«Les mécènes se concentrent sur l'aide d'urgence en Ukraine»
En première ligne lors de la pandémie de Covid, les entreprises mécènes semblent aujourd’hui plus démunies face à la guerre en Ukraine. Demain, quel sera leur rôle dans une éventuelle intégration des réfugiés ? Le point avec Diane Abel, responsable de la communication et des études chez Admical, association qui réunit les entreprises mécènes en France.
Lors de la crise de la Covid-19, les entreprises mécènes ont réagi rapidement et massivement. Quelle est leur attitude face à la guerre en Ukraine ?
La situation actuelle est complètement différente. En 2019, avec la pandémie, les entreprises se sont mobilisées de multiples manières, y compris en fabriquant des masques, du gel hydroalcoolique... Les mécènes ont été moteur dans cette crise qui se déroulait en France, et où ils étaient en mesure de mener des actions que ne pouvait pas réaliser l’État. Aujourd'hui, les circonstances restreignent considérablement leurs possibilités d'action. Ce sont les institutions publiques et les grandes ONG qui se trouvent en première ligne ; les entreprises se positionnent en soutien. Par ailleurs, traditionnellement, la solidarité internationale ne fait pas partie des domaines prioritaires du mécénat. Elle représente 5 % du budget. Il ne s'agit donc pas d'un champ où les mécènes détiennent une expertise forte. Et de toute façon, même les plus expérimentés qui interviennent dans des zones de tension, ne sont pas habitués à un tel contexte de guerre.
Sur quelles causes se concentre l'aide des mécènes ?
Pour l'essentiel, les mécènes se concentrent sur l'aide d'urgence. Ils apportent une contribution financière et matérielle aux grandes ONG présentes sur le terrain, en Ukraine et dans les pays limitrophes. Par exemple, la Société Générale a donné 2 millions d'euros à la Croix Rouge et à la Fondation de France. D'autres soutiennent Médecins du Monde, le Secours Populaire... Les mécènes soutiennent aussi les institutions, comme la Fondation SNCF avec le UNHCR, le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés. La Fondation Raja, très engagée pour la cause des femmes, vient en aide à celles qui fuient l'Ukraine. Elle a débloqué 50 000 euros pour l'ONG le Centre des droits des femmes de Pologne. Il existe aussi des initiatives plus spécifiques : la Fondation CMA CGM, qui émane d'une compagnie de transports, a mis à disposition un avion-cargo pour acheminer des biens de première nécessité en Pologne. Au total, le Centre français des fonds et fondations a recensé 166 millions d'euros de dons réalisés par 41 fondations en Europe. Mais une part de la mobilisation échappe aux regards. Par exemple, si les PME orientent rarement leur mécénat vers l'international, cela n'empêche pas le geste spontané d'un dirigeant.
La guerre provoque une onde de choc dans le monde entier, durable et lourde aux conséquences diverses. Quel pourrait être l'engagement des mécènes, demain ?
Comme pour nous tous, il est difficile pour les mécènes d'avoir une vision de la situation sur le moyen terme. Toutefois, au-delà de l'urgence humanitaire, la guerre en Ukraine soulève des problématiques très diverses. Aujourd'hui, déjà, avec les départs des Ukrainiens de leur pays, apparaissent les risques liés au trafic d'êtres humains, ce qui pose la question de leur accompagnement. Après, il y a également l'enjeu de l'accès à leurs droits lorsqu'ils arrivent dans un pays. Le sujet de l'intégration, lui, est un peu prématuré : nous sommes au cœur de la crise, dont la gestion appartient aux pouvoirs politiques. Mais il est certain que dans quelques mois, les mécènes vont apporter leur réflexion sur ce thème. Ils peuvent aller vers le soutien à des associations qui accompagnent les réfugiés ou leur inclusion par l'embauche. Depuis 2015, déjà, des mécènes sont mobilisés sur ces sujets. Mais pour l'instant, la situation demeure vraiment très incertaine : combien de temps va durer la guerre, les réfugiés vont-ils rester ou repartir ?... Une autre cause majeure émerge aussi, celle de la sécurité alimentaire : l'Ukraine étant un important producteur agricole, la guerre sera lourde de conséquences dans le monde entier. Ces sujets sont susceptibles de mobiliser les fondations comme celle de Daniel et Nina Carasso, dont l'alimentation constitue l'une des priorités.
Propos recueillis par Anne DAUBRÉE