«L’absolue nécessité pour les chefs d’entreprise d’anticiper les difficultés à venir»

Alors que les aides de l’Etat, de la Région et des collectivités locales ont permis d’éviter le pire au moment du confinement, le président Lavallée insiste sur l’absolue nécessité pour les commerçants, artisans et entrepreneurs de saisir la cellule prévention du tribunal de commerce dès les premières difficultés qu’il craint de voir se multiplier à la rentrée.

Christian Lavallée, président du tribunal de commerce de Dunkerque.
Christian Lavallée, président du tribunal de commerce de Dunkerque.

Installé à la tête du tribunal de commerce de Dunkerque en janvier dernier, Christian Lavallée, tout juste retraité d’une entreprise du secteur maritime, a eu droit, vu le contexte exceptionnel, à «une formation accélérée pour assimiler ses nouvelles fonctions», selon ses propres termes. Le tribunal de commerce a, en effet, fonctionné quasi normalement depuis le 12 mars mais avec les services du greffe en télétravail et très peu de juges consulaires, confinement oblige. «Je me suis donc retrouvé presque seul pour assurer les audiences qui ont été maintenues, avec un minimum de représentation. Heureusement que je suis en retraite», sourit-il.

Plus une difficulté est traitée en amont, plus nous avons de chances de sauver l’entreprise”

En deux mois et demi, le tribunal a enregistré l’immatriculation d’environ 150 entreprises, un nombre qui est resté relativement élevé mais qui concernaient des projets déjà bien engagés avant les mesures de confinement. Par ailleurs, 27 procédures (redressements, liquidations et sauvegardes) ont été ouvertes au lieu d’une vingtaine par mois habituellement. Elles concernaient toutes des entreprises déjà en grande difficulté avant la crise sanitaire. «Les mesures d’urgence prises par l’Etat, la Région et les collectivités locales ont permis, pour l’instant, d’éviter le pire, ce qui explique le peu d’ouvertures de procédures. Il faut d’ailleurs saluer ce qui a été proposé pour éviter une catastrophe économique et sociale encore plus grande. Le fonds de solidarité pour les entrepreneurs indépendants, le chômage partiel pris en charge à 100% et les prêts garantis par l’Etat, franchement, je ne vois pas comment on aurait pu faire plus en un temps si court», apprécie Christian Lavallée. Toutefois, le président insiste sur l’obligation de soutenir encore, sur du moyen terme, des secteurs qui ont été plus particulièrement impactés par la crise comme l’aéronautique, l’automobile, l’événementiel, le tourisme ou le secteur agricole.

Des prévisions pessimistes pour la rentrée

Récemment, l’ensemble des acteurs économiques du territoire et les collectivités territoriales se sont réunis pour faire un point sur les suites de la crise sanitaire, et «les prévisions ne sont malheureusement pas bonnes», prévient Christian Lavallée. «Ainsi, ArcelorMittal a vu, par exemple, sa production d’acier baisser de 50%. Cela aura un impact considérable sur la sous-traitance locale et sur le trafic portuaire. Les commerçants sauront-ils rattraper le chiffre d’affaires perdu pendant le confinement ? Nous avons aussi beaucoup de crainte pour le secteur du tourisme et de l’événementiel en général, et pour les cafés, hôtels, restaurants en particulier. Nous ne pouvons qu’espérer que la saison estivale sera bonne pour sauver ce qui peut l’être».

Devant ces prévisions assez pessimistes, le président Lavallée craint beaucoup la rentrée de septembre au moment où les commerçants, artisans et entrepreneurs devront payer leurs charges courantes qui, pour la plupart, ont été décalées, certes, mais pas annulées. «J’enjoins vraiment les chefs d’entreprise à faire appel à la cellule prévention du tribunal de commerce dès les premières difficultés. Je lance aussi un appel aux cabinets comptables pour qu’ils incitent leurs clients à venir nous voir dès qu’ils constatent le moindre signal d’alerte. Je sais bien que le tribunal fait toujours un peu peur, qu’on y entre souvent à reculons, mais je veux redire ici que plus une difficulté est traitée en amont, plus nous avons de chances de sauver l’entreprise. C’est d’autant plus vrai actuellement parce que l’Etat a assoupli certaines procédures. Nous disposons donc d’un plus large panel pour répondre aux difficultés, encore faut-il que l’on vienne nous avoir à temps. Je veux rappeler ici aussi que les juges consulaires ne sont pas là pour donner des leçons mais pour conseiller, et que ces conseils sont gratuits et confidentiels.»

Christian Lavallée est d’autant plus amer que, depuis quelques mois, l’économie locale reprenait des couleurs et que les perspectives économiques étaient bonnes. «2019 ne s’était pas trop mal passée. Il y avait une bonne dynamique locale : de beaux projets portuaires, de nouvelles perspectives d’implantations industrielles, une redynamisation du centre-ville de Dunkerque qui commençait à porter ses fruits, un chômage en baisse. Alors évidemment, aujourd’hui c’est la douche froide», résume-t-il. Toutefois, le président Lavallée veut croire en la capacité du territoire à se relever, confiant dans son intelligence collective et dans l’implication exceptionnelle de tous ses acteurs économiques, privés et publics.