Les Hauts-de-France à l’épreuve de la réindustrialisation

Alors que la réindustrialisation est revenue au centre des débats notamment depuis la pandémie, Bpifrance LeLab, laboratoire d’idées des PME-ETI, dévoile une étude sur le phénomène de réindustrialisation, un enjeu de taille pour les Hauts-de-France, berceau historique de l’industrie textile et métallurgique. Le territoire régional est-il capable de relever le défi ? Quel est son potentiel de développement industriel ? Et quelle est la stratégie régionale pour mener à bien la réindustrialisation ? Décryptage.

Pour accomplir l’objectif de réindustrialisation, il faudrait créer entre 50 000 et 67 000 emplois industriels supplémentaires par an entre 2024 et 2035. © Barbara Grossmann
Pour accomplir l’objectif de réindustrialisation, il faudrait créer entre 50 000 et 67 000 emplois industriels supplémentaires par an entre 2024 et 2035. © Barbara Grossmann

La politique de réindustrialisation est un enjeu majeur pour l’économie française. Si la marche s’avère haute, elle reste cependant atteignable, c’est en tout cas l’enseignement principal à tirer de l’étude de Bpifrance Lelab, qui a mobilisé un large panel de données - 32 séries d'indicateurs - notamment auprès de 3 000 industriels en France.

À horizon 2035, la réindustrialisation représenterait jusqu’à 800 000 emplois supplémentaires dans l'Hexagone et contribuerait à hauteur de deux points de plus dans le PIB français. «Le tissu industriel existant, avec des prévisions de croissance moyenne du chiffre d’affaires de l’ordre de 4% par an, représenterait 70 % des efforts à tenir, il reste donc 30% à trouver» indique Philippe Mutricy, directeur des études de BPI France. Le tiers restant devrait ainsi passer par des créations d’entreprises et des projets d’implantation d’entreprises internationales sur le territoire. Avec 110 investissements directs étrangers (IDE), les Hauts-de-France captent 9% des IDE accueillis par la France en 2023. On retrouve notamment les gigafactories de batteries électriques, ProLogium à Dunkerque, ACC à Billy-Berclau et Douvrin ou encore GSK Vaccines dans la production de vaccins à Saint-Amand-les-Eaux. Pour les autres régions françaises, il en est autrement : ce sont plutôt des extensions de sites industriels déjà existants qui contribuent à la réindustrialisation.

Pour accomplir l’objectif de réindustrialisation, il faudrait créer entre 50 000 et 67 000 emplois industriels supplémentaires par an entre 2024 et 2035. Un objectif ambitieux mais réalisable selon les experts : «Ce sera difficile mais possible. Malgré les vents contraires, on continue d’y croire. La réindustrialisation a commencé en 2018 et se poursuit, elle ne va pas se résumer en mois mais bien sur le long terme» témoigne Philippe Mutricy.

Foncier et popularité, deux atouts importants

Chaque territoire présente son lot de forces et de faiblesses. Parmi les nombreux atouts du territoire régional, le foncier s’avère être un énorme avantage. «La région dispose d’un réservoir de foncier considérable. De nombreuses régions sont confrontées à la problématique de foncier, c’est tout le contraire dans le Nord». Il s’agit donc d’un terrain idéal, doté d'un réseau important d’infrastructures, pour accueillir de futures ETI ou gigafactories. L’étude met en avant également l'atout du capital écosystémique. En effet, porté par 85% des Français, la réindustrialisation bénéficie d’une forte popularité en France mais surtout en Hauts-de-France. «Le capital écosystémique est très élevé ce qui signifie que les citoyens y sont plus favorables à l’implantation de sites industriels que la France entière. À titre d’exemple, la réindustrialisation bénéficie d’une image positive à 70% en Hauts-de-France contre 30% en Provence Alpes Côte d’Azur» appuie Bpifrance. Cela s'explique également par la présence d'entreprises historiques depuis des générations sur le territoire. Le facteur environnemental penche également en faveur de la Région globalement épargnée par les catastrophes naturelles mis à part l’Audomarois confronté ces derniers mois à de graves épisodes d’inondation.

Une main d’œuvre conséquente

Si les acteurs industriels peinent toujours à recruter, ils s’appuient tout de même sur un vivier important de main d’œuvre. L’étude révèle en effet que les tensions liées au marché de l’emploi sont nettement plus fortes dans les autres régions. Les Hauts-de-France disposent également d’un appareil puissant de formation industrielle avec 9 écoles de production. «La réindustrialisation va passer par la formation, c’est une des choses les plus importantes» estime Matteo Szmidt, économiste. Côté jeunes pousses, les Hauts-de-France captent 151 sièges de start-up industrielles en 2023, soit 6% des sièges des 2523 start-up industrielles françaises. De la licorne industrielle Exotec (automatisation d’entrepôts logistiques) à Croix, en passant par Copalis (production d’actifs naturels marins) au Portel, Nord-Pal-Plast (recyclage de PET) à Lesquin, Genfit (biotechnologies) à Loos ou encore MC2 Technologies (micro et nano technologies) à Villeneuve d’Ascq, toutes ces start-up prometteuses contribueront dans les années à venir à de la création d'emploi sur le territoire. Si les grandes villes notamment la métropole lilloise concentrent les talents, l'enjeu des industriels est d'attirer les candidats vers les zones rurales.

«Potentiel de réindustrialisation énorme»

Si la région a connu une chute spectaculaire d’entreprises industrielles (9 fermetures nettes en 2023) à l'instar de Synthexim dans la pharmaceutique à Calais, Meccano dans les jouets à Calais ou encore Labeyrie dans la confection de sushis à Boulogne-sur-Mer, il faut cependant prendre en compte les ouvertures de sites qui viennent rééquilibrer la balance. Le fabricant nordiste de vélos Origine Cycles s'est implanté à Rouvignies, Cérélia spécialisé dans les pâtes à cuire s'est installé à Saint Laurent-Blangy et Inblue expert dans les microalgues a posé ses valises à Douvrin. Le territoire reste malgré les fermetures un véritable terreau industriel puisqu'il capte 9% de la valeur ajoutée industrielle totale de la France. «La réindustrialisation ne remet absolument pas en cause le potentiel industriel. La filière industrielle connaît une véritable transformation, tout doit être restructuré à l’image de l’industrie automobile face à l’électrique et l’enjeu des batteries. Nous rentrons dans une période difficile de restructuration et cela ne va pas se résumer en quelques mois. Il n'y a pas d’inquiétude à avoir quant aux fermetures car il y a beaucoup de projets d'ouverture en cours. On l'a vu, la région arrive avec succès à accueillir et implanter de gros sites comme les gigafactories». 

D'ici les dix prochaines années, la production de batteries, la pharma, le textile et l’agroalimentaire représenteraient les secteurs les plus stratégiques en matière de réindustrialisation. «Toutes les régions sont capables de relever le défi de la réindustrialisation, chacune a sa manière. Mais il existe un potentiel de réindustrialisation énorme en Hauts-de-France et dans l’Est» conclut Matteo Szmidt, économiste et responsable d’études stratégiques.

L'industrie en Région Hauts-de-France en chiffres 

9% de la valeur ajoutée industrielle totale de la France en 2021
9% des investissements directs étrangers (IDE) accueillis par la France en 2023
6% des sièges de start-ups industrielles en 2023
L'agroalimentaire (25%), la métallurgie (19%), et la plasturgie (10%) représentent encore actuellement à eux trois 54% de l'industrie manufacturière régionale et concentrent la majorité des établissements industriels de la région
4% d'emplois industriels entre 2015 et 2022
9 fermetures nettes de sites industriels en 2023
De nombreux projets d'ouvertures de sites industriels en cours (difficiles à quantifier)