Lemaitre Demeestere à Halluin
Le spécialiste du lin en France veut croire en la relocalisation
Ils ne sont plus que deux à exercer le métier de tisseur, rue de la Lys, à Halluin. Voisine des Tissages de la Lys, Lemaitre Demeestere est la cinquième plus ancienne société textile de France. Créée en 1835, la PME de 25 salariés est aujourd'hui dirigée par Olivier Ducatillion.
On ne peut pas dire que les
circonstances du rachat de Lemaitre Demeestere aient été idylliques
: «J'ai
acheté la PME en 2008, trois jours avant la faillite de Lehman
Brothers. La première année, Lemaitre Demeestere a perdu 40% de sa
valeur»
se rappelle Olivier Ducatillion. Dernier
spécialiste du lin en France,
Lemaitre Demeestere a bâti sa solide réputation sur le tissu
damassé et le linge de table. On a pu retrouver par exemple le lin
halluinois chez la Reine Elizabeth, chez Napoléon ou encore chez le
Tsar de Russie.
«Pendant 30 ans, nous avons fourni également le tissu pour les costumes d'apparat de la marine nationale et pour les uniformes de la police et l'armée» rappelle le dirigeant, également président de l'Union des industries textiles et fervent défenseur du Made in France. Si la rue de la Lys était, à l'époque de la création de Lemaitre Demeestere en 1835, LA rue des tisseurs, c'est parce que sa proximité directe avec la rivière était indispensable : «tous les tisseurs s'installaient près de la rivière parce qu'on y rouissait (séparer les fibres textiles du lin de la partie ligneuse de la plante, ndlr) le lin. Jusqu'aux années 1970, la rue de la Lys a hébergé plus de 15 tissages.»
Un
métier de spécialistes
Quand Olivier Ducatillion reprend l'entreprise, Lemaitre Demeestere est un généraliste de la fibre naturelle : lin, coton et viscose, à destination du marché de l'ameublement et du linge de maison, en vendant à des fabricants de canapés et des éditeurs de tissu, sur un positionnement moyen à haut de gamme. Mais surtout, il lance la PME sur l'international : «J'avais passé 20 ans dans le monde de la dentelle où on exportait dans 65 pays. Quand j'ai repris, trois clients de l'entreprise réalisaient 80% du chiffre d'affaires. Je voulais vraiment apporter l'international à Lemaitre Demeestere et jusqu'en 2020, 40% de notre activité était à l'export».
Au fil des années, et conscient de la nécessité de se différencier et de monter en gamme, la PME devient le dernier spécialiste du lin en France et construit sa réputation autour de tissus 100% lin très lourds (jusqu’à 1,5 kg/m2) que seules trois sociétés dans le monde sont capables de tisser, un savoir-faire ultra spécifique à destination de l'ameublement.
Si le B to B reste le marché majoritaire de Lemaitre Demeestere, un site web marchand a été lancé en 2014. «A cette période, on s'est mis sur les réseaux sociaux. Clairement, je ne faisais pas partie d'une génération spontanée dans ce domaine et il faut avouer que tout le monde s'est un peu moqué de moi ! Mais c’est grâce aux réseaux sociaux que nous avons pris conscience dès 2017 que le Made in France allait monter en puissance de façon rapide et importante : on se doutait que le luxe allait chercher du lin français avec une traçabilité totale, mais nous avons été plus surpris quand la grande diffusion s’est également intéressée à nos tissus 100% français,100% tracés» se rappelle Olivier Ducatillion.
Quelques
années après, le Covid met en exergue le besoin de souveraineté
économique, notamment dans le textile et le Made in France explose.
De 2020 à 2022, Lemaitre Demeestere réalise une
croissance de 25%,
avec de nouvelles entreprises, essentiellement des
digital native nées avec le COVID.
Une production très majoritairement française
Sur
la production de lin, 70% est française, majoritaire en Normandie et
en Hauts-de-France, notamment dans les Flandres. Mais... 85% de de
cette production repart ensuite en Chine et en Inde, où il est filé, tissé et confectionné. Pourtant, le
lin est l'une des fibres les plus vertueuses
: il ne consomme que très peu d'eau, n'abîme pas les terres et sa
culture utilise peu d'intrants et de produits chimiques.
«Il
était indispensable de recréer une filature de lin en France. Je
suis donc entré en contact avec NatUp, une coopérative normande,
dont 70% des actionnaires sont des liniculteurs. Ils sont
entrés en capital de l'entreprise, ce qui nous a permis d'investir
et de devenir le symbole d'une chaîne de valeur 100% française dans
le lin et le chanvre»
détaille Olivier Ducatillion.
Le groupe investit 2 M€ dans un nouvel ourdissoir et dans 9 métiers à
tisser dernière génération. Toujours implantée sur le site historique – au total, 8
000 m2 dédiés à la production – , Lemaitre Demeestere connaît aujourd'hui, une baisse d'activité. L'usine ne tourne pas à plein régime alors que la capacité de production a quasiment doublé. «Le textile est
devenu non essentiel depuis la guerre en Ukraine, la hausse du coût
de l’énergie a fragilisé bon nombre d’industries et la chute de
consommation liée à l’inflation galopante qui s’en est suivie
n’a fait qu’exacerber leurs difficultés.»
Les mauvaises
récoltes dans le lin ces dernières années résultat de conditions
climatiques très irrégulières ont rendu la situation encore plus
compliquée, avec l’explosion du prix du lin. Malgré
tout, Olivier Ducatillion reste optimiste : «Evidemment, c'est
difficile de produire 100% en France. Mais tout le monde veut
diminuer son empreinte environnementale. Il est important que le consommateur comprenne qu'acheter du fabriqué en France, total ou partiel, c'est avoir un impact sociétal en créant des emplois et en protégeant notre modèle social et également environnemental, en utilisant une énergie non carbonnée et si, en plus, vous utilisez une matière locale, les résultats sont encore plus impressionnants.»
95% du textile français est importé. Les Français consomment chaque année 8 kilos de textile. Si chaque Français achetait uniquement 1% de Made in France, cela permettrait de créer 4 000 emplois. «Le consommateur a un vrai pouvoir.»