Le commerce en petite forme
Face à des loyers commerciaux en hausse, et alors que l’incertitude politique pèse sur le moral des ménages, le commerce spécialisé a fait le dos rond en 2024. Cela n’empêche pas les promoteurs de continuer à construire des zones commerciales, même si le rythme ralentit.

« L’année a été plutôt chaotique, mais elle se termine mieux qu’on le craignait ». Le temps maussade, la dissolution de l’Assemblée nationale, l’incertitude politique ont pesé sur le commerce en 2024, admet Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, fédération qui rassemble 310 enseignes du commerce spécialisé totalisant 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Si l’épisode olympique a un peu compensé le gel des dépenses constaté lors de la campagne des élections législatives, en juin, l’automne n’a pas cédé à « la déconsommation », cauchemar des commerçants, précise le responsable. En 2024, tous secteurs confondus, le commerce affiche une progression modérée de 1,1%, inférieure à celle de 2023 (+3,5%) et comparable à celle de 2022 (+1,3%). Les secteurs beauté-santé (+4,2%), cadeau-culture-jouet (+2,9%), l’alimentaire spécialisé (+2,7%), et service et optique (+1,8%) ont tiré les chiffres vers le haut, compensant les mauvaises performances de l'équipement de la maison (-2,2%), du sport (-1,5%) ou de la restauration (-1,3%).
L’e-commerce continue de progresser au détriment des ventes en magasins. Celles-ci reculent de 0,8% en 2024, tandis que le Web gagne 2,1%. Par type d’activité, la situation est contrastée. Le secteur beauté-santé recule dans les commerces physiques (-2,6%) mais bondit en ligne (+13,1%), tandis que la restauration se replie dans les établissements (-2,9%) et sombre encore plus sur Internet (-7,1%). L’enthousiasme pour les livraisons à domicile constaté lors de la pandémie aurait-il pris fin ? Pour Emmanuel Le Roch, ce chiffre s’explique moins par le désamour des consommateurs que par les réflexes des restaurateurs eux-mêmes. Une affaire d’offre plutôt que de demande, donc. La livraison « gratuite » promise au client finit par coûter cher. « Les restaurateurs modifient leurs offres, afin de privilégier la consommation sur place ou à emporter », précise le délégué général de Procos. « Le consommateur doit payer le transport, sinon c’est le restaurateur qui s’en charge », résume l’homme d’affaires André Tordjman, qui a repris l’enseigne Du bruit dans la cuisine en 2019, et préside Procos.
Les enseignes ne s’attendent pas à une explosion de leur chiffre d’affaires en 2025. Même si l’inflation s’est réduite, « les Français ne perçoivent pas d’amélioration de leur pouvoir d’achat », observe Procos, tandis que le taux d’épargne, à 18%, « reste très élevé ». Le secteur se plaint, comme les années précédentes, de la hausse des loyers commerciaux, qui ont progressé de 3% en 2024, « davantage que la marge », note Emmanuel Le Roch. En trois ans, l’indice des loyers commerciaux, calculé par l’Insee, a gagné 14%.
Les enseignes se préparent aussi à une bataille avec l’Etat à propos de la loi Aper (accélération de la production d’énergies renouvelables) de mars 2023. Le texte impose l’installation de panneaux photovoltaïques sur les parkings de supermarchés. Cette disposition concerne « au moins 50% de la superficie » des parcs de stationnement, ce qui inclut les voies de circulation. La fédération souhaiterait ramener l’obligation à 50% des emplacements de parkings, sans inclure les voies, donc.
1,7 million de m²de surfaces de vente à construire
La surface des parkings est en tous cas appelée à augmenter. Car la grande distribution continue, année après année, de construire des zones commerciales. Certes, Procos souligne que les autorisations des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC), atteignent « un plancher historique ». 355 dossiers de nouvelles surfaces commerciales ont été autorisés en 2024, contre 703, deux fois plus, en 2019. En superficie (470 000 m² en 2024), cela correspond à une baisse de 67%, en cinq ans. Le pic des autorisations avait été atteint en 2007, avec plus de 3,5 millions de mètres carrés de surfaces commerciales supplémentaires. Cette époque semble désormais révolue, au point qu’Emmanuel Le Roch salue « un changement de paradigme ».
Mais les CDAC demeurent envers et contre tout, des « machines à dire oui », avec un taux d’approbation de 87%, au même niveau qu’en 2019, et Procos évalue à 376 projets totalisant 1,7 million de mètres carrés, le « stock » de surfaces de vente à construire d’ici cinq ans. De gros projets continuent de sortir de terre, comme le complexe Neyrpic, à Saint-Martin d’Hères (Isère). Situé à quelques stations de tramway du centre-ville de Grenoble, ce centre commercial de 50 000 mètres carrés avait été contesté par les commerçants et élus grenoblois en 2017. Si de tels mastodontes voient encore le jour, c’est en raison des délais entre la décision et l’inauguration, affirme Emmanuel Le Roch : « Le montage d’une telle opération prend quinze ans ». Le suréquipement finit par peser sur le tissu urbain. Le taux de vacance commerciale des centres-villes a encore progressé, passant de 9,85% en 2023 à 10,73% en 2024.