Sport
Le sport, déjà malade avant la crise ?
Le monde du sport a été frappé de plein fouet par la crise, d'après l'Observatoire de BPCE. Celle-ci a révélé des fragilités inhérentes à ce secteur, aujourd'hui placé devant la nécessité de s'adapter à des tendances sociétales déjà initiées avant la pandémie.
La
crise a causé des dégâts considérables dans l'univers du sport,
et une mutation profonde s'impose. Telles sont les conclusions de
l'étude La
filière sport retient son souffle,
réalisée par l'Observatoire de BPCE, groupe bancaire, et présentée
le 5 février, lors
d'une conférence de presse en ligne.
« L'impact de la crise sur le sport a été de très grande ampleur », explique Alain Tourdjman, directeur des études économiques du groupe. Les secteurs marchand et associatif qui composent l'écosystème ont été tous deux touchés. En effet, intimement lié aux interactions sociales et à l'activité physique, le sport a été percuté de plein fouet par les confinements.
Résultat : une baisse des
ressources de l'ordre de 30% pour les associations et un recul de 21%
du chiffre d'affaires pour les entreprises. Avec plusieurs
spécificités : « Plus les structures étaient
petites, plus le choc a été violent », note Alain
Tourdjman. Par ailleurs, les entreprises ont aussi été inégalement
touchées en fonction de leur activité. Celles liées à la pratique
du sport, comme les salles, ou le coaching, ont été beaucoup plus
impactées que la distribution commerciale. De fait, un quart des
entreprises ont réussi à maintenir, voire, augmenter leur chiffre
d'affaires. C'est le cas notamment de celles dont l'activité
concerne le vélo.
« Plus les structures étaient petites, plus le choc a été violent »
Globalement, comme dans le reste de l'économie, le taux de défaillances des entreprises reste pour l'instant très faible. Au total, « la crise n'est pas apparue seulement comme un choc temporaire (…), elle a aussi été un révélateur de fragilités qui existaient déjà dans la filière », analyse Alain Tourdjman. Elles sont multiples, et de nature diverse.
Ainsi, depuis 2008 environ, l'outil
industriel s'est restreint. Résultat, lorsqu'en 2020, la demande de
vélos a explosé, elle a stimulé les importations. Autre faiblesse,
« le secteur est extrêmement fragmenté, or les TPE se
sont révélées particulièrement vulnérables, par exemple, les
salles de sport », précise Alain Tourdjman. Plus surprenant,
les associations, que l'on aurait pu croire préservées des aléas
économiques, étaient en fait doublement vulnérables :
essentiellement axées sur la pratique sportive, empêchée par les
confinements, elles se financent à 80% par les contributions de
leurs adhérents, une ressource qui est venue à manquer.
Autre
défaillance encore du monde du sport, celle organisationnelle, qui
tient à l'éclectisme de cet univers, composé d'amateurs, de
professionnels, d'associations, d'entreprises… La crise a mis en
évidence une absence de "jeu collectif",
causant une « difficulté pour les acteurs à faire
prévaloir les intérêts du sport en général, à se faire entendre
de manière collective auprès du gouvernement », explique
Alain Tourdjman.
Au
total, donc, un lourd bilan de crise qui engendre un fort taux
de préoccupation chez les dirigeants des entreprises (70%). « La
trésorerie est le premier sujet de préoccupation qui s'impose
aujourd'hui, et dans la perspective des prochaines mois »,
constate Alain Tourdjman. Elle pourrait manquer pour faire face à
une reprise d'activité et contraindre les entrepreneurs à renoncer
à des projets d'investissements.
Le
sport de demain, plus individuel et tourné vers le bien-être
Pour faire à la crise, le monde du sport a tenté d'adapter ses pratiques au contexte sanitaire et s'est appuyé sur les outils d'aide mis en place par le gouvernement : 86% des entreprises y ont eu recours, et 82% des associations employeurs. « La résilience de la filière est très largement due aux dispositifs publics », estime Alain Tourdjman.
Parmi les dispositifs les plus utilisés,
figurent le chômage partiel, adopté, par exemple, par près des
trois quarts des associations employeurs. Quant au Fonds de
solidarité, il a été sollicité par 42% des entreprises et
associations. Reports de cotisations sociales et aides territoriales
ont été aussi requis. Quant au PGE (Prêt garanti par l’État),
« il est vu comme un outil pour préparer la reprise »,
analyse Alain Tourdjman. Ainsi, plus de la moitié des montants des
prêts obtenus auraient été conservés par les entreprises
concernées.
Par ailleurs, face à la crise, les acteurs du secteur se sont efforcés d'adapter leurs pratiques et leurs offres, selon des modalités diverses. Côté entreprises, certaines d'entre elles ont adopté des outils digitaux, mis en place des services de livraison... « Elles étaient déjà dans un processus assez largement entamé de transformation digitale. La crise l'a accéléré », note l’expert. Autre forme d'adaptation : la mise en place de cours de sport à distance, via des outils numériques. Sur ce sujet, les entreprises étaient moins matures, mais à présent, « c'est devenu une sorte de marqueur de ce qu'elles feront à l'avenir », estime Alain Tourdjman. Quant aux associations, par le passé, elles avaient surtout digitalisé leurs pratiques en matière de gestion et d'administration. La crise les a contraintes à organiser des cours en ligne pour leurs adhérents.
Peut-on imaginer, après le chamboulement que vient de subir le secteur, que tout redeviendra comme avant ? 38% des professionnels interrogés considèrent l'épisode de la pandémie comme une "parenthèse". A contrario, 44% estiment qu'il faudra anticiper des changements de business modèle, et 15%, qu'il leur faudra se réinventer. « De nombreuses entreprises ont constaté combien il leur était nécessaire de transformer leur offre pour continuer à exister », note Alain Tourdjman. En toile de fond, toutefois, de manière inégale, certains secteurs du monde du sport avaient déjà entamé une transformation avant la crise. Ainsi, aujourd'hui, dans celui de la distribution, par exemple, « le besoin de se transformer radicalement est moins marqué », remarque-t-il. Les activités directement liées à la pratique sportive, en revanche, semblent plus concernées par la nécessité d'évoluer pour correspondre aux contraintes et aux désirs des utilisateurs. En effet, plus profondément, d'après la plupart des acteurs du sport, la crise a renforcé des tendances sociétales déjà émergentes : une pratique moins tournée vers la performance, et plus vers le loisir, la santé, la connexion avec la nature... Le tout, dans une démarche toujours plus individuelle. Des évolutions qui questionnent fortement le modèle traditionnel du monde associatif, fait d'entraînements collectifs, scandés par un agenda de compétitions...