Les transports publics sont-ils assez chers ?
Coûts toujours supérieurs aux dépenses, fraude massive, hausses de la TVA : les transports publics n’ont pas vraiment bénéficié du quinquennat qui se termine. L’organisation professionnelle du secteur tire la sonnette d’alarme.
Les transports publics sont-ils trop chers ? » Poser la question, c’est susciter la réponse. L’Union des transports publics (UTP), qui réunit 240 entreprises de transport urbain ou gestionnaires d’infrastructures, s’acharne à combattre les idées reçues. L’édition 2016 de son Observatoire de la mobilité rappelle que, depuis dix ans, le coût des bus urbains a baissé de 3%, alors que celui de l’utilisation du véhicule personnel a augmenté de près de 30%. Cela ne correspond pas à ce que ressentent les usagers. En effet, note l’UTP, « depuis 2012, les prix des carburants ont diminué de 16% et le tarif des péages autoroutiers a progressé de seulement 4% entre 2012 et 2014 ». Une impression de stabilité, donc. Mais c’est oublier que les dépenses liées à un véhicule ne se limitent pas à l’essence et aux péages. « Le coût de la possession et de l’entretien ne sont pas pris en compte par les utilisateurs », souligne l’organisation professionnelle. En outre, un trajet en bus, métro ou tramway augmente bien moins que le coût de la cantine scolaire, de l’eau courante ou de l’enlèvement des déchets, souligne l’UTP. Cela n’empêche pas le secteur de subir une importante fraude, évaluée à 500 millions d’euros chaque année, voire un milliard selon certains cadres de la SNCF. Des comportements largement acceptés, si l’on se fie à un sondage Ifop, réalisé en juin dernier, en vue de cette édition de l’Observatoire de la mobilité. À la question « La fraude dans les transports publics est-elle acceptable ? », 52% des personnes interrogées répondent « oui », et même 16% « oui, certainement ». Contrairement aux préjugés, la fraude n’est pas seulement le fait d’une minorité de voyageurs démunis. « Chacun, de temps à autre, se trouve une bonne raison pour frauder », constate Éric Chareyron, directeur de la prospective du groupe Keolis, filiale de la SNCF. Selon les sondés, la fraude est acceptable lorsque les distributeurs sont en panne (64%), que l’usager a des revenus trop faibles (60%), voire pour des trajets de petite distance (32%). « C’est un état d’esprit. Au Japon, une personne qui frauderait ressentirait de la honte », assure Jean-Pierre Farandou, président de Keolis et de l’UTP.
La tentation de la gratuité
Pour réduire la facture, les transporteurs comptent sur les mesures issues d’une loi ad hoc promulguée en mars dernier. Et pour augmenter le taux de recouvrement des amendes, l’UTP prépare une « plate-forme de vérification des adresses ». Avec ces dispositifs, Jean-Pierre Farandou espère « récupérer 200 à 300 millions d’euros ». Il n’empêche que le sondage Ifop confirme le peu de considération du public pour les transports. À la question, « quel service public devrait devenir gratuit ? », 29% répondent « les transports », contre 26% « l’eau », 18% « la distribution d’énergie » ou seulement 3% « la poste ». La gratuité des transports urbains constitue une revendication récurrente de plusieurs mouvements d’extrême-gauche. Mais pas seulement : c’est une réalité, parfois depuis longtemps, dans une trentaine de villes de France, gérées par le PC, le PS ou LR. La tendance progresse même : Dunkerque (divers gauche) ou Niort (LR) ont l’intention d’y passer prochainement. Pour les collectivités, notamment les villes moyennes, la formule est tentante : les recettes ne constituent que 20% du coût total des transports publics, en moyenne. Dès lors, pourquoi ne pas se passer totalement de cette contribution ? La gratuité permet d’économiser des coûts de personnel, tandis que les conducteurs peuvent se consacrer entièrement à leur fonction sans craindre les altercations avec les passagers récalcitrants. La collectivité évite enfin le coût de la billettique, c’est-à-dire la validation numérique des cartes d’abonnement, ou celui de la billetterie, sa version moins moderne, en papier.
Une TVA élevée
Pour autant, l’UTP n’est pas favorable à la gratuité. « Il n’est pas possible d’offrir aux utilisateurs un service qui mobilise des budgets importants », note l’organisation, qui rappelle les coûts d’exploitation du transport public et ferroviaire en 2015 : 8 milliards d’euros, « pour desservir des territoires urbains de plus en plus larges ». Si le voyageur paie moins, c’est « le contribuable qui devra payer davantage », souligne l’organisation professionnelle. Les employeurs, qui paient un impôt assis sur la masse salariale, le « versement transport », se rebiffent lorsqu’on leur demande de contribuer davantage. Ce point de vue est partagé par la Fédération nationale des associations d’usagers (FNAUT), qui s’exprime régulièrement sur la nécessaire contribution des voyageurs au fonctionnement des transports publics. Plutôt que la gratuité, l’UTP prône une baisse de la TVA. Les produits et services de première nécessité, gaz, électricité, produits alimentaires, mais aussi les livres, le théâtre et le cinéma, sont soumis au taux réduit de 5,5%. Or, les transports, qui bénéficiaient du même régime, ont été taxés à 7% en janvier 2012 et même à 10% depuis janvier 2014. Ces hausses successives, sous les gouvernements Fillon puis Ayrault, démontrent l’incapacité des entreprises à se faire entendre des pouvoirs publics. « La mobilité collective n’est pas un sujet qui intéresse les grands élus nationaux », constate, désabusé, Jean-Pierre Farandou. L’UTP ne manque pourtant pas d’arguments. Les transports publics assurent environ 100 000 emplois « pérennes et non délocalisables », ne manquent pas de rappeler les entreprises. Les transports sont aussi présentés, depuis quinze ans, comme un secteur « propre », susceptible de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À condition que l’affluence dans les tramways, métros et bus se traduise par un moindre usage de la voiture individuelle, les transports publics permettent, en effet, d’engager la « transition énergétique » chère à la ministre Ségolène Royal.
Enfin, Keolis, Transdev ou la RATP font partie de ces « champions nationaux » qui vendent leurs services à Casablanca, à Manchester ou à Denver. Ces sociétés sont toujours à l’affût de nouvelles opportunités, quelles que soient les circonstances. Aux Etats-Unis, les projets d’infrastructures annoncées pendant sa campagne par le président Trump constituent « forcément une bonne nouvelle », assure Jean-Pierre Farandou.