Droit

Licenciement d'un salarié protégé : une exigence de motivation au «rabais» pour le ministre

Par une récente décision(*), le Conseil d’État apporte des précisions intéressantes sur la régularité formelle de la décision du ministre du Travail statuant sur un recours porté contre une décision de l’inspecteur du travail, en matière d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé.

Protection particulière des salariés investis de fonctions représentatives

En vertu des dispositions du Code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est accordée après la procédure contradictoire prévue à l’article R. 2421-11 du Code du travail, au cours de laquelle tant l’employeur que le salarié peuvent faire valoir leurs observations.

Faute, motif économique, inaptitude… Les motifs de licenciement sont classiques. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si «les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.»

Dans tous les cas, pour d’évidentes raisons tenant au principe de non-discrimination syndicale, lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, «il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.»

Sur la base de ces observations contradictoires, l'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Le silence gardé au-delà vaut décision de rejet.


Le recours hiérarchique et ses conséquences

Conformément aux dispositions du Code des relations entre le public et l’administration, l’employeur ou le salarié concerné peuvent former un recours hiérarchique, soit auprès du ministre du Travail, à l’encontre de la décision de l’inspecteur du travail. Naturellement, tel sera le cas du salarié qui souhaite contester l’accord donné par l’inspection du travail ou de l’employeur qui entend contester le refus d’accord, qu’ils soient implicites ou explicites.

Ce recours auprès du ministre du Travail donnera lui aussi lieu à une nouvelle décision administrative. Cette décision ne se substitue pas à celle de l’inspecteur du travail. En ce sens, et comme le prévoit l’article R. 2422-1 du Code du travail, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre du Travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, «l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.»


L’obligation de motivation de la décision ministérielle

Dans le cas où le ministre, saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail s'est prononcé sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration, que cette annulation repose sur un vice affectant la légalité externe de la décision (de procédure ou de forme, le plus souvent) ou sur un vice affectant sa légalité interne.

Classiquement, lorsqu’il annule la décision pour vice de légalité «interne», le Conseil d’État estime qu’ «il appartient au ministre d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que le motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs, fondant la décision de l'inspecteur du travail, est illégal» (CE, 8 décembre 2021, n° 428118).

En revanche, chose inédite, la Haute Juridiction a estimé que lorsque la décision de l’inspection du travail est entachée d’un vice de légalité externe, alors «le ministre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'illégalité externe, il n'a pas en revanche à se prononcer sur le bien-fondé de ses motifs.»

Le Rapporteur public expose ainsi le raisonnement du Conseil : «Le propre de l’annulation pour un motif de légalité externe est de faire « tomber » la décision, sans qu’il soit besoin de s’attacher à la pertinence de ses motifs. Le ministre qui annule la décision de l’inspecteur du travail pour irrégularité [externe] n’est donc plus tenu d’en contredire les motifs dans sa motivation. Après avoir annulé la décision, il se prononce ensuite (…) sur la demande d’autorisation de licenciement pour laquelle il est tenu à l’obligation de motivation «générale» qui ne lui impose pas de contredire spécialement l’analyse que l’inspecteur du travail avait retenue.»

(*) CE, 4 octobre 2023, n° 464094.

Nicolas TAQUET, avocat