Le Professeur Daniel Camus de l'Institut Pasteur décrypte la situation
Le 28 avril, l’agence d’attractivité Hello Lille et l’Institut Pasteur organisaient un webinar consacré à l’après 11 mai. L’occasion de faire le point sur l’épidémie et l’avancée des recherches et de rappeler quelques bonnes pratiques à suivre pour réussir le déconfinement.
Aux commandes de ce webinar : François Navarro, directeur général de l’agence Hello Lille, bras armé de la Métropole de Lille en matière d’attractivité, et le Professeur Daniel Camus, spécialiste de la parasitologie-mycologie et de l’infectiologie, membre du Haut Conseil de la santé publique et qui, parmi ses nombreuses fonctions, a notamment été conseiller spécial du directeur général de la santé au moment de la pandémie H1N1.
L’Institut Pasteur de Lille, en première ligne de la recherche contre le virus, a lancé une «Task Force» qui réunit plusieurs compétences. «Au sein de l’Institut, des équipes travaillaient depuis un certain temps sur les Coronavirus, et un autre laboratoire disposait d’une chimiothèque [ndlr, une banque de médicaments ayant déjà une autorisation de mise sur le marché et pouvant rapidement être testés]. Pour tester un grand nombre de molécules, il faut des techniques semi-automatisées avec des appareils extrêmement sophistiqués. C’est en réunissant ces trois forces qu’est née la Task Force», a expliqué Daniel Camus.
Quelles solutions pour lutter contre le virus ?
Pour le Professeur, il n’y aura pas de vaccin avant longtemps, «c’est long et difficile à mettre au point, il faut comprendre qu’on travaille sur du matériel vivant quand on fabrique un vaccin, il y a donc énormément d’aléas et de contrôles». Faute de tests en quantité suffisante, le dépistage ne s’avère pas des plus concluants, l’immunité naturelle n’étant que de l’ordre de 6% (au 1er mai), elle ne sera évidemment pas suffisante pour endiguer la propagation du virus puisqu’il faudrait qu’elle atteigne 70% de la population pour être efficace. «À l’Institut, nous travaillons sur la thérapeutique spécifique avec la Task Force pour trouver un traitement spécifique, qui tue le virus, pour l’administrer le plus rapidement possible, dès les débuts de la maladie. La molécule dont on parle actuellement, le tocilizumab, évite les formes graves, mais cette solution est de l’ordre du traitement symptomatique, elle aide l’organisme à passer une étape très pénible.»
Le point sur la pandémie
Les chiffres de l’épidémie sont en constante augmentation, avec des foyers américain et européen extrêmement importants et un foyer asiatique qui tendrait à s’amenuiser. La France compte elle quatre zones diversement touchées : la zone Grand-Est et Île-de-France (fortement impactées), le Nord et l’Est un peu moins touchés, une troisième allant de Rouen à Nice et la dernière, à l’Ouest, nettement moins touchée. «Ce qui est important, c’est la stagnation, voire la légère décroissance, du nombre journalier d’hospitalisations en réanimation [ndlr, plus de 6 000 cas en réanimation au 14 avril], ça va mieux, c’est encourageant mais on est loin d’en être sortis», a rappelé Daniel Camus. Des projections ont été faites sur la situation au 11 mai, «mais toutes les personnes infectées ne développent pas une immunité : un certain nombre ne développent pas les bons anticorps. Les anticorps neutralisants vont être capables de tuer le virus, ceux non neutralisants ne le pourront pas et dans le cas du Covid-19, nous avons aussi découvert des anticorps facilitants : s’ils se fixent sur le virus, cela facilite sa pénétration dans une cellule, ce n’est pas nouveau, mais l’ampleur du phénomène est assez forte.»
Tant que les bons tests ne seront pas trouvés, impossible donc pour le moment d’affirmer qu’une personne est protégée, «il faut un test simple d’utilisation pour détecter les anticorps neutralisants, des techniques existent mais elles sont très lourdes, avec la possibilité de réaliser seulement quelques dizaines de tests par jour alors qu’il faudrait en faire quelques milliers. C’est sur ça que travaillent les laboratoires.» L’objectif du confinement était clair : éviter une mise sous tension du système de soins, en influant sur l’évolution de la maladie, c’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de dire combien de temps la pandémie durera. «On apprend à connaître ce virus, qui n’est pas sujet à la saisonnalité», a précisé le Professeur.
Quels gestes adopter à l’heure du déconfinement ?
De nombreuses questions ont porté sur les moyens de protection et pour Daniel Camus, et nombre de scientifiques, les gants sont une fausse protection : «On les manipule mal, souvent on les contamine et on contamine les objets autour de nous.» Le plus important : le lavage des mains pendant 30 secondes à l’eau et au savon ou l’usage de la solution hydraulique. Les masques : utiles à condition de les porter correctement et de les laver à 60° durant 30 minutes. La visière de protection est un moyen complémentaire qui ne remplace pas le masque. L’Afnor a créé un protocole mis en ligne sur leur site Internet pour la fabrication des masques (et les lieux où l’on peut les trouver), «ce sont des masques grands publics mais très efficaces, qui bloquent de 70 à 95% de particules.»
De nombreuses interrogations ont également porté sur ce qu’il sera possible ou non de faire à partir du 11 mai. Le Haut Conseil de la santé publique a fixé des règles générales : distance physique d’au moins un mètre et port du masque si la distance ne peut être respectée dans un local ; pour les lieux où marche le public : espace libre de 4 m² autour d’une personne. «C’est inéluctable, le déconfinement va amener une reprise de l’épidémie, il vaut mieux continuer à télétravailler si on peut le faire», a ajouté Daniel Camus.
Si une pièce n’a pas été fréquentée depuis cinq jours, pas la peine de la désinfecter (mais faire couler l’eau très chaude pour tuer les légionelles), un simple nettoyage suffit, une fois la pièce de nouveau occupée, il suffit d’appliquer de simples mesures de nettoyage, accompagnées de désinfection régulières. «Il va falloir qu’on vive avec le virus, voire malgré lui, avec des modifications de comportement», a conclu le Professeur.