Les entreprises tardent à électrifier leurs flottes de véhicules. Que faire ?
L’électrification des flottes de véhicules d’entreprise ralentit en France depuis quelques mois. Le pays paraissait pourtant bien parti sur la voie du « verdissement » de son parc d’automobiles professionnelles. Où en est-on ?
Certaines études (rarement indépendantes) soutiennent encore que la France serait bon élève. Pas sûr. Elle arriverait à la 11ème place en Europe, derrière l’Allemagne. L’enjeu n’est pas neutre vu l’urgence climatique. Car le transport, avec 30% des émissions de gaz à effets de serre, est la première source à l’origine du réchauffement climatique chez nous. Pour l’Hexagone, cela représente environ 115 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2eq). Les 4/5èmes proviennent du transport terrestre (source CITEPA, France, 2024). C’est le double de l’industrie ou de l’agriculture. Et le secteur du transport est celui qui réduit le moins vite ses émissions (-2% seulement par rapport à 2022).
Des engagements non tenus
Les flottes de véhicules d’entreprises pèsent lourd dans la balance : 60% des achats de véhicules neufs en France (source Arval Mobility Observatory), si l’on inclut les véhicules des loueurs et les locations/achats ou leasing. A eux seuls, les véhicules utilitaires légers (VUL) représentaient 6,4 millions de véhicules sur les 39,3 millions qui circulaient en France en janvier 2023. Et comme les professionnels sont de « gros rouleurs » ( deux fois plus de km que les particuliers), ils génèrent 74% des émissions de gaz à effet de serre du parc automobile.
Ainsi, les engagements de la France (cf. la « Stratégie nationale bas carbone ») risquent de ne pas être tenus : -40% des émissions d’ici à 2030, et décarbonation complète du transport routier en 2050. Il faudrait qu’en 2030 (dans cinq ans et quelques mois…) les véhicules 100% électriques représentent 15% du parc roulant, contre 3% aujourd’hui (source : The Shift Project).
Vers un cadre législatif plus coercitif ?
Le cadre législatif actuel en France incite peu à l’électrification des véhicules professionnels, faute de sanctions et d’ambition. Il s’agit de la loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 qui a été durcie, mais ne concerne que les flottes dépassant 100 véhicules, c’est à dire pas plus de 3 500 entreprises - lesquelles, il est vrai, pèsent 61% du marché du neuf, soit 1,2 million de voitures en 2023 (source Transport & Environnement). Ces entreprises (dont celles du leasing) sont censées appliquer un quota progressif de véhicules électriques dans le renouvellement de leur flotte : non plus de 10%, mais de 20% de leurs achats en 2024, puis 70% en 2030 et 95% en 2032. Or, 60% de ces grandes entreprises ne jouent pas le jeu, alors que des aides publiques subsistent (après rognement en février 2024, il est vrai) : bonus de 3 000 euros (sauf voitures de direction), prime de conversion, exonération ou réduction des taxes TVS et sur la carte d’immatriculation. Médiocre bilan : en juin 2024, seulement 8% de leur flotte automobile (donc supérieure à 100 véhicules) était électrifiée ; et pour l’ensemble des flottes d’entreprises (de toutes tailles), on ne dépasse pas 1,7% du parc (soit moins d’un million d’unités). En 2023, 14,1% seulement des véhicules achetés en France par les entreprises étaient électriques.
Et, pourtant, les véhicules hybrides rechargeables, qui sont majoritaires, sont encore acceptés pour le moment comme « électriques » (seuil de 50 g de CO2//km), alors que les études montrent que sur des trajets moyens par jour de 160 à 300 km, la motorisation électrique est très peu et mal utilisée (difficultés de recharge, entre autres raisons).
On attend également de vérifier l’exemplarité de grands groupes qui jouent leur image de marque en rejoignant des collectifs comme EV100 (Astrazeneca, Atos, Capgemini, DHL, EDF, Ikea, Metro, Schneider Electric, Siemens, Unilever...) ; ils se sont engagés à « verdir » 100% de leur flotte automobile d’ici à 2030.
Les freins invoqués
Beaucoup de chefs d’entreprise invoquent le surcoût des véhicules électriques (qu’ils préfèrent européens à 70%). Le comparatif TCO Scope d’Arval (filiale de BNP Paribas, sept. 2024) montre effectivement que le coût moyen global (sur 48 mois, 100.000 km) est de 0,377 € TTC/km pour l’électrique, contre 0,288 € pour le thermique. Explication : si le coût énergétique total penche clairement en faveur de l’électricité (5 500 €) contre le carburant (13 277 €), en revanche, le prix catalogue moyen d’un véhicule utilitaire électrique serait de 41 189 € contre 30 427 € pour le thermique. A valider, car des constructeurs commencent à proposer des utilitaires électriques à moins de 15 000 euros…
Ce même comparatif conclut à la « pertinence des modèles électriques face aux thermiques », mais que pour les véhicules particuliers. L’étude revient aussi sur les avantages des motorisations GPL ; or, celles-ci rejettent entre 120 et 150 g de CO2/km, soit à peine 15 à 20% de moins que le thermique…
Faute de subventions, la coercition ?
Faute d’aides de l’Etat (cf. le déficit à résorber), comment relancer le marché de l’électrique ? Sera-ce une législation plus contraignante ? Mi-septembre, Gérard Leseul, député PS de Seine-Maritime, a demandé à la nouvelle Assemblée Nationale la reprise des travaux d’une mission « flash » sur le verdissement des flottes de véhicules (dont il était co-rapporteur). Début 2025, une nouvelle proposition de loi pourrait émerger, plus consensuelle que celle soumise en avril par l’ex-député Damien Adam, mais plus contraignante que la loi LOM.
De son côté, l’UE a ouvert une consultation publique mi-2024 évoquant de nouvelles normes environnementales et portant sur le bilan CO2 total depuis la fabrication jusqu’au recyclage, sur l’efficacité énergétique globale, donc sur des véhicules moins lourds, sur des alternatives aux modèles SUV trop consommateurs d’énergie, etc. La réponse des constructeurs européens comptera beaucoup pour susciter une nouvelle dynamique.
The Shift project, comme l’ADEME, Agence de la transition écologique, souligne que diverses mesures peuvent être prises : stimuler le marché de l’occasion (potentiel de deux millions de véhicules d’entreprise, dans les trois à quatre ans à venir), diminuer les kilomètres parcourus, opter pour des modes de transports alternatifs et mutualisés et moins carbonés (cf. vélos cargos, etc.).
En clair, susciter aussi une transformation des usages, avec une évolution vers plus de sobriété.