LES DANGEREUX DÉSÉQUILIBRES ÉCONOMIQUES AU SEIN DE L’UE
Les déséquilibres macroéconomiques d’un État membre de l’UE peuvent avoir des effets néfastes sur les autres, d’où une surveillance et des recommandations de la Commission européenne. Mais les bons élèves ne sont pas toujours ceux que l’on croit… Explication.
Depuis 2011, la procédure dite de “Semestre européen” consiste à suggérer des réformes, appelées orientations, aux États membres, ces derniers s’engageant à fournir en retour un programme d’action au mois d’avril, évalué au niveau de l’UE. Sur cette base, la Commission européenne émet au mois de mai des recommandations pour chaque pays concernant la politique budgétaire, les réformes structurelles souhaitables pour atteindre la croissance potentielle et le plein-emploi, et les déséquilibres macroéconomiques à surveiller. Au mois de juin, le Conseil de l’UE arrête alors la version définitive des projets de recommandations pour chaque pays et c’est finalement le Conseil européen qui les approuve. À charge ensuite pour les gouvernements nationaux d’en tenir compte lors des choix budgétaires…
UNE BATTERIE DE DÉSÉQUILIBRES MACROÉCONOMIQUES
La crise de la zone euro en 2010 a démontré jusqu’à l’absurde qu’une Union économique et monétaire sans coordination politique établie n’était pas viable. Hélas, face au peu d’empressement des capitales européennes à sauter le pas du fédéralisme, les dirigeants des États membres se sont rabattus sur la mise en place d’une Europe des règles, chère à la chancelière allemande, Angela Merkel. D’où l’adoption d’un paquet législatif appelé “Sixpack” et la mise en place du Semestre européen pour faire converger les objectifs des politiques nationales en matière de budget, de croissance et d’emploi. En complément, une Procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) a été mise en place en 2011, puisque les dirigeants européens avaient enfin pris conscience que, dans un pays, il n’y avait pas que la dette et le déficit publics qui pouvaient avoir des conséquences sur les autres membres. Parmi eux, la balance des comptes courants, la position nette pour les investissements internationaux, le taux de change effectif et réel, les modifications des parts de marché à l’exportation, le coût unitaire du travail, le prix du logement, la capacité de financement du secteur privé, l’endettement du secteur privé, le taux de chômage, les modifications des engagements du secteur financier, ainsi que d’autres indicateurs en matière d’emploi et de chômage. Et, grande nouveauté, à chaque indicateur fut associé un seuil dont le franchissement nécessite un examen attentif de la part de la Commission européenne.
L’EXCÉDENT EXTÉRIEUR ALLEMAND
Il ne faut pas perdre de vue que la crise de la zone euro fut avant tout une crise de balance des paiements. En effet, certains pays (Espagne, Italie, Grèce, Portugal, Irlande) faisaient face à une balance courante structurellement déficitaire, qui les obligeait à s’endetter sans cesse à l’étranger, jusqu’au moment où cette dette extérieure a rebuté les prêteurs. Et comme ces pays faisaient partie de la zone euro, leurs difficultés extérieures ne se traduisaient plus par des variations de taux de change, mais par des taux d’intérêt très élevés qui pouvaient conduire à l’insolvabilité et nécessiter alors le soutien de prêteurs publics comme le Fonds monétaire international ou le Mécanisme européen de stabilité (MES), avec le risque d’une contagion à d’autres pays… A contrario, une balance extérieure structurellement excédentaire comme aux Pays-Bas mais surtout en Allemagne, n’est pas forcément le signe d’une bonne santé économique, surtout si elle s’accompagne, depuis 2010, d’un arrêt des prêts aux autres pays de l’UE. Plus précisément, l’énorme excédent de la balance courante de l’Allemagne, qui atteint 8% du PIB (plus qu’en Chine !), démontre surtout que le pays fait face à un excès d’épargne qui ne sert à investir ni sur le territoire national – alors que les investissements dans les infrastructures font cruellement défaut – ni dans la zone euro, ce qui se répercute bien entendu sur la santé économique des autres membres ne pouvant pas profiter d’un surcroît de demande d’importations en provenance de l’Allemagne. Et une récente étude du centre de réflexion pro-européen (think tank) Bruegel montre qu’entre 2013 et 2017, les pays qui ont le plus suivi les recommandations émises par la Commission européenne en matière de correction des déséquilibres macroéconomiques ne sont pas ceux que l’on croit. Dans les plus zélés, l’on trouve ainsi le Royaume-Uni et la Finlande, qui ont mis en œuvre plus de la moitié des réformes suggérées, et dans les mauvais élèves se trouvent l’Allemagne (29% de recommandations mises en œuvre) et le Luxembourg (23%), loin derrière la France (37%). Et pourtant, alors que la France est montrée du doigt pour des déséquilibres macroéconomiques “excessifs”, l’Allemagne échappe au deuxième adjectif infamant. Serait-ce le politique chassé par la porte qui entre par la fenêtre ?