Le smartphone, symbole des contradictions de la modernité
Auxiliaires devenus indispensables, les smartphones transforment les relations sociales et le quotidien des français. Et ils les mettent en porte-à-faux avec leur conscience écologique.
«C’est une histoire d’amour, de passion, d’excès…», c’est ainsi que Marc Simeoni, directeur général de Volpy, qualifie la relation des Français avec leur smartphone. La start-up, qui se positionne sur le marché de la revente de smartphones d’occasion, a commandité à OpinionWay une étude sur la relation des Français à leur téléphone portable. Réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1 061 personnes en mars, l’enquête a été rendue publique le 20 avril, à Paris, et augmentée des analyses de Francis Jauréguiberry, sociologue, auteur de «Le voyageur hypermoderne. Partir dans un monde connecté» (Édition Érès, 2016). Il est vrai qu’avec neuf Français sur dix qui possèdent un portable, et 58 % un smartphone, le sujet concerne tout le monde. D’autant que les usages quotidiens de ces appareils électroniques se révèlent d’une grande intensité : ainsi, d’après l’enquête, les Français y passent, en moyenne, plus d’une heure par jour. Mieux, «les trois quarts des personnes considèrent ce temps acceptable», note Frédéric Micheau, directeur des études d’opinion chez OpinionWay. Autre signe de l’intensité de cette relation, la permanence de la connexion : 23 % des sondés n’éteignent jamais leur portable. Et rares sont les occasions pour lesquelles tout le monde le coupe. Au plus, la moitié des Français l’éteignent durant un spectacle. Mais moins du quart le fait lors d’un repas en famille ou d’une soirée entre amis. «Il s’est immiscé dans l’ensemble des comportements de vie (…) dans la vie quotidienne, le smartphone a remplacé une multitude d’objets, et notamment le réveil matin. Il remplace aussi l’appareil photo, la montre, l’agenda », poursuit l’analyste. Mais au-delà de ces aspects fonctionnels, «le smartphone est un appareil relationnel. C’est par lui que passent nos relations affectives quotidiennes. ( ) Il permet de garder du lien social dans une société éclatée», décrypte Francis Jauréguiberry qui rappelle combien le portable s’est imposé rapidement et massivement. Pour le sociologue, son rôle, dans une société individualiste, est polymorphe. Il procure un «espoir diffus d’advenance», avance Francis Jauréguiberry : en clair, dans nos sociétés qui n’offrent plus un récit porteur d’un sens et une explication globale du monde, comme pouvaient le faire les religions ou les idéologies politiques, l’individu attendrait la «bonne info» qui lui permettrait de se débrouiller en restant perpétuellement connecté. Plus classiquement, cette connexion permanente évite aussi à l’individu «le risque de se retrouver face à soi-même et à ses angoisses», ajoute Francis Jauréguiberry. Une distraction pascalienne de la modernité, en quelque sorte.
CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE CONTREDITE
Reste, met en garde le sociologue, que ces habitudes engendrent des normes nouvelles et contraignantes, dans la société comme dans l’entreprise. «Aujourd’hui, il faut se justifier quand on se déconnecte. La normalité réside dans la connexion perpétuelle, la disponibilité. ( ) Dans très peu de temps, on devra se justifier de ne pas être géolocalisé», prévient Francis Jauréguiberry qui observe déjà des effets pervers dans l’entreprise : l’injonction permanente à être joignable et réactif se fait au détriment du travail effectif et peut contribuer au burn-out. Par ailleurs, elle consacre une hiérarchie entre ceux qui disposent du privilège de ne pas être joignable et les autres… Autre spécificité de la relation entre les Français et leur smartphone, constate le sondage OpinionWay, le décalage entre les pratiques et la conscience environnementale des utilisateurs. En effet, s’ils font une utilisation intense de leur appareil, les trois quarts des sondés déclarent ne pas apporter de soin particulier à l’objet en soi. Et seuls 4 % d’entre eux, les «early adopters» (adopteurs précopes), changent volontairement d’appareil, optant pour un modèle jugé plus attractif ou innovant. L’écrasante majorité des Français (sept sur dix), attend la fin de vie de l’appareil pour s’en débarrasser, et vivent ce moment principalement comme une dépense. Une batterie à plat, un écran fendu, un bouton inactif… «la véritable raison principale de changer est le dysfonctionnement du smartphone ( ) Et la solution privilégiée est celle du remplacement plutôt que de la réparation», synthétise Frédéric Micheau. Quant à l’ancien téléphone, il reste stocké au fond d’un tiroir, dans près d’un cas sur deux. Seulement 14 % des Français l’apportent sur un point de collecte et 14 % le donnent à un proche. Un comportement paradoxal, au regard des préoccupations environnementales exprimées par les sondés. En effet, 67 % d’entre eux jugent les téléphones portables polluants et les trois quarts considèrent que sa fabrication a nécessité la consommation de beaucoup de ressources naturelles.