Le milieu culturel s'alarme des effets de l'IA sur la création
La création culturelle est-elle menacée par le développement de l'intelligence artificielle ? La question a fait débat samedi à Paris, en amont du Sommet sur l'IA prévu lundi et mardi, avec un front uni d'artistes...
La création culturelle est-elle menacée par le développement de l'intelligence artificielle ? La question a fait débat samedi à Paris, en amont du Sommet sur l'IA prévu lundi et mardi, avec un front uni d'artistes et de sociétés de droits d'auteurs offensifs.
Le musicien Jean-Michel Jarre s'est fait le porte-parole de ce mouvement de contestation lors d'une table ronde à la Bibliothèque nationale de France (BnF).
Après avoir ironisé sur OpenAI, l'entreprise derrière ChatGPT, en déclarant qu'elle avait "découvert le droit d'auteur avec DeepSeek", son rival chinois qu'elle soupçonne de lui voler des technologies, l'artiste a mis en cause le géant suédois du streaming Spotify.
Selon lui, la plateforme, accusée dans l'enquête d'une journaliste américaine de glisser de "faux artistes" parmi ses playlists de musique d'ambiance, aurait un "rêve": "Ce serait de se passer des artistes. Ça fait un moment que ça couve. Spotify, c'est un peu le Dark Vador de la musique", a-t-il accusé.
Interrogée par l'AFP, l'entreprise a de son côté assuré avoir "toujours eu à cœur de soutenir la croissance et le développement des artistes". "Nous sommes donc fiers du chemin parcouru et restons farouchement engagés à la découverte et à la croissance de l'industrie musicale enregistrée", a ajouté un porte-parole du groupe, en rappelant les 10 milliards de dollars reversés aux ayants droit rien qu'en 2024.
Plus généralement se pose aussi la question de l'utilisation de l'IA, qui génère textes, images, sons ou vidéos, en s'inspirant parfois d'oeuvres protégées par le droit d'auteur.
"Je parle de pillage", a insisté Cécile Rap-Veber, la directrice générale de la Sacem, qui protège les droits des musiciens, pour refuser l'euphémisme de "moissonnage" employé dans le même débat.
Pollueurs
Elle a dénoncé un autre méfait: la voracité énergétique de ces entreprises pour faire tourner leurs serveurs informatiques. "Comme pollueurs, c'est difficile de trouver pire", a-t-elle accusé.
Son homologue du spectacle vivant, Pascal Rogard, pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), a aussi eu le sens de la formule: "Je suis très content que hier [vendredi], notre président ait dit que l'IA ne doit pas être le Far West. On n'est pas chez les Trump, ici".
Emmanuel Macron a utilisé les termes de "Far West" dans la presse régionale. "La France continuera d'avoir une voix claire, c'est-à-dire celle qui protège la spécificité du génie, du talent, la reconnaissance des droits, de cette propriété", y a-t-il déclaré.
Après avoir vu plus d'une évolution technologique depuis l'apparition des synthétiseurs dans les années 1960, Jean-Michel Jarre a lui estimé qu'"il y a un gâteau, avant même que ces entreprises fassent des bénéfices, qui est leur valorisation". "Et la culture doit en toucher une part", a-t-il expliqué.
"Nos amis dans cette salle", a-t-il poursuivi en regardant les entrepreneurs de l'IA, "ont compris qu'on est très bien armés, avec notre bande, non pas pour lutter, mais pour être rémunérés".
Autorisation, rémunération, transparence
Une juriste experte de ces questions, l'universitaire Alexandra Bensamoun, a de son côté décomposé les lettres du mot art en trois impératifs. "Autorisation": demander la permission aux créateurs d'œuvres et respecter leur droit d'opposition ("opt-out"). "Rémunération" pour les artistes. Et "transparence" dans les bases de données utilisées pour entraîner les machines.
"Ce n'est pas de moi, il n'y a pas de droits d'auteur", a-t-elle précisé.
Parmi les personnalités interpellées figurait une Française installée en Californie, Fidji Simo.
"Nous voulons vraiment nous assurer, du côté des entreprises d'IA – et je suis membre du conseil d'administration d'OpenAI –, de rémunérer les artistes de manière juste pour leur travail", a-t-elle affirmé à l'AFP.
En ouverture de ce "week-end culturel", la ministre de la Culture, Rachida Dati, a pour sa part annoncé "une concertation nationale sur l'émergence d'un marché éthique respectueux du droit d'auteur", destinée à nourrir les travaux menés au niveau européen sur la mise en œuvre du Règlement sur l'IA qui a commencé à entrer en vigueur le 2 février.
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