Transition écologique

Le secteur du réemploi veut changer d'échelle

Le réemploi des emballages dans la distribution reste très marginal, selon une étude Deloitte. Le réseau Vrac et Réemploi qui réunit ces professionnels entend massifier la pratique et compte sur les pouvoirs publics pour la favoriser.

© Anne Daubrée
© Anne Daubrée

Pour grandir, prendre la mesure. Le 14 mai, à Vincennes, le Salon du Vrac et du Réemploi a été l'occasion de la présentation de l'étude : «Vers un baromètre économique de la filière du vrac et du réemploi». Cette première édition a été réalisée par Deloitte pour le réseau Vrac et Réemploi. Au total, le secteur représente 9 000 emplois en 2023. Concernant le réemploi, en particulier, la filière est extrêmement jeune : 80 % de ses opérateurs existent depuis moins de cinq ans. Pour autant, «il s'agit bien d'une filière : ses maillons composent un écosystème», décrypte Clara Mottier, experte en économie circulaire chez Deloitte. Les maillons : fournisseurs d'emballages, fournisseurs de dispositifs dédiés (comme des automates de récupération des emballages), metteurs sur le marché, opérateurs du réemploi (spécialistes de la traçabilité, du stockage, du lavage...), «opérateurs de reverse logistique» qui se chargent de réintégrer ces emballages réemployables (traités) dans les chaînes d'approvisionnement... Les chiffres concernant l'activité du réemploi dans la distribution (en excluant la restauration, par exemple) restent très modestes. La France comporte quelque 1 000 points de collecte d'emballages chez les distributeurs pour 13 millions d’emballages collectés en 2023. Elle compte 69 centres de lavages qui ont traité et remis sur le marché 12,5 millions d’emballages. Le taux d'utilisation de leurs machines est inférieur à 20 %. La modestie de l'activité du réemploi se reflète aussi dans le nombre de références proposées au consommateur en 2023 : 11 en moyenne dans la grande distribution, 100 dans les circuits spécialisés bio et 20 dans ceux spécialisés vrac. Dans le même sens, chez les producteurs d'emballages en verre, les références réemployables pèsent pour 5 % de leur chiffre d'affaires, un pourcentage qui descend à 2 % chez les producteurs d'emballage en plastique. La loi AGEC, anti-gaspillage pour une économie circulaire, a prévu un objectif de de 5 % d’emballages réemployés mis sur le marché en 2023 pour les professionnels dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros par an. L'objectif de la loi est très loin d'être atteint selon le réseau Vrac et Réemploi.


Laver à plein régime ou disparaître

Pourtant, «la filière possède toutes les bases pour démarrer», estime Clara Mottier. Si leurs machines tournaient à plein régime, les centres de lavage pourraient nettoyer 300 millions d’emballages par an au lieu des 12, 5 millions actuels... «Des expérimentations ont été menées depuis trois ans, mais il existe une difficulté majeure qui concerne l'équilibre économique. Pour que cela fonctionne, il faut du volume, il est nécessaire de passer à une phase industrielle», complète Célia Rennesson, directrice et fondatrice de réseau Vrac et Réemploi. Sur le terrain, la massification du système suppose de dépasser plusieurs obstacles, dont l'indispensable standardisation des emballages ainsi qu'une «montée en compétence» du nettoyage, en fonction des contenus. Et aussi, l'organisation de circuits avec l'intégration de «boucles de réemploi» qui approvisionnent les usines produisant confitures ou soda en contenants réemployés, en complément de ceux à usage unique... Aujourd'hui, l'enjeu, c'est de «bâtir la planification industrielle, déployer les potentiels sociaux, économiques et environnementaux de cette filière», souligne Célia Rennesson. Et aussi de sauver le tissu des quelque 200 entreprises qui s'est créé il y a quatre ans, en basant leur modèle économique sur l'hypothèse - qui s'est révélée hasardeuse - du respect des obligations de la loi AGEC. «Ce sont des entrepreneurs qui ont monté des boîtes, investi des millions d'euros avec de l'argent privé et aussi public, de l'Ademe ou de Bpifrance. Ils ne demandent qu'à travailler», pointe Célia Rennesson. Pour le réseau Vrac et Réemploi, des mesures de politique publique s'imposent. Un soutien politique fort. Des mécanismes qui permettent de protéger cette filière émergente, le temps d'attendre les volumes suffisants. Avec, par exemple des dispositifs pour aider ces «entreprises à impact» sur le modèle de ceux concernant les entreprises innovantes. Et aussi, des mesures de rééquilibrage vis-à-vis des industries d’usage unique dont les externalités négatives ne sont pas pour l'instant prises en compte. Exemple, un producteur de films plastiques destinés à protéger des palettes, versus un producteur de bâches plus coûteuses à l'achat, mais plus vertueuses écologiquement. Avec le soutien de l'État, «nous avons aujourd'hui la chance de créer un système de réemploi au niveau national le plus optimisé possible», prône Célia Rennesson. Pour une fois, peut-être, en faisant mieux que l'Allemagne, aux systèmes de réemploi très hétéroclites selon les Länders...

Anne DAUBRÉE