La tension monte entre les Calaisiens et l’Etat

Frédéric Van Gansbeke, président de l’Union des commerçants de centre-ville, encadrait le mouvement.
Frédéric Van Gansbeke, président de l’Union des commerçants de centre-ville, encadrait le mouvement.
D.R.

Frédéric Van Gansbeke, président de l’Union des commerçants de centre-ville, encadrait le mouvement.

Une manifestation s’est tenue le 5 septembre à l’initiative des commerçants, agriculteurs, portuaires et transporteurs du Calaisis, autour de la question migratoire. La cause ? Suite à la manifestation de février dernier des Calaisiens à Paris, lors de laquelle Frédéric Van Gansbeke, président de l’Union des commerçants de centre‑ville de Calais, avait été reçu par le président de la République François Hollande, les commerçants calaisiens ont reçu des compensations financières individuelles. “Ce n’était pas ce qu’on avait demandé, tonne Frédéric Van Gansbeke. Nous voulions une date pour un démantèlement complet de la Jungle !”Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, de passage à Calais le 2 septembre dernier, avait donné sa parole que la Jungle serait démantelée avant la fin de l’année, mais sans préciser son calendrier… 

La Jungle. Le camp de la Lande, selon son nom officiel, fait parler de lui depuis quelque temps dans le Calaisis, tant il est source de discorde et tant il est synonyme de perte de chiffre d’affaires. Malgré les quelque 150 millions d’euros reçus par la Ville de Calais et malgré les compensations financières de l’Etat aux commerçants, le camp de la Lande est automatiquement synonyme de mauvaise presse pour le Calaisis. “Auparavant, seuls les routiers se faisaient agresser, poursuit le président de l’Union des commerçants de centre-ville. Aujourd’hui, ce sont les touristes qui ont peur de circuler sur l’A16, puisque les migrants prennent l’autoroute d’assaut, voitures comme camions !”

Au black. Autre point problématique aux yeux de Frédéric Van Gansbeke, le fait qu’à quelques encablures des commerces de centre-ville subsistent des échoppes où les commerçants ne paient aucune charge. “Comment voulez-vous que j’explique à quelqu’un qui est sur le point de déposer le bilan qu’il faut payer ses charges dans ces conditions ? On est dans un Etat de droit, quand même ! On a démonté des boutiques qui ont été remontées juste après… Quel message envoie-t-on ?” Agriculture. Les agriculteurs ne sont pas en reste, puisqu’en passant sur l’A16, les habitants de la Jungle piétinent les récoltes. Inacceptable pour Xavier Foissey de la FDSEA 62 : “Personnellement, j’ai dû inonder les wateringues afin de faire en sorte que les migrants ne passent plus. La sous-préfecture avait dit qu’elle m’aiderait à financer les travaux de curage des wateringues : j’attends encore…” Frédéric Van Gansbeke résume : “Les camions continuent à être attaqués de plus en plus violemment, le port est en souffrance, les agriculteurs sont touchés…” Gilles Debove, responsable du syndicat SGP Force Ouvrière à Calais, ajoute : “La violence n’a pas monté d’un cran, mais de dix étages. Avant, seule la rocade portuaire était touchée. Désormais, c’est aussi l’A16. Les touristes, les gens qui doivent aller travailler à Calais sont eux aussi touchés. Les migrants bloquent les grands axes routiers de façon illégale et sans qu’il y ait de sanction. C’est inadmissible !”

Mobilisation. Cet ensemble de raisons a poussé les entrepreneurs et commerçants calaisiens à se mobiliser sur l’A16 ce 5 septembre, organisant une opération escargot qui risque de durer pour le cas où le gouvernement ne répond pas à la question posée en ces mots par Frédéric Van Gansbeke : “Quand est-ce que le camp de la Lande sera évacué ? On ne veut pas savoir où, ni comment : ce sont des problèmes qui reviennent à l’Etat. Nous avons une mission : faire fonctionner une économie locale. Mais un campement aussi indigne, à quelques pas du Car Ferry et d’Eurotunnel, c’est irresponsable. Et au vu des récentes violences (les migrants sur le camp de la Lande s’arment désormais de parpaings ou de ballots de paille enflammés pour stopper les camions sur la rocade portuaire), ça ne peut plus durer.” “On s’en excuse auprès des usagers, mais bloquer l’A16 et la rocade portuaire, c’est l’arme nucléaire. L’objectif est de trouver une issue, on s’est fait balader par le gouvernement. On est allés à Paris, on a reçu des promesses. Aujourd’hui, à part démanteler la zone sud du camp, ce qui a eu pour effet non pas de réduire le nombre de réfugiés, mais de les regrouper dans une zone plus petite, ce qui a aggravé les tensions, nous n’avons rien eu.”

Protestation. Deux convois sont donc partis de Loon-Plage et de Boulogne-sur-Mer, afin de mettre en place une opération escargot, puis un blocage de l’A16, principal axe autoroutier de la Côte. Dans le même temps, une chaîne humaine a rejoint le cortège de poids lourds et de tracteurs. Chaîne humaine où était présente le maire de Calais, Natacha Bouchart. “Le gouvernement aurait dû mettre en place les outils judiciaires qui permettent d’appréhender les fauteurs de trouble, affirme l’élue. Aujourd’hui, la loi ne permet pas d’interpeller dans de bonnes conditions les migrants, les passeurs et d’avoir d’action pénale contre eux. C’est la raison pour laquelle nous avons maintenu le mouvement malgré le passage de Bernard Cazeneuve à Calais vendredi dernier.” Négociations. La préfète du Pas-de-Calais a donc discuté avec les représentants de chaque branche, agriculteurs, routiers, commerçants et portuaires. Il a été entendu qu’“un dispositif national de soutien et de solidarité à destination des entreprises en difficulté sera activé dans le bassin d’emplois du Calaisis.” Entendre par là : des délais de paiement, des allègements, voire des remises de taxes et/ou de cotisations. Lors de son passage à Calais le 2 septembre, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a aussi annoncé un démantèlement du camp de la Lande en une fois, mais sans préciser de date. Argument mis en avant : si une date est fixée à l’avance, une organisation pourrait s’établir afin d’empêcher ce démantèlement. Autre annonce du chef de la police nationale : 200 hommes supplémentaires ont été affectés à la zone, et ce, pour “renforcer la lutte contre l’immigration clandestine” et améliorer la sécurité sur la rocade portuaire et sur l’autoroute. Reste, pour les commerçants, routiers et agriculteurs, à savoir quand s’organisera le démantèlement et où iront les 7 000 à 9 000 réfugiés du camp de la Lande une fois que celui-ci aura été démantelé…