La prison surpeuplée de Bordeaux-Gradignan, "enfer" sans issue

"C'est l'enfer": la prison de Bordeaux-Gradignan souffre d'une surpopulation dépassant 200% et ses conditions de détention "indignes", devenues l'an dernier un symbole du malaise carcéral, perdurent selon des associations, malgré quelques progrès...

"C'est l'enfer": la prison de Bordeaux-Gradignan souffre d'une surpopulation dépassant 200% et ses conditions de détention "indignes", devenues l'an dernier un symbole du malaise carcéral, perdurent selon des associations, malgré quelques progrès matériels et un nouveau bâtiment en 2024 © Christophe ARCHAMBAULT
"C'est l'enfer": la prison de Bordeaux-Gradignan souffre d'une surpopulation dépassant 200% et ses conditions de détention "indignes", devenues l'an dernier un symbole du malaise carcéral, perdurent selon des associations, malgré quelques progrès matériels et un nouveau bâtiment en 2024 © Christophe ARCHAMBAULT

"C'est l'enfer": la prison de Bordeaux-Gradignan souffre d'une surpopulation dépassant 200% et ses conditions de détention "indignes", devenues l'an dernier un symbole du malaise carcéral, perdurent selon des associations, malgré quelques progrès matériels et un nouveau bâtiment en 2024.

Alors que le nombre de détenus en France a atteint un nouveau record à 75.130 pour 61.000 places en novembre, ce centre pénitentiaire édifié dans les années 1960 a fait l'objet de plusieurs procédures et rapports accablants depuis un an en raison de sa vétusté et de son engorgement.

Au 11 décembre, jour de visite parlementaire à laquelle l'AFP a pu se joindre, on comptait 644 détenus hommes pour 305 places et 49 femmes pour 22 places. Une centaine de cellules étaient en "triplette", avec des lits superposés et un troisième matelas au sol.

Soit un taux d'occupation de 211%, l'un des plus élevés de France. En mai, il avait conduit l'administration pénitentiaire à interrompre les admissions pendant un peu plus d'un mois, ramenant la surpopulation à 200%, mais elle est vite remontée.

À cela s'ajoutent les insectes, les infiltrations d'eau, la saleté... 

"Les cafards, on les écrase ou on les jette, c'est sans fin", témoigne un détenu âgé de 20 ans.

Le jeune homme, jogging coloré et bouc au menton, sirote un café en utilisant un bocal en guise de tasse. Dans sa cellule de 8 mètres carrés, il cohabite avec deux autres détenus et dort par terre. Du linge sèche sur des cordelettes, l'unique table est couverte d'ustensiles de cuisine ou de cigarettes.

Pas de porte aux toilettes, dissimulées derrière un simple drap; les murs s'écaillent et au sol, des carreaux partent en lambeaux.

Surveillante ébouillantée

"C'est la promiscuité le plus gênant", résume Jean-Michel Hauquin, délégué de la Défenseure des droits, présent chaque semaine. "C'est l'enfer de vivre dans ce milieu-là."

Tensions et incidents se multiplient: coups à l'encontre d'un surveillant en août, surveillante ébouillantée en novembre au quartier d'isolement, incendie d'une cellule en décembre...

"Les surveillants sont dégoûtés", raconte Francis Vandenschrick, du syndicat FO Pénitentiaire. "Sur un étage, au lieu d'avoir 40 détenus, on en a 95. Imaginez leur travail! De temps en temps, ils se mettent en arrêt parce qu'ils n'en peuvent plus."

En 2022, un rapport de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté avait jugé les conditions à Bordeaux-Gradignan "particulièrement indignes", voire "inhumaines".

L'Observatoire international des prisons (OIP), l'Association de défense des droits des détenus et l'ordre des avocats de Bordeaux ont attaqué l'État en justice dans la foulée. Et obtenu du tribunal administratif neuf injonctions concrètes, visant notamment à améliorer la luminosité des cellules, la qualité des repas ou l'accès aux soins médicaux. L'administration assure aussi avoir investi pour rénover certaines douches.

Mais pas de mesures structurelles, déplore Nicolas Ferran, responsable des contentieux à l'OIP. "Un établissement surpeuplé ne garantit le respect d'aucun droit fondamental parce que tout dysfonctionne", déplore-t-il.

Un an plus tard, en novembre, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé satisfaites plusieurs injonctions, avec un point noir persistant: le manque de personnel médical, calculé à partir de la capacité d'accueil théorique. Actuellement, la prison compte 3,9 médecins généralistes en équivalent temps plein, et 2,8 psychiatres.

"Il y a beaucoup de demandes pour un effectif pas forcément dimensionné", reconnaît le Dr Priscilla Bounat, membre de l'équipe médicale de la prison, décrivant des retards de soins et des "reprogrammations incessantes" de consultations hors les murs, faute d'extractions.

"La politique pénale n'est pas du ressort des Agences régionales de santé", répond l'ARS de Nouvelle-Aquitaine, qui met en avant l'existence de "renforts temporaires" et d'équipements de télémédecine avec 95% des établissements pénitentiaires régionaux équipés.

Prison du XXIe siècle

Alors que 15.000 places supplémentaires sont attendues en France d'ici trois ans, un nouveau bâtiment doit être inauguré en mai à Gradignan, première étape d'un futur complexe de 600 places à l'horizon 2027.

"Ça n'aura plus rien à voir", promet Dominique Bruneau, directeur de la prison. "On va être sur une prison du XXIe siècle, avec douche en cellule."

Et l'ARS assure de son côté que "toutes les marges de manœuvre sont mobilisées pour proposer une offre de soins aux détenus dès l'ouverture" en 2024.

Mais une source pénitentiaire craint un "appel d'air" en provenance des prisons surpeuplées des alentours: "Avec 600 places globales en 2027, certains considèrent qu'ils disposent déjà de 1.200."

"600 places, c'est sous-évalué" par rapport aux plus de 800 détenus actuels, confirme Francis Vandenschrick de FO Pénitentiaire.

Pour l'OIP, la solution est plutôt du côté de la politique d'application des peines, un avis partagé par Me Christine Maze, bâtonnière de Bordeaux, qui souhaite sortir de la "détention automatique".

Un accord signé fin 2022 par les tribunaux de Bordeaux et Libourne (Gironde) avec l'administration pénitentiaire, visant à limiter la suroccupation à 190%, n'a pas été respecté, regrette le député de la circonscription, Frédéric Zgainski (MoDem).

"J'invite tous les signataires à se mettre autour d'une table (...) pour trouver ensemble des mesures, assouplissements de peine, transfèrements de détenus, etc.", lance-t-il.

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