Mal être : c’est quoi l'éco-anxiété ?

Tout le monde peut être éco-anxieux. Mais que cela signifie-t-il, au juste ? Décryptage d'un phénomène bien mal nommé et à mesurer, selon des professionnels de la santé mentale interrogés par deux délégations sénatoriales.

Mal être : c’est quoi l'éco-anxiété ?

Le terme «éco-anxiété» a fait son entrée dans le dictionnaire en 2023. La même année, l'éco-anxiété était citée par 32% des Français comme un frein au sentiment de bien-être et 5% de la population se déclarait «éco-anxieuse», selon le rapport annuel du Conseil économique social et environnemental (CESE) sur l’état de la France. Bref, le phénomène commence à devenir massif. Des sénateurs se sont donc préoccupés de mieux comprendre ce qu'il recouvre. En février dernier, deux commissions sénatoriales (Aménagement du territoire et du développement durables, Affaires sociales) organisaient une rencontre-retransmise en ligne- avec plusieurs professionnels de la santé mentale, praticiens et chercheurs qui s'investissent sur ce sujet nouveau.Pour l'instant, en effet, l'«éco-anxiété» demeure un objet médical mal défini. Pierre-Éric Sutter, psychothérapeute, a découvert le terme dans la bouche d'une patiente en 2016. «Je ne savais pas ce que c'était. Je suis allé regarder le classement international des maladies de l'Organisation mondiale de la santé et je n'ai rien trouvé. Aujourd'hui, il n'y a rien d'institutionnel qui encadre ce phénomène», témoigne-t-il. Célie Massini, psychiatre, assistante spécialiste au GHU Paris psychiatrie et neurosciences, le confirme. «L'éco-anxiété n'est pas reconnue comme une pathologie définie. (…) À l'heure actuelle, elle ne constitue pas un diagnostic psychiatrique à proprement parler, bien qu'elle puisse être à l'origine de douleurs psychiques invalidantes et occasionner des troubles mentaux», explique la scientifique, co-autrice, avec Antoine Pelissolo, psychiatre, professeur des universités et chef de service au GHU Henri-Mondor, de l'ouvrage «Les émotions du dérèglement climatique: L'impact des catastrophes écologiques sur notre bien-être et comment y faire face». En résumé, on manque encore d'études sérieuses et exhaustives qui permettent de qualifier et de mesurer scientifiquement ce phénomène de «l'éco-anxiété», selon Célie Massini.


«Ne pas psychiatriser la société»

Dans ce flou scientifique, «il faut faire attention à ne pas psychiatriser la société», met en garde Antoine Pelissolo. Sur cette base, plusieurs des intervenants ne trouvent pas vraiment pertinente l'expression d'«éco-anxiété» qui s'est imposée dans le débat public. Cela ne revient-il pas à qualifier de pathologie une légitime inquiétude des individus face à la dégradation du monde qu'ils observent ? Manuela Santa Marin, psychologue clinicienne et psychothérapeute, propose la comparaison avec le deuil. «Lorsque l'on vit un deuil, il est indéniable que l'on souffre et c'est normal. Ce n'est pas pathologique en soi, mais cela peut le devenir», explique-t-elle. Ainsi, elle préfère évoquer une «souffrance» face aux problèmes écologiques. Et pour Antoine Pelissolo «les outils classiques», comme l'écoute ou la psychothérapie «fonctionnent» pour prendre en charge les personnes qui connaissent ce type de détresse. Selon les cas, le psychiatre y ajoute des conseils comme de s'engager dans une association écologique…En tout cas, quel que soit le nom que l'on donne à ce nouveau phénomène, une sensibilisation des professionnels de la santé s'impose, s'accordent les intervenants à la table ronde qui se sont investis dans ce domaine avec des approches très diverses. Par exemple, Manuela Santa Marina a fondé un Réseau des Accompagnants Face à l’Urgence Écologique (RAFUE), après avoir suivi des militants écologistes au sein du mouvement Extinction Rébellion. Pierre-Éric Sutter a fondé un Observatoire de l'éco-anxiété via Mars-Lab, sa société «de conseil en management de la performance globale», une association, «La maison des éco-anxieux», un autre Observatoire consacré aux vécus du collapse et rédigé des ouvrages afférents.