La France est-elle en train de décrocher économiquement ?
Le recul du produit intérieur brut (PIB) au cours du premier trimestre 2020 a été plus important en France que dans les autres grand pays européens, ce qui laisse craindre un décrochage économique…
Au premier trimestre 2020, le PIB a reculé de 5,8 % en France, soit la baisse la plus importante enregistrée par l’Insee depuis 1949 ! Dans les autres grands pays de l’Union européenne (UE), la baisse est cependant moins prononcée : – 2,2 % en Allemagne -deuxième plus mauvais chiffre depuis la réunification en 1990-, – 3,9 % au Portugal, – 4,7 % en Italie, -5,2 % en Espagne. D’aucuns y voient le signe d’un décrochage économique de la France. Pourtant, depuis deux ans, des réformes draconiennes ont été imposées par le gouvernement pour gagner en compétitivité…
Une économie européenne déjà fragile avant la crise
À force d’évoquer les réussites très médiatiques des premiers de cordée, le gouvernement tentait de (se) persuader que l’économie française se portait bien. Ainsi, en décembre 2019, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, pouvait-il déclarer à l’Assemblée nationale que «cette performance économique reste solide» et que «la croissance française sera supérieure en 2019 à la moyenne de la croissance de la zone euro, et la croissance allemande sera probablement deux fois plus faible, en 2019.» Pourtant, dès le second semestre de l’année 2018, l’activité économique avait ralenti au sein de l’ensemble de la zone euro, en raison de problèmes structurels bien connus : circulation faible des capitaux entre pays membres, niveau élevé de la dette publique, concurrence fiscale délétère, impossibilité de corriger les problèmes de compétitivité-coût sans utilisation de plans d’austérité coûteux en emplois, etc. À cela s’ajoutaient, entre autres, l’incertitude liée au Brexit, la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis et un fléchissement du commerce mondial. Face à ces vents contraires, la Banque centrale européenne (BCE) annonçait du reste, dès septembre 2019, une reprise des rachats de titres (quantitative easing)…
Le corps social et économique français malade
En particulier, le corps social et économique français était déjà malade avant le coronavirus, d’autant qu’à la crise sociale des gilets jaunes de 2018/2019 avaient succédé des grèves massives contre la réforme des retraites à la fin de l’année 2019. À bien y regarder, les réformes voulues par le gouvernement, notamment celle de l’assurance chômage, consistaient à faire tendre l’économie française vers un modèle de flexisécurité. Hélas, lorsque des vents contraires soufflent sur une telle économie, le volet sécurité s’avère trop souvent incapable d’empêcher tout l’édifice de s’écrouler ; d’où l’intervention indispensable du gouvernement avec la mise en place actuellement du chômage partiel pour 10 millions de salariés fin avril 2020, du jamais vu ! Quant au confinement très strict appliqué deux mois sur le territoire français, il a conduit à un recul de l’activité et de la consommation des ménages d’environ 35 % !
De sombres prévisions pour 2020
Le 6 mai dernier, la Commission européenne a publié de sombres prévisions de croissance pour l’année 2020, même si le contexte actuel rend l’exercice statistique très délicat : – 7,4 % dans la zone euro, – 9,5 % en Italie, – 9,4 % en Espagne, – 8,3 % au Royaume-Uni, – 8,2 % en France, – 6,8 % aux Pays-Bas, – 6,5 % en Allemagne… Cela démontre au passage l’hétérogénéité structurelle des économies au sein de la zone euro et toute la difficulté à mettre en œuvre une politique économique commune, même en cas de choc symétrique. Dans des économies bâties sur un modèle de croissance forte, de tels chiffres laissent entrevoir de grandes difficultés sociales et économiques. En particulier, le taux de chômage en France pourrait monter à 10 % à la fin de l’année (9,6 %, en moyenne dans la zone euro), contre 4 % en Allemagne, 5,9 % aux Pays-Bas, mais 18,9 % en Espagne et 11,8 % en Italie. Quant au déficit public, il devrait atteindre 9,9 % en France (8,5 %, en moyenne dans la zone euro), 7 % en Allemagne, 6,3 % aux Pays-Bas, 10,1 % en Espagne et 11,1 % en Italie. En dernier ressort, comme la plupart des économies entreront en récession et que le volume de dette publique augmentera beaucoup, le taux d’endettement public affichera des niveaux record en 2020 : 116,5 % en France (102,7 %, en moyenne dans la zone euro), 75,6 % en Allemagne, 62,1 % aux Pays-Bas, 115,6 % en Espagne et 158,9 % en Italie. En définitive, l’économie française semble bien décrocher au sein de la zone euro, selon les critères habituels (croissance, chômage, déficit public…). Mais le propre d’une crise n’est-il pas de déconfiner l’imaginaire, afin de bâtir un autre monde sur la base de critères économiques, sociaux et écologiques renouvelés ? Les décrocheurs du monde d’avant pourraient, dès lors, fort bien être les locomotives du monde d’après…
Raphaël DIDIER