La réforme de l’audit inquiète la CRCC
L’article 9 de la loi PACTE, votée définitivement par l’Assemblée nationale mi-avril, prévoit le rehaussement des seuils d’audit légal. Une réforme qui inquiète la Compagnie régionale des commissaires aux comptes, présidée par Gilles Vatbled, qui craint pour l’avenir de la profession.
Picardie la Gazette : Que prévoit l’article 9 de la loi PACTE ?
Gilles Vatbled : Jusque là, l’audit pour les entreprises commerciales était obligatoire pour les entreprises commerciales à partir de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, seuil variable en fonction de la nature des entreprises. Le système était un peu complexe. La loi PACTE prévoit le relèvement et l’harmonisation de ces seuils. L’audit devient désormais obligatoire pour les entreprises dès lors qu’elles dépassent deux des trois seuils suivants : 4 millions d’euros de bilan, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 50 salariés. C’est valable également pour les groupes dont les comptes ne sont pas consolidés. Le système est plus clair, mais il risque de nous pénaliser fortement et menace notre profession.
P.L.G. : Quels sont les impacts de cette mesure et en quoi vous inquiète-t-elle ?
G.V. : Les mandats en cours iront à leur terme, il n’y a donc pas d’effet couperet. C’est sur le long terme que les impacts vont se faire sentir. Pour la Picardie, on estime que ce sont 60% des mandats qui vont disparaître et 40% de l’activité qui en pâtira. Avec des conséquences assez lourdes sur la situation économique des cabinets, pouvant aller jusqu’à des licenciements. Je pense notamment à ceux qui ne font que de l’audit. Cela pourrait concerner, à terme, 80 salariés, hors commissaires aux comptes.
P.L.G. : Cela implique-t-il de faire évoluer votre manière de travailler ?
G.V. : Nécessairement, oui. Dans un premier temps, le rôle de nos instances va être de développer des réflexions et des actions pour aider les cabinets à faire face aux menaces économiques de cette mesure. Cela passe par des redéploiements du personnel, des regroupements, nous serons à leur écoute pour les accompagner. En parallèle, l’État nous a déjà demandé de réfléchir à un certificat de capacité fiscale qui serait établi par les commissaires aux comptes pour les cas où l’audit fiscal n’est plus obligatoire. Enfin, puisque l’audit n’est plus obligatoire, il va devenir un audit «de marché». Il va donc falloir que l’on se «vende» auprès des chefs d’entreprises pour les convaincre de la nécessité de poursuivre les audits. Cela implique un changement comportemental de notre part et un gros travail de communication. Au-delà de ces mesures, le métier d’auditeur évolue, il faut adapter nos outils, nos méthodes de travail. À titre d’exemple, le cyber-audit, qui permet d’analyser les risques d’une PME en une journée, est une piste intéressante à explorer. La formation est donc nécessaire elle aussi.
P.L.G. : La réforme comporte-t-elle aussi des risques pour les entreprises ?
G.V. : Certains chefs d’entreprises perçoivent d’abord cette réforme comme une nouvelle forme de liberté et l’opportunité de réaliser des économies. Mais la réalité, c’est qu’avec la suppression de l’audit légal, on estime que 30% de la valeur ajoutée en France ne serait plus auditée, ce qui au regard de l’intérêt général est questionnant. Quelle confiance va-t-il rester dans le milieu économique ? On sait qu’il n’y a pas de croissance sans confiance donc c’est problématique. Les banquiers ne prêtent pas à l’aveugle, les fournisseurs ont besoin de prouver leur capacité financière. Sans ça, ils ne peuvent pas s’engager. Chacun a besoin de sérénité et de confiance pour créer un climat propice aux affaires.
P.L.G. : Comment réussir à maintenir et entretenir cette relation de confiance à l’avenir ?
G.V. : Pour maintenir un climat de confiance avec tous leurs partenaires, les chefs d’entreprises ont besoin d’audits réalisés par des professionnels indépendants. Nous sommes le seul conseil de l’entreprise à être totalement indépendant. Par ailleurs, l’évolution technologique fait qu’une entreprise ne fonctionne désormais que grâce à son système d’information. Or, celui-ci est faillible. L’actualité l’a encore prouvé récemment avec le cas de Fleury Michon. L’entreprise a été contrainte de s’arrêter plusieurs jours après une cyber-attaque. Alors même si ce n’est pas dans la culture française, il faut tout de même penser à sécuriser ce système, à l’interne et en externe. On ne peut pas faire 100% confiance à l’informatique. Et l’intelligence artificielle ne peut pas remplacer le travail des hommes dans ce domaine.