Les parents d'élèves, dernier rempart pour empêcher des enfants de dormir dans la rue
"Je m'attendais à organiser des kermesses, pas à accrocher des banderoles ou payer des nuits d'hôtel": face aux carences de l'hébergement d'urgence, des parents d'élèves sont propulsés en première ligne pour loger...
"Je m'attendais à organiser des kermesses, pas à accrocher des banderoles ou payer des nuits d'hôtel": face aux carences de l'hébergement d'urgence, des parents d'élèves sont propulsés en première ligne pour loger les camarades, sans toit, de leurs enfants.
À Bordeaux, Gaëlle Obergfell et d'autres se sont cotisés pendant des semaines pour éviter qu'une famille albanaise avec deux enfants ne se retrouve à la rue.
"On ne pouvait pas faire ça éternellement. On est épuisés aussi" par cette "responsabilité immense qu'on n'a pas les moyens de porter", soutient-elle.
Mercredi, une trentaine de parents et enseignants ont donc décidé d'occuper "jusqu'à ce qu'une solution d'hébergement soit trouvée", l'école maternelle du Pas Saint-Georges, au cœur de Bordeaux.
"Des familles sans logement dorment ici", pouvait-on lire sur une banderole.
"On est complètement démunis. Quand les familles viennent nous voir, souvent elles ont épuisé tous les recours. Et nous, on toque à des portes déjà fermées, on galère pour comprendre la législation, trouver les bons interlocuteurs", explique une autre mère, Johanna Bisac.
Selon la directrice de cette école, 21 élèves sur 116 sont "domiciliés", c'est-à-dire sans logement fixe.
Plus de 2.000 en France
Dans l'école élémentaire voisine, ils sont 27 sur 145. Soit plus d'un enfant sur cinq, s'indignent les parents d'élèves.
En France, plus de 2.000 enfants dormaient dans la rue mi-août, selon Unicef France et la Fédérations des acteurs de la solidarités (FAS).
En ajoutant ceux qui vivent en squat, bidonville ou à l'hôtel, ils sont beaucoup plus nombreux à ne pas avoir de toit fixe, alertent les associations.
Maria, 7 ans, vit ainsi provisoirement avec sa mère Yohanna dans une petite chambre d'hôtel du nord de Bordeaux.
Il y a un an, cette Roumaine de 37 ans "sombre dans un cauchemar", quand son mari les abandonne.
"Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans l'aide des mamans de l'école de ma fille. Elles ont négocié avec le propriétaire de l'appartement pour qu'il passe l'éponge sur 5.000 euros d'impayés si je libérais immédiatement le logement" et géré les formalités administratives (RSA, hébergement, emploi), raconte-t-elle.
Petits tuyaux
Céline Avcu, parent d'élève à l'école des Menuts dans un quartier populaire de Bordeaux, dit être "devenue assistante sociale à la place des assistantes sociales" pour aider les familles en détresse, après avoir souffert elle-même du mal-logement.
"On leur donne des petits tuyaux, où trouver à manger et se faire soigner gratuitement, quelles associations contacter, et le 115 à appeler encore et toujours... Et quand il n'y a pas de solution ? On pleure", soupire la quadragénaire.
"On ne peut pas faire ça indéfiniment, ce n'est pas aux parents d'élèves de gérer ça", insiste Hélène Abinal-Ulloa, qui a hébergé un temps la famille géorgienne d'une copine de sa fille. Prête néanmoins à recommencer car "savoir des enfants à la rue, ce n'est juste pas possible".
Le Réseau éducation sans frontières (RESF) de Gironde estime le nombre d'enfants sans domicile à "plus d'une centaine" à Bordeaux, en grande majorité des étrangers, souvent en séjour irrégulier.
"L'État est ultra défaillant" dans son rôle qui est de proposer un hébergement d'urgence inconditionnel, s'offusque Gérard Clabé, membre du RESF 33.
"Dans la limite des places disponibles", répond la préfecture de Gironde, indiquant qu'"actuellement, plus de 1.900 places d'hébergements sont ouvertes, dont 60% entièrement dédiées aux familles avec enfants".
Mais "l'accès au logement (pérenne, NDLR) reste conditionné à la régularité du séjour", précise-t-elle, évoquant comme solution "l'aide au retour volontaire au pays proposée avec l'accueil dans un centre d'hébergement" spécialisé.
De squat en squat
Une option inenvisageable pour des familles qui disent vouloir juste offrir un quotidien serein à leurs enfants, loin d'un pays qu'elles ont fui pour des raisons différentes.
"Je n'ai pas peur de l'avenir, j'ai perdu la peur en venant en France", explique Klodjana, menacée de mort par son premier mari.
Dans l'attente d'une régularisation, cette Albanaise de 38 ans, arrivée en France en 2018, est hébergée par le Département dans un petit studio hôtelier en périphérie de Bordeaux avec ses enfants.
Au réveil, sa fille de trois ans et son garçon de 19 mois avalent quelques bonbons pour tenir jusqu'à l'heure du repas. Puis, calés dans une grande poussette, ils passent une heure dans le bus, direction l'école et la crèche.
Ce studio offre un répit à Klodjana après des années d'errance, de squat en squat, et des expulsions "traumatisantes" alors qu'elle était enceinte ou avec ses nouveaux-nés.
Car le Département doit prendre en charge l'hébergement d'urgence de familles sans ressources avec un enfant de moins de trois ans.
Celui de Gironde faisait parfois même "des dérogations au-delà (...) mais l'état de nos finances ne nous le permet plus", précise-t-il, pointant des coûts de l'hébergement d'urgence qui ont bondi de 4 à 6,5 millions d'euros en moins d'un an.
Dans tout Bordeaux
La mairie, souvent sollicitée en dernier recours, peut "mettre à l'abri des familles" dans des hôtels en cas "d'urgence particulière", explique Harmonie Lecerf Meunier.
"Mais on fait aussi dans la limite de nos finances et on a déjà énormément augmenté les budgets", souligne l'adjointe au maire chargée de l'accès aux droits, des solidarités et des seniors.
Dans la salle réquisitionnée par les parents d'élèves de l'école du Pas Saint-Georges, des mères installent matelas et couvertures pour héberger la famille albanaise. D'autres apportent quiches et gâteaux.
Pour Gaëlle Obergfell, "participer à ces actions permet aussi à nos enfants de se confronter à la dure réalité de la vie, ça les sort de leur petit cocon bourgeois".
"La problématique existe dans tout Bordeaux", ajoute-t-elle. Un groupe Whatsapp a été créé avec des parents d'autres écoles afin "d'unir nos forces et espérer faire bouger les choses".
Dans un coin, à l'écart des dizaines de personnes venues les soutenir, les parents albanais pleurent en silence, émus par l'élan de solidarité.
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