Le trou de la Sécu en question

Le trou de la Sécu en question

La dégradation du solde de la Sécurité sociale a incité la Cour des comptes à préconiser de nouvelles réformes structurelles. Mais à bien y regarder, au-delà d’une croissance faible, c’est l’État qui est responsable de ce nouveau trou…

Il y a tout juste un an, le gouvernement affirmait avec fierté que le solde du régime général de la Sécurité sociale était revenu à l’équilibre pour la première fois depuis 2001 ! Or, après un déficit de 3,1 milliards d’euros pour l’année 2019, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, en cours d’examen par les députés, prévoit un solde négatif de 3,8 milliards d’euros. D’aucuns ont alors un peu vite voulu y voir le retour du trou de la Sécurité sociale, en raison des mesures d’urgence en réponse aux «Gilets jaunes».


Une dégradation relative des comptes

Le régime général de la Sécurité sociale comprend les branches maladie, vieillesse, accident du travail et famille. Pour 2020, les deux premières sont attendues en déficit de, respectivement, 3 milliards et 2,7 milliards d’euros, tandis que les deux autres devraient être en excédent, de 1,4 milliard et 0,7 milliard d’euros. Au total, en 2020, le déficit du régime général s’élèverait à 3,8 milliards d’euros, contre 3,1 milliards en 2019, et à 5,1 milliards d’euros si l’on y adjoint le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), contre 5,4 milliards d’euros cette année. La situation financière de la Sécu est donc loin d’être désespérée, ce trou ne représentant en fin de compte que 0,2 % du PIB, à un moment où l’État, peut sans problème, s’endetter à plus de 10 ans avec des taux négatifs. Certes, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), créée en 1996 avec pour mission de financer et d’éteindre la dette cumulée du régime général de la Sécurité sociale, doit encore amortir quelque 90 milliards d’euros d’ici à 2025. Mais les conditions financières actuelles facilitent grandement son travail, elle qui a déjà su amortir plus de 60 % de cette dette durant des périodes où les taux d’intérêt étaient pourtant bien plus élevés.


Des réformes structurelles préconisées

Face à ce qu’elle considère comme un «dérapage massif» et essentiellement non conjoncturel, la Cour des comptes préconise des réformes structurelles qui consistent, selon elle, à réduire le rythme d’augmentation des dépenses au niveau de la croissance potentielle. Mais comme cette dernière, qui dépend principalement des gains de productivité et de l’évolution de la population active, est faible (environ 1 %), on imagine aisément l’ampleur des efforts qui vont être demandés, dans un contexte politique et social déjà passablement troublé… Ainsi, est-il préconisé en premier d’évaluer l’efficacité des 90 «niches sociales» répertoriées, qui représentent, en 2019, plus de 66 milliards d’euros d’exemptions et d’exonérations. Viennent ensuite des propositions maniant carotte et gros bâton : réduction du nombre d’arrêts maladie, encadrement des transports sanitaires, incitation des personnes reconnues invalides les plus proches de l’emploi à retourner sur le marché du travail, suivi et analyse de l’évolution de l’ensemble des dispositifs de départ anticipé à la retraite, etc.


L’État se défausse sur la Sécu

Selon ce rapport de la Cour des comptes, la dégradation des comptes de la Sécu résulterait de deux facteurs principaux. Tout d’abord, le gouvernement a construit le budget de la Sécurité sociale sur des prévisions de recettes et de dépenses trop optimistes. Dès lors, lorsque la croissance économique demeure faible et que la masse salariale est moins dynamique que prévue, les recettes reculent de près d’un milliard d’euros, alors même que les dépenses continuent d’accélérer ; d’où une dégradation du solde de 2,8 milliards d’euros. Mais la Cour pointe aussi les 2,7 milliards d’euros accordés par le gouvernement aux Gilets jaunes (réduction de CSG pour certains retraités, heures supplémentaires défiscalisées, etc.). Quoi qu’il en soit, l’explication «Gilets jaunes» est à nuancer grandement. En effet, la loi du 25 juillet 1994, dite loi Veil, impose une compensation par l’État du coût des exonérations de cotisations sociales décidées par l’exécutif, afin de ne pas impacter le budget de la Sécurité sociale. Or, en décembre 2018, Emmanuel Macron a fait le choix de s’affranchir de ce cadre, faisant de la sorte payer à la Sécurité sociale ses annonces d’allégements de cotisations ! Parler, dans ces conditions, de «trou de la Sécu» n’a donc guère de sens, puisque cela relève plus d’un tour de passe politique. En revanche, il présente des avantages certains pour le gouvernement, comme celui de justifier certaines mesures de coupes budgétaires de la Sécu par l’impérieuse nécessité de combler ce trou que l’opinion ne saurait tolérer… Avec le risque qu’une telle politique des caisses vides conduise malheureusement à une amplification de la crise sociale !