Les Safer luttent pour préserver les terres agricoles littorales
Protéger les terres agricoles s'avère encore plus difficile et crucial dans les zones littorales sujettes à l'appétence touristique et au recul du trait de côte. Mais des outils de politique publique efficace existent, témoigne le réseau des Safer.

Sur le littoral, tout est plus extrême. Sur son stand du Salon international de l'agriculture, le réseau des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), organisait une table-ronde consacrée à "L'agriculture littorale sous pression, quelles adaptations pour demain ? Le constat actuel : «la pression de la population et du tourisme, ce qui veut dire artificialisation et disparition des terres agricoles», synthétise Thierry Couteller, directeur de la Safer Bretagne. De plus, une partie du littoral (5 553 km de rivages pour la seule métropole ; 1 213 communes situées dans 23 régions) est sujet au recul du trait de côte. Les chiffres sont parlants : actuellement, le littoral compte 2,4 fois plus d'habitants au km2 que la moyenne française. Il compte aussi 16,5 fois plus de lits touristiques et 2,6 fois plus de terres artificialisées. En outre, 2,5 fois plus de terres agricoles y disparaissent, d'après les chiffres du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. «Les safer sont très impliquées pour préserver ces espaces littoraux », commente Thierry Couteller. À ce titre, elles usent de leur droit de préemption lors de ventes de terres agricoles.
En Bretagne par exemple 80 des 120 préemptions annuelles concernent la zone littorale. «Des communes nous demandent d'intervenir sur de petites surfaces que les propriétaires veulent vendre le plus cher possible, ce qui fait monter les prix.(...) Les communes rachètent et font des lots qui peuvent être repris pour la vigne ou l'ostréiculture », témoigne Jean-Paul Touzard, président de la Safer Bretagne.
Outre les communes, la Safer collabore aussi avec d'autres acteurs locaux concernés par ces enjeux. Parmi eux, le Conservatoire du littoral, chargé de la préservation écologique et patrimoniale de 18 % du linéaire côtier sur quelque 840 sites (218 000 hectares). Et aussi, des professionnels comme le Comité national de conchyliculture. Ce dernier regroupe environ 4 000 éleveurs de coquillages ( huîtres creuses, plates, moules...) répartis sur le littoral de l’Hexagone, depuis la frontière belge jusqu'à la Corse. Ils ont besoin d'espaces en mer et aussi de terrains à proximité du rivage où sont implantés bassins et bâtiments de production où les coquillages sont lavés, triés...
Huîtres, chambres d'hôtes... ou friches
«Il y a une dizaine d'années, nous nous sommes rendu compte que les espaces terrestres quittaient la profession. Ils étaient vendus à des non professionnels qui les transformaient en maisons privées, les pieds dans l'eau », explique Philippe Le Gal, président du Comité national de conchyliculture. Lequel s'appuie sur les Safer et leur droit de préemption pour bloquer le processus. Depuis 2019, la loi a élargi ce droit : dans les zones littorales, les safer sont autorisées à préempter des bâtiments affectés à une activité agricole ou à une culture marine au cours des 20 dernières années. Auparavant, le délai était de cinq ans, une durée beaucoup trop courte au regard de la potentielle valorisation économique du terrain. Avec la nouvelle loi, « cela fonctionne très bien », commente Philippe Le Gal.
Sur le littoral, les intérêts des Safer croisent aussi ceux du Conservatoire du littoral. Les deux sont liés par une convention cadre. «Notre objectif est de poursuivre ce travail avec les Safer», note Philippe Van De Maele, directeur général du Conservatoire du Littoral. En particulier, il compte sur elles pour aider le Conservatoire à repérer des agriculteurs susceptibles d'être intéressés par l’exploitation de terres qui sont sous la protection du Conservatoire : 16% de la surface qu'il possède a une vocation agricole et est exploitée dans le cadre de conventions d'usage. Le Conservatoire en a noué un millier avec des agriculteurs. Toutefois, en dépit de ces collaborations, Paul Arnold, directeur adjoint de la Safer Nouvelle-Aquitaine, souligne les « tensions » qui naissent de la nécessité de concilier usages agricoles et préoccupations environnementales, sur fond de recul du trait de côte.
La perspective d'une raréfaction du foncier, avec des parcelles qui vont être submergées, s'impose. «Il est indispensable d'anticiper», prévient Paul Arnold. Parmi les autres difficultés soulignées par les intervenants de la table-ronde, «des trous dans la raquette» que constitue la loi de 2019, pointe Jean-Paul Touzard. «L'imagination humaine pour détourner la loi est débordante. Il faut une vigilance de tous les jours», renchérit Philippe Le Gal. En revanche, il existe peu de solutions pour éviter la prolifération des petites friches dans le Morbihan, fruit d'une politique de rétention de propriétaires qui rechignent à vendre leur bien au prix des terres agricoles.