Le président de la Conférence des évêques invite à rester vigilant sur les violences sexuelles dans l'Eglise

Bétharram, abbé Pierre, engouement des jeunes... A quelques jours de passer la main, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), invite à rester vigilant...

Le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, pose le 27 mars 2025 à Paris © STEPHANE DE SAKUTIN
Le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, pose le 27 mars 2025 à Paris © STEPHANE DE SAKUTIN

Bétharram, abbé Pierre, engouement des jeunes... A quelques jours de passer la main, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), invite à rester vigilant sur les violences sexuelles dans l’Église.

Q: Quel sentiment, à l'heure du bilan?

R: "Cela a été six années très intenses, où j'ai toujours travaillé avec facilité avec les conseils lors de mes deux mandats. Cela m'a sûrement permis de porter le choc qu'a été le rapport de la Ciase (de 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église, NDLR), et d'animer le travail nécessaire pour l'absorber."

Q: Qu'avez-vous éprouvé à la lecture de ce rapport?

R: "J'avais été un peu prévenu de l'ampleur des chiffres. Il n'empêche que la lecture du rapport a été un motif de très grande tristesse, devant la masse de souffrance que cela représentait. 

J'avais déjà eu l'occasion de rencontrer des victimes, je mesurais un peu ce qu'elles avaient pu vivre, mais multiplié par tant de personnes, cela a été terrible.

Aujourd'hui, on sait que beaucoup de violence peut s'exprimer dans la relation avec les enfants. Il ne faut pas simplement se dire: ce sont quelques monstres affreux dans un coin. Ils sont plus proches de nous qu'on ne croit, il faut porter cette vigilance un peu partout.

Surtout, ils ont bénéficié jusqu'à maintenant d'un silence un peu systématique, dans les familles, l’Église, le sport... Il faut que nous sortions de cette surdité volontaire."

Q: Que reste-t-il à faire?

R: "Nous avons pris beaucoup de mesures pour que l'Église soit un lieu sûr. Mais on n'a pas terminé d'entendre les victimes. On le voit avec les affaires de Bétharram ou Garaison: tout un pan de cette réalité n'a pas été complètement élucidé. La Ciase avait mentionné 330.000 victimes mineures. Avant c'était des chiffres, maintenant cela devient des histoires, des personnes. 

Il faut que nous restions prêts à entendre les victimes lorsqu'elles veulent parler, que ce soit aujourd'hui ou plus tard. Certaines ne parleront d'ailleurs jamais.

Nous avons aussi mis en place le tribunal pénal canonique national. Il faut du temps pour rendre les premières sentences, inscrire petit à petit une jurisprudence. Cela aussi doit continuer.

Et puis il y a beaucoup de dispositifs à mettre en œuvre dans la prévention."

Q: Et sur l'indemnisation?

R: "Nous sommes engagés à accompagner les personnes victimes. Nous le ferons."

Q: Votre fin de mandat a été marquée par les affaires abbé Pierre et Bétharram...

R: "L'affaire de l'abbé Pierre a été une surprise, comme pour tout le monde. Je lis parfois que les évêques savaient: non, quelques-uns dans les années 50 ont su et malheureusement, ça ne s'est pas transmis. 

A Bétharram, les récits sont effrayants. Il y a eu un sadisme, une complaisance dans la violence, qui s'est aggravée avec la présence d'agresseurs sexuels, y compris de la part de religieux. Ce système clos sur lui-même est atroce, il est lamentable qu'il ait pu prospérer si longtemps." 

Q: Le pire est-il passé pour l'Eglise?

R: "Je ne dirais pas cela. On ne sait jamais ce qui peut se produire. J'emploie l'image d'un bateau: on a traversé une grande tempête, il n'est pas exclu qu'il y en ait d'autres. Mais nous pouvons tenir la barre fermement, car nous savons vers où aller."

Q: L’Église, malgré tout, va-t-elle mieux, notamment aux yeux des jeunes?

R: "En lisant le rapport de la Ciase, je me suis dit que je comprenais que des gens se détournent de l'Église. Si nous faisons le travail de vérité, même si ce n'est jamais assez, peut-être que l'Église peut redevenir attrayante pour les jeunes de notre temps.

On a vu aux JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) une jeunesse catholique très variée, venue de toutes sortes de quartiers. Celle que l'on qualifierait d'identitaire ne représente qu'un tout petit nombre."

Q: Quelle sera la tâche de votre successeur?

R: "Il faudra absolument continuer à mener le bateau-Église vers la sortie de ce contexte de violences et d'agressions sexuelles. 

Mais il faudra surtout, dans un monde qui cumule les motifs d'inquiétude, incarner une Église qui porte un message d'espérance, de liberté, de force intérieure." 

38AM6NU