Les collectivités pionnières en financement participatif témoignent
Financer ses propres projets ou soutenir ceux qui se déploient sur le territoire. Des collectivités locales expérimentent les possibilités nouvelles du financement participatif. Récits et décryptage.
Une commune de 14000 habitants ouvre le bal. Dans le département de l’Eure, Routot a mis en place un appel au don à hauteur de 30 000 euros, pour financer une aire de jeux et un plateau multi-sports. Caroline Perreu, adjointe au maire, témoignait de cette démarche novatrice au cours d’une journée consacrée à “Finance participative et territoires”, organisée le 27 juin à Paris, par Financement participatif France, l’association qui fédère les acteurs du financement participatif en France. Financer les projets portés par une collectivité locale constitue l’une des possibilités ouvertes par le financement participatif. À Routot, où les budgets de fonctionnement et d’investissement pèsent chacun moins d’un million d’euros, “nous ne voulions par grever trop le budget”, explique Caroline Perreu. La recherche de dotations s’étant révélée infructueuse, la commune a décidé de tenter cette voie nouvelle. Au delà de l’aspect pécunier, la démarche présente des intérêts supplémentaires : “cela permet d’impliquer les habitants de la commune dans cette structure qui va être à eux (…) C’est aussi une façon de voir si le projeta vraiment un retour positif auprès de la population”, précise Caroline Perreu. D’après l’association Financement participatif France, la ville de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, s’apprête elle aussi à lancer une opération de même nature, pour financer un projet de coopération en Palestine. Ailleurs, certaines collectivités locales explorent d’autres voies nouvelles ouvertes par le financement participatif. Le département de Corrèze fait ici figure de pionnier. En collaboration avec l’association organisatrice du colloque et Bpifrance, la banque publique d’investissement, il a choisi ce moyen pour soutenir les initiatives naissantes sur le territoire. L’enjeu ?“Associer les Corréziens au développement de l’économie locale”, explique Agnès Audeguil, vice-présidente du Conseil départemental, déléguée à l’ESS, l’économie sociale et solidaire. L’an dernier, déjà, une vingtaine de projets ont trouvé environ 500 000 euros sous forme de dons et prêts, via la plateforme http://www.coupdepouce-correze.fr, mise sur pied par la collectivité.
Londres investit aux côtés des Londoniens. Ces deux exemples de démarches s’inscrivent dans une tendance toute nouvelle. “Le f financement participatif citoyen émerge vers 2010”, précise Guillaume Desmoulins, co-auteur d’une étude sur le “Civic crowdfunding” pour l’OCDE et fondateur de Co-city.fr, plateforme de financement spécialisée dans les projets à but non lucratif. Pour lui, la réelle nouveauté de la démarche, “c’est que le numérique permet de changer d’échelle. Ce n’est pas seulement un outil financier mais également un outil de mobilisation sur une cause territoriale”, poursuit Guillaume Desmoulins, qui cite l’exemple de Rotterdam : en 2011, des associations d’habitants et d’un cabinet d’architecte se sont mobilisés et sont parvenus à réunir 100 000 euros. Leur objectif : réaliser un pont destiné à désenclaver un quartier populaire. Le projet n’était pas inscrit dans l’agenda politique, mais face à cette mobilisation, la mairie a fini par lancer ce chantier à plusieurs millions d’euros. “Les 100 000 euros, c’est cela qui a lancé le projet, grâce à du lobbying citoyen. C’est un outil de communication”, analyse Guillaume Désmoulins. Ailleurs, ce sont des collectivités qui ont assumé un rôle “d’animateur du territoire” via le financement participatif. C’est le cas de la mairie de Londres qui a choisi la plateforme Spacehive pour inviter des communautés locales à proposer et bâtir leurs projets, comme par exemple, la réhabilitation d’un lieu. La mairie participe ensuite financièrement. D’après la plateforme, en 2015, la mairie a injecté 600 000 livres dans 37 projets. Et quelque 2 000 Londoniens ont ajouté 450 000 livres sterling aux sommes de la mairie, dans une quinzaine de projets qui ont obtenu un financement. Aux Etat-Unis aussi, des collectivités territoriales se sont engagées en ce sens. Différents niveaux d’engagement sur les plateformes sont possibles, qui vont de la simple présentation de projets sur le territoire, à un co-financement de la mairie à des projets déjà soutenus par la population.
Les outils opérationnels. A Routot, la mairie a noué un partenariat avec la plateforme Collecticity, spécialisée dans les projets publics. Quant à la Corrèze, le site Internet “coupdepouce-correze.fr” est en fait un “portail d’orientation”, qui sélectionne les projets locaux répertoriés par le site Internet mis sur pied par Bpifrance, tousnosprojets.fr. Ce dernier est un “agrégateur de projets” portés par une trentaine de plateformes, précise Pascale Chudzinski, de la Direction partenariats régionaux et action territoriale chez Bpifrance. Bref, des outils opérationnels existent. Mais la démarche, novatrice, n’a pas encore été intégrée par toutes les administrations. “Cela a été à la fois simple et compliqué”, explique, par exemple, Caroline Perreu, qui a été orientée vers un interlocuteur spécialisé dans les associations, au sein de l’administration fiscale. En Corrèze, comme à Routot, dans la mise en oeuvre de la démarche, la communication constitue un enjeu de taille. Il s’agit d’un “gros travail de communication” qui s’est déroulé sur le territoire, auprès des entreprises, des CCI, des missions locales, des élus…témoigne Agnès Audeguil. Un forum a été organisé sur le territoire. Même son de cloche à Routot. Pour l’occasion, la mairie a créé une page Facebook et multiplié lesopérations de communication, espérant toucher aussi les habitants de lacommune partis vivre ailleurs. Pour ces collectivités locales qui se sont engagées dans ces démarches, restent aussi à voir l’impact de la loi NOTRe, Nouvelle organisation territoriale de la République, qui attribue les compétences économiques aux régions.