Les fondations actionnaires, outil de transmission d'entreprise révolutionnaire

Les fondations actionnaires sont encore rarement utilisées en France. Au Medef, témoignage d'entrepreneurs qui ont opté pour cette solution, afin de transmettre leur société, renonçant à leurs actifs au profit de valeurs. Avec l'accord de leurs enfants. Une autre vision de l’entreprise.

(c) Adobe Stock
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Dans le panorama des outils de transmission d'entreprises, elles font un peu figure d'éléphant blanc. Le 13 février, à Paris, une table ronde était consacrée aux fondations actionnaires, dans le cadre du colloque « Quelle gouvernance pour réussir sa transmission d'entreprise familiale ? », organisé par le Medef. Définies par la loi Pacte de 2019, ces fondations reconnues d'utilité publique sont conçues pour loger tout ou partie des actifs des dirigeants de manière irréversible, préservant l'entreprise de tout rachat non voulu. Cette solution a pour effet de sanctuariser une éventuelle stratégie engagée sur le plan social ou environnemental, mais peu rentable sur le court terme. Particularité non négligeable, la fondation d'utilité publique suppose que le dirigeant se dépossède de ses titres. Ils ne les vend pas, il les donne. Cela implique une exonération des droits de mutation, mais aussi, une renonciation au produit de la vente et aux revenus du capital.

Mettre sur pied une fondation actionnaire résulte donc d'une démarche et d'une vision de l'entreprise particulières, illustrent les témoignages de deux dirigeants. Dont Yann Rolland, qui était à la tête d'une ETI nantaise, Cetih, spécialisée dans la construction de portes d’entrée et de fenêtres (307 millions d’euros de chiffre d’affaires, sept usines en France). Lorsqu'il a souhaité se retirer de son entreprise dont il détenait une légère majorité des parts, l'option de la reprise familiale n'était pas vraiment envisageable. Céder la société au meilleur offrant ? Pas vraiment le style de cet entrepreneur engagé qui avait déjà largement ouvert le capital de l'entreprise aux salariés et mis en œuvre de nombreuses mesures pour réduire son empreinte environnementale. «L'option d'une fondation actionnaire m'a semblé évidente. L'entreprise était performante et valait beaucoup d'argent. J'avais le sentiment qu'il ne me revenait pas, que cela n'avait pas de sens», témoigne Yann Rolland. Lui a opté pour une solution «tripartite» de la répartition du capital de l'entreprise, après avoir donné le statut de société à mission à Cetih. Le fonds de dotation familial Superbloom, dont il préside le conseil d'administration reste majoritaire (35%) et destine ses dividendes à la philanthropie, des salariés détiennent 33% du capital et des investisseurs, 32%.

«Quelques millions d 'euros ? Non merci»

Autre témoignage, celui de Nicolas Chabanne, l'un des deux fondateurs de "C'est qui le patron ?!". L'entreprise, née en 2016 réalise à présent un chiffre d'affaires de 126 millions d'euros. Elle se base sur un principe : rémunérer les agriculteurs à un niveau suffisant pour qu'ils se payent convenablement et qu'ils puissent investir dans leurs exploitations. «À titre personnel, je n'arrive pas à imaginer une aventure qui ne soit pas collective. Je gagne bien ma vie, mais je n'ai pas envie de capitaliser. Mon bonheur est plutôt de partager», explique Nicolas Chabanne. En mettant sur pied une fondation actionnaire, il s'assure de la continuité de la démarche initiée avec les producteurs il y a près de dix ans. Et les enfants ? La loi Pacte n'a pas remis en cause le droit de succession, et avec lui, la réserve héréditaire qui garantit à tout héritier une part de la succession : impossible de déshériter sa progéniture au profit d'une fondation.

À en suivre les témoignages de Yann Rolland et Nicolas Chabanne, leur choix ont été compris et partagés par leurs enfants respectifs. Lesquels ont accepté sans heurts de renoncer à des héritages conséquents. «Mes enfants m'ont demandé pourquoi je n'avais pas fait cela plus tôt», témoigne Nicolas Chabanne. Cette attitude se propage-t-elle au sein des nouvelles générations qui seraient porteuses d'une autre vision de l'entreprise ? Le patron de "C'est qui le patron ?!" s'en fait l'apôtre, démystifiant le rêve de «finir multimillionnaire, c'est à dire l'homme le plus riche du cimetière ! (…) Penser à la planète, faire une fondation... c'est un super modèle».

Certains le suivent : à l'initiative de leurs 14 associés, six petites sociétés de conseil engagées (2,5 millions d'euros cumulés) ont créé et cédé leur capital à un fonds de dotation actionnaire, Fly. Yann Rolland, lui, préside le réseau DE FACTO qui réunit les fondations actionnaires en France. Parmi elles, le Fonds Archimbaud pour l’Homme et la Forêt, créé en 2016 par le groupe Archimbaud, producteur de planchers à palettes et de pellets pour l'énergie biomasse. Ou encore, le fonds de dotation actionnaire FICUS, Fonds de soutien aux initiatives citoyennes utopiques et solidaires, créé en 2021 par La Compagnie Léa Nature, fabriquant de produits biologiques. Très nombreuses en Europe du Nord (Rolex, Ikea, Lego... ), les fondations actionnaires restent rares en France.