Les achats publics innovants, un outil efficace ?
Le décret sur les achats publics innovants, paru en 2018, favorise l'activité de jeunes entreprises. Témoignages croisés d'acheteurs et de vendeurs satisfaits, et état des lieux des améliorations à apporter, lors d'une journée organisée par le ministère de la Transition écologique.
« Formidable », « rassurant », « efficace »… La procédure de marchés publics de l’innovation suscite des témoignages enthousiastes de deux jeunes start-upeuses, même si elles pointent aussi des améliorations à apporter. Le 6 octobre dernier, elles participaient à une conférence en ligne sur “Les marchés publics, un tremplin pour de jeunes entreprises innovantes?”. Celle-ci s’est tenue lors d’une journée organisée par le ministère de la Transition écologique, dans le cadre de la promotion de la démarche de Greentech Innovation, destinée à permettre « l’émergence et le développement de l’écosystème développant des produits et services de la croissance verte et bleue ».
Parmi les sujets abordés, le fameux décret dit “de Noël”, en raison de sa date de parution (le 24 décembre 2018). Le texte permet, au titre de l’innovation, de passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables, pour des travaux, fournitures ou services innovants, et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes. Il s’agit d’une expérimentation lancée pour trois ans. Le décret constitue un bon moyen « pour toucher les villes », estime Élodie Grimoin, cofondatrice de Urban Canopée, concepteur de mobilier urbain végétalisé, qui a réalisé des marchés de ce type avec plusieurs villes, comme Reims et Bordeaux. D’après la jeune femme, « l’avantage, c’est que c’est très rapide et très simple du point de vue administratif ». Il est vrai que pour cette génération d’entrepreneuses, les démarches en ligne ne posent pas de souci, au point qu’ Élodie Grimoin juge le logiciel de facturation public Chorus, « très simple d’utilisation ».
Pour Tiphaine Bezard,co-fondatrice et directrice de MyTroc, plateforme de troc, ces marchés sont « sécurisants, longs, récurrents ». Mieux, ils constituent un outil stratégique pour la croissance de l’entreprise, jouant le rôle de « démonstrateur ». « Cela permet de faire la preuve d’un concept, pour ensuite aller le reproduire, mais pas forcément sous forme de marché innovant avec sa limitation financière », analyse Tiphaine Bezard.
Des acheteurs publics souvent méfiants
Mais le plafond de 100 000 euros n’est pas le seul défaut de ce type de marchés. Plusieurs freins restent à lever, constatent les jeunes entrepreneuses. Tout d’abord, les acheteurs publics ne connaissent pas forcément les innovations existantes. « Avant qu’un acheteur passe à l’ action, il faut qu’il soit au courant », pointe Tiphaine Bezard, qui passe beaucoup de temps à réaliser des démonstrations de MyTroc. Mais surtout, c’est l’attitude des acheteurs vis à vis de l’outil juridique qui est en cause. La difficulté ? C’est « le niveau de confiance des acheteurs vis à vis de l’utilisation de ce décret. Ils se demandent : qui peut valider que j’ai le droit d’utiliser ce nouveau décret ? (…). Les acheteurs ont peur de s’exposer à une sanction », constate Tiphaine Bezard. Elle s’efforce de contourner la difficulté en orientant les indécis vers leurs pairs plus avancés dans la démarche, afin qu’ils échangent. Quant à Élodie Grimoin, elle est allée jusqu’à réaliser une « une petite synthèse des décrets », destinée aux acheteurs, pour leur montrer que l’entreprise coche bien toutes les cases qui lui permettent de participer à ce type de marché.
Les récits de ces entrepreneuses sont corroborées par les acteurs publics, dont Maud Lelièvre, conseillère de Paris, et déléguée générale des Eco maires, association qui réunit maires et élus locaux autour du développement durable. Cette dernière réalise une veille, des partages d’expériences et organise des événements, comme la rencontre entre acteurs publics et start-uppeurs lors de speed datings, dans le cadre du Salon des Maires ou Produrable. Pour Maud Lelièvre, la question de la formation des acheteurs publics « pèse lourd », d’autant qu’au niveau territorial, nombre d’entre eux ont été formés il y a une trentaine d’années…Au niveau de l’État, la DAE, Direction des achats de l’État, qui anime des réseaux d’acheteurs, joue aussi un rôle de « professionnalisation de la fonction achat », explique Julie Boulet, chargée de projets achats responsables à la DAE. L’enjeu est de taille : « Plus il y aura de la demande via les marchés public, plus les opérateurs vont pouvoir s’investir et développer une offre innovante », conclut Julie Boulet.