Les 12 questions de Trigone aux acteurs de l’innovation

Tout le monde n’est pas Tryphon Tournesol dont les découvertes bénéficiaient de l’inépuisable fortune du capitaine Haddock ! Au-delà des grandes envolées lyriques des soirs de colloques, la réalité est plus prosaïque pour l’innovateur. Au centre de ces difficultés, les aides financières et les rappels fiscaux. Trigone a fait le point à Septentrion.

Ici un nouveau concept de lavage de voitures à Villeneuve-d’Ascq. Il y a souvent décalage dans le temps entre les besoins immédiats de l’entrepreneur et les circuits financiers.
Ici un nouveau concept de lavage de voitures à Villeneuve-d’Ascq. Il y a souvent décalage dans le temps entre les besoins immédiats de l’entrepreneur et les circuits financiers.

 

Ici un nouveau concept de lavage de voitures à Villeneuve-d’Ascq. Il y a souvent décalage dans le temps entre les besoins immédiats de l’entrepreneur et les circuits financiers.

Ici un nouveau concept de lavage de voitures à Villeneuve-d’Ascq. Il y a souvent décalage dans le temps entre les besoins immédiats de l’entrepreneur et les circuits financiers.

Trigone conseil poursuit sa quête sur “Entreprendre en Nord- Pas-de-Calais”. Via de régulières conférences- débats entre tous les acteurs, accueillies à Septentrion (Marcq-en- Baroeul), Olivier Cambray et son équipe débroussaillent le terrain et dépolluent les esprits encombrés d’idées reçues. Le thème de l’innovation était très porteur. Au menu de cette soirée qui a réuni trois entrepreneurs et cinq représentants de structures diverses, douze questions étaient posées, la plupart ayant trait aux moyens financiers.

Qu’appelle-t-on innovation exactement ? La rencontre d’une invention et de son marché, l’une sans l’autre ne fonctionne pas. L’image du génie total est souvent fausse : l’innovateur – qui n’est pas obligatoirement un génie au sens propre – est fréquemment quelqu’un de déjà très expérimenté, qui apporte une valeur ajoutée à un produit ou un service vieux de cinq à six ans en moyenne. Tout cela est le résultat d’un travail et d’un processus qui demande d’en parler au sein des réseaux. Reste donc, en lien avec le marché, à établir que l’innovation crée un réel avantage concurrentiel, surtout bien perçu par le client…

L’innovation est-elle forcément à caractère technologique ? C’est une image déformée. L’innovation non technologique, un service, est en revanche longue à actionner : la SmartBox, dont la conception est ancienne, a tardé à trouver son marché. Le temps joue un rôle capital dans l’innovation. Ainsi, Jérôme Bodelle du CTR automobile de Bruay-La-Buissière, explique que la mise au point moteur est une innovation permanente, mais que la première étape (ici l’innovation de processus) c’est le chèque du crédit impôt recherche (CIR). Stéphane Dewulf confirme : “Ethilog met au point dans les hôpitaux des machines à découper les plaquettes de médicaments mobilisant chaque jour du personnel qui ne peut ainsi se consacrer à mieux. Il y a donc un besoin décelé, voilà un premier point réglé. La stratégie démarre maintenant pour développer ces technologies. En général, c’est le contraire qui se passe…” Enfin, le radiologue Marc Constant propose au praticien des logiciels lui permettant de sécuriser l’imagerie médicale et de la gérer dans son cabinet. La difficulté consiste à présenter avec pertinence ce service au “praticien-client”. On le voit, service, produit, marché et temps se mêlent étroitement dans l’innovation, avant même d’aborder les questions financières.

Quels critères utiliser pour prédire que telle innovation trouvera son marché ? Il s’agira d’un critère d’évaluation du risque en fait, l’innovateur doit se poser cette question en permanence. Il faut une cohérence dans un projet : quels avantages concurrentiels présente-t-il ?, ai-je un plan B ?, vais-je protéger mes brevets ? Bref, des questions auxquellesil faut des réponses en amont, sans cela, le projet aura peu de chances d’atteindre la cible : l’acheteur.

Il faut souvent mobiliser beaucoup de fonds pour innover. Comment réduire ces coûts de R&D ? La perspective n’est pas forcément angoissante, tout dépend du type d’innovation. Exemple, le cas de l’incubateur de l’Ecole des mines de Douai est synonyme d’absence de ressources financières pour mener à bien les projets. Il faut donc fédérer les participations via des réseaux d’anciens élèves, d’écoles, de professionnels et avoir recours aux institutionnels, à l’international aussi parfois. Et tout cela pour financer le premier produit innovant. C’est l’une des conditions de sa crédibilité. Cela peut aller de 5 000 à 200 000 €. On en revient donc à une vérité constante : un financement, c’est une addition de financements d’origines très diverses. Place aux réseaux, à l’imagination et à la chance.

Quelles sont les raisons de l’échec ? Dominique Ribycki (LMI) en voit deux sortes : la difficulté à commercialiser l’innovation ou, plus souvent, le fait d’avoir délibérément négligé cette commercialisation, se focalisant sur la seule ingénierie. “Neuf mois après, il n’y a toujours pas de marché et donc pas de financement dit-elle avant de poursuivre : Il y a ensuite la sous-estimation du besoin financier du projet.” Point qui suscite cette réflexion d’Olivier Cambray : “L’expert-comptable a un rôle de modérateur à jouer, à côté du business plan qui n’est pas qu’une litanie de chiffres.

Pôles de compétitivité ou d’excellence (il y en a sept dans le Nord-Pas-de- Calais) : les innovations ont-elles intérêt à chasser en meute ? Oui. Par exemple à i-Trans, un chargé de mission accompagne le projet retenu en allant chercher des partenariats. Se pose ensuite la question de la labellisation du projet par le Pôle via ses différents jurys, qui fait que le projet se renforce à chaque examen-soutien.

Comment protéger l’innovation ? Le brevet est au coeur de la question. Deux stratégies en présence : se taire (très fréquent dans notre région, hélas !), ou mieux, déposer son brevet à l’INPI. Chaque année, 250 sont déposés pour une valeur de 100 000 €. Les conséquences sont immédiates : aides financières, prêts “Diagnostic” par l’INPI, dépôt des marques, programme Oséo à l’export, etc. Parfois, pas de protection de l’innovation-service : il faut alors griller la concurrence par sa réactivité.

Comment maîtriser le temps dans la conduite du projet innovant ? Les relations entre le temps et les moyens financiers sont permanentes. Un principe pour une start-up : ne jamais ralentir, toujours accélérer. Car quand les moyens financiers sont limités, on ne peut se permettre de laisser traîner les choses. Raison de plus pour établir un business plan prudent, minimaliste mais évolutif.

Quelles sont les aides existantes ? Elles sont nombreuses mais comment choisir ? Principe de base : le chef d’entreprise doit toujours se faire accompagner par une personne de confiance. Pour une PME seule en cause, Oséo consent des avances remboursables, un prêt à taux zéro pour l’innovation, aider au recours au crédit impôt recherche. Pour un grand groupe, Oséo active des projets collaboratifs de plusieurs dizaines de millions d’euros. Une PME peut donc se faire tirer par le haut par une plus puissante : “le grand frère aide le petit” via des fonds étatiques ou européens qui sont activés. “Mais, précise Agnès Laurent (d’Oséo innovation), avant d’aller voir Oséo il faut développer ses fonds propres, Oséo voulant une relation win-win.” Et c’est là que démarre l’impasse car une start-up désargentée ne peut devenir le “partenaire” d’Oséo (terme d’Agnès Laurent) que dans une vraie relation gagnant-gagnant et le “rapport de confiance” (sic) ne peut s’établir que sur ces bases. Il faut soit se tourner vers d’autres interlocuteurs, soit “faire les fonds de tiroir”, dixit Olivier Cambray.

Faire les “fonds de tiroir”, oui mais comment ? LMI organise des rencontres entre porteurs et experts en plusieurs étapes, sous la houlette d un comité d’agrément composé de spécialistes. Prêt d’honneur personnel pour renforcer son apport, pas d’intérêt, pas de caution, le tout remboursable avec possibilité de report. Le porteur amène 40 000 € qui font levier auprès des autres financeurs.
On peut encore plus consolider son apport-capital. Innovam (IRD) est un excellent exemple de l’échange coopératif entre le porteur et l’interlocuteur sans perte de temps et en continuant de se développer. Dans le processus de l’étude du projet et de son financement (première phase), les conseillers s’impliquent très souvent dans le business plan qui évolue au fil du temps. L’effet de levier des fonds propres court sur sept ans minimum. On peut ainsi capitaliser pour minimum deux ans avec un an de retard possible, par précaution. La seconde phase du projet est plus longue. Dans la région, on peut ainsi mobiliser entre 500 000 et 1 M€ avec Oséo et l’Etat.

Et pour vous, entrepreneur, comment cela s’estil passé ? Marc Constant (radiologue) est assez circonspect… “Ça n’a pas été facile. Avec Innovam on a pu recapitaliser 20%, ça nous a surtout ouvert des portes, Mais on en est encore là ! Après seulement deux ans, on va voir pour augmenter d’un cran, 500 K€ ou plus probablement 600, si ce n’est le double si on veut progresser vite. D’autre part, on ne peut pas tout breveter. La seconde phase, c’est donc de retourner à Oséo. Avant, ils nous avaient dit qu’on n’était pas assez structurés. Aujourd’hui, j’espère qu’ils vont nous écouter.”
Stéphane Dewulf (Ethilog) est plus serein. “En mars 2010, on en était juste au business plan et aux études de marché. On n’avait que nos fonds propres et Oséo, on a tout fait valider par des experts. En 2011 a démarré la phase de progression des prototypes, c’est là qu’on avait besoin de financement. Une levée de fonds d’1,2 M€ de fonds propres additionnels était encore nécessaire. On a eu la chance qu’Oséo nous accorde une subvention. Pour démarrer la commercialisation, le compte est bon, on va enfin pouvoir débuter fin 2012.

Dernier point abordé, les incitations fiscales. Parole à Fransures expertise dont l’exposé repose sur l’établissement d’un dossier crédit d’impôt recherche (CIR) et sur La Jeune Entreprise innovante. A ce (dernier) sujet, toute l’ambiguïté vient de ce que l’adjectif “innovante” n’a pas la même résonnance pour l’administration fiscale que pour l’entrepreneur… Au sujet du CIR, disons qu’il s’agit d’un arbre doté de très grosses branches, de moins grosses, de plus fines, bref d’une ramure si complexe que l’entrepreneur doit se faire conseiller. “Signalons tout de même, résume Olivier Cambray, que le français utilisé par le fisc nécessite un traducteur, que le CIR se calcule à l’année civile et qu’une fois accordé, l’administration pouvant procéder à des vérifications, le CIR peut devoir être remboursé. Ce qui signifie que trois ans après l’avoir obtenu, ce crédit serait alors à rendre avec pénalités. On ne peut que conseiller de prendre toutes les précautions imaginables avant de remplir le dossier.”

Les participants : Patrick Tiberghien (Ecole des mines de Douai), David Ferron (CCI Grand-Lille), Dominique Ribycki (LMI), Agnès Laurent (Oséo innovation), Hélène Canard-Guillon (Innovam), François de Baudus de Fransures (Fransures expertise). Trois entrepreneurs : Stéphane Dewulf (Ethilog), Jérôme Bodelle (M2A Bruay-La-Buissière) et Marc Constant (cabinet de radiologie).