Les enjeux d’une levée de fonds

De g. à dr., les avocats intervenants : Harry Allouche et Arnaud Touati, d’Alto Avocats, et Christophe Delahousse, d’Angle Droit Avocats.
De g. à dr., les avocats intervenants : Harry Allouche et Arnaud Touati, d’Alto Avocats, et Christophe Delahousse, d’Angle Droit Avocats.
D.R.

De g. à dr., les avocats intervenants : Harry Allouche et Arnaud Touati, d’Alto Avocats, et Christophe Delahousse, d’Angle Droit Avocats.

Dans le cadre du programme “Les rendezvous de la finance”, la CCI Artois a organisé dernièrement, avec les cabinets Alto Avocats et Angle Droit Avocats, un atelier sur les aspects juridiques de la levée de fonds. En effet, tout entrepreneur est amené, dans les différents stades de la vie de son entreprise, à considérer la pertinence d’une levée de fonds. Pour mener à bien cette réflexion, les intervenants ont décrit avec pertinence les différentes étapes à dérouler.

Conditions et conséquences de l ’ intégration au capital de nouveaux investisseurs. Me Christophe Delahousse a exposé les conditions et les consé- quences de l’intégration au capital de nouveaux investisseurs. Pour s’interroger sur la pertinence d’une levée fonds, il faut avoir à la base une entreprise éligible avec un vrai besoin d’apport capitalistique. La levée de fonds est à considérer dans le cas où le recours aux aides publiques et aux produits bancaires traditionnels ne suffit pas ou plus à financer le projet de développement que l’on connaît avec son rythme imaginé et son ambition. Ce qui est souvent le cas des entreprises innovantes à fort potentiel de croissance.

Si l’entrepreneur a un projet cohérent par rapport à son stade de développement et que son entreprise correspond aux critères recherchés par les investisseurs, il faut que ce dernier accepte le partage du capital avec un nouvel investisseur qui siégera dans les organes de décision et avec qui il faudra s’accorder sur certaines décisions stratégiques. Il conviendra également d’envisager l’exigence de sortie de l’investisseur (impérative pour les fonds d’investissement) et donc la possibilité d’une vente totale de l’entreprise dans un délai de cinq ans. Enfin, il faudra orienter la stratégie vers une création rapide de valeur, étant donné que l’objectif du fonds est de faire un multiple maximum de son investissement entre son entrée et sa sortie.

Identification des investisseurs pour son projet. En ce qui concerne l’identification des investisseurs pertinents, il faut rappeler que les levées de fonds ne se font pas avec les mêmes investisseurs selon le stade de maturité de l’entreprise. Me Harry Allouche a rappelé que le parcours de la levée de fonds est celui d’un combattant. Le nombre d’entreprises “innovantes” en France souhaitant renforcer leurs fonds propres chaque année est de l’ordre de 15 000 (source rapport Bannock). Or le nombre d’opérations correspondant à de nouveaux investissements de fonds de capital-risque ou de business angels sur une année est très nettement infé- rieur au millier. En d’autres termes, ce sont les investisseurs qui détiennent le pouvoir de marché, ont le choix parmi des milliers de projets proposés spontanément chaque année et ne seront jamais en position de se dire qu’ils vont passer à côté d’une opportunité exceptionnelle quand on leur présente une société. Au moindre doute, ils arrêtent le processus d’étude du dossier et consacrent leur temps à un autre projet.

Me Allouche indique que le choix du timing est une phase essentielle pour la réussite de la levée. Le meilleur moment pour rechercher des fonds de capital-risque est lorsque son entreprise démontre des signes de “traction” forts. Dans le langage des start-up, ce sont des signes que l’entreprise décolle, la “traction” se matérialisant par des éléments chiffrés témoignant idéalement de la croissance du chiffre d’affaires, du nombre de clients, de visiteurs, d’inscrits, de téléchargements quand il s’agit de projets web ou mobile.

À tous cesstades, Me Arnaud Touati a rappelé que l’aide de conseils est recommandée, afin de bâtir divers documents incontournables, constitués classiquement par une pré- sentation résumée d’un projet (pitch), d’une entreprise ou d’une personne d’une dizaine de pages pour une présentation live, une synthèse de quelques pages du business plan (executive summary) qui présente les points clés de l’entreprise, un business plan d’une vingtaine de pages expliquant l’état d’avancement de l’entreprise, son projet de développement et les financements recherchés correspondants, et un modèle financier faisant apparaître le besoin de financement. Tout ceci pour décrocher le premier rendez-vous avec un chargé d’investissement ou un directeur de participation. L’enjeu est de délivrer les messages clés de son pitch en s’assurant que l’interlocuteur les a reçus et intégrés. Obtenir le premier rendez-vous avec un interlocuteur de poids dans le fonds est évidement un élé- ment favorable. Il s’agit dans cet exercice d’anticiper les remarques négatives que pourrait faire un investisseur concernant la start-up.

Valorisation de l’entreprise. A la question classique concernant la valorisation de l’entreprise, il est prudent de ne pas évoquer de chiffres et de rassurer l’interlocuteur sur l’ouverture à la discussion en la matière. Donner une valeur à ce stade est contreproductif pour la suite. Si le chef d’entreprise a une valeur en tête beaucoup trop haute, cela sera rédhibitoire pour le fonds, une trop basse et cela peut griller une négociation future. Il faut laisser venir les fonds et ne parler valorisation que lorsqu’un fonds est sur le point d’émettre une lettre d’intention. Si un fonds est intéressé, il proposera une lettre d’intention (term sheet), document précisant les conditions envisagées du deal. Il y sera question de valorisation “pré-money”, valeur éventuellement variabilisée en fonction d’objectifs à atteindre sur laquelle les entrepreneurs et les investisseurs s’accordent avant l’entrée des investisseurs au capital de la société. Cette étape donne lieu à une négociation. Dans le cas où la société a déjà fait l’objet d’une levée de fonds précédemment, un des éléments critiques permettant de trouver un accord est la valeur “post-money” (valeur après l’entrée des investisseurs au capital) du deal précédent, qui doit être en cohérence avec la nouvelle valorisation proposée sous peine de conflits potentiels avec les investisseurs du tour de table initial. Ces derniers ne souhaitent évidemment pas une valorisation inférieure à celle du tour où ils sont rentrés. Typiquement, si une entreprise a été valorisée 100 en pré- money et que les investisseurs injectent 50 en augmentation de capital, la valorisation postmoney sera de 150 et la part du capital détenue par les nouveaux investisseurs, de 33,3%. Concrètement, lors d’un tour de table avec des investisseurs, il faut trouver un accord sur une valorisation raisonnable (c’est- à-dire pas trop haute) si l’on veut faire un nouveau tour de table avec des fonds d’investissement par la suite. Une fois l’accord trouvé, le fonds procède à des audits financiers et juridiques (due diligences) qui, s’ils ne révèlent rien d’anormal, doivent permettre de passer à l’étape finale de mise en œuvre des éléments juridiques, maté- rialisés par la signature d’un pacte d’actionnaire dont chaque clause doit être examinée très attentivement avant signature des documents définitifs et la réception des fonds (closing)