plus de 100 M€. Et ce qui place le Nord-Pas-de-Calais, quatrième région économique de France, au septième rang du classement de la captation des marchés publics…
1. Observatoire économique de l’achat public.
2. Données sur les pratiques des entreprises régionales en Nord-Pas-de-Calais issues d’une enquête réalisée par mail entre le 24 mars et le 4 avril 2014 à laquelle plus de 2 400 entreprises ont répondu. Seuls les marchés pour lesquels les enquêteurs disposaient de la totalité des informations (type, date, montant, entreprise, localisation) ont été intégrés à une base portant sur 1 700 marchés émis par une trentaine de donneurs d’ordre pour un montant total de plus de 300 M€. Données sur les marchés publics de l’Etat (Service des achats de l’Etat) : www.data.gouv. fr/fr/dataset/liste-des-marches-publics-conclus
3. Sur l’échantillon ainsi obtenu, 65% de la commande publique correspondent à des travaux, 20%, à des fournitures et 15%, à des services.