La dentelle va‑t‑elle perdre un nom ?
Commencé le 7 septembre dernier, le redressement judiciaire de Noyon, principal fabricant de dentelles à Calais, pourrait se dénouer rapidement. Hors arrivée de cash, l’entreprise pourrait être liquidée. Plusieurs scénarios s’esquissent quant à l’avenir d’un des plus mythiques dentelliers français qui existe depuis près d’un siècle.
Les Etablissements Lucien Noyon ne fêteront vraisemblablement pas leur centenaire. Quand le fils de fabricant de tulle, fonde son entreprise en 1919, la dentelle est “l’or blanc” de la ville et des villages alentour, que fabriquent 30 000 à 50 000 ouvriers à destination du monde entier. Avec son port, Calais rayonne. Lucien Noyon n’est qu’un de ces centaines de petits entrepreneurs qui s’essaient à la fabrication mécanique du tulle avec succès. Après guerre, il rouvre et développe son parc. Ses fils lui succèdent les uns après les autres. Comme la plupart de ses confrères, Noyon passe des crises cycliques. Il passe du Leavers (tissé) au tricotage quand le tournant est pris par la profession dans les années 1960 et 1970. Il revient au Leavers avec sa dentelle élastique (Lycra) qui le propulse numéro un pendant près de 20 ans. Avec Noyon, toute la place se met à la dentelle élastique. Ce furent les meilleurs années pour le secteur : à la fin du siècle dernier, Noyon avoisine le millier de salariés et surclasse Calais et aussi Caudry… La suite est faite d’une succession de plans sociaux, de redressements judiciaires et de ventes d’actifs aux collectivités qui seront un soutien financier récurrent dans l’équilibre des comptes du fabricant.
Une activité qui s’effiloche au fil des ans. Propriétés foncières, friches industrielles, magasins de dentelle au détail, hangars : tout y passe, jusqu’à ce que la Ville de Calais acquiert, il y a deux ans, le terrain et les murs de l’usine de la rue des Salines. Ne restent à Noyon que ses métiers et sa magnifique collection de dessins… Mais, inexorablement, son activité s’effrite : ses bilans en témoignent. Ces cinq dernières années, Noyon n’a affiché qu’une seule fois des résultats positifs. Avec 16,2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011, l’entreprise, avec encore 250 personnes, qui sortait d’un redressement judiciaire mouvementé (le Caudrésien Sophie Hallette avait d’ailleurs fait une offre), affichait une perte de plus de 1 million d’euros. Seul un résultat financier de plus de 2 millions d’euros masquait un résultat d’exploitation négatif de plus de 3 millions d’euros. En 2012, Noyon maintient ses positions (16,5 millions d’euros de chiffre d’affaires) et ne perd que 258 00 euros. Si 2013 voit une augmentation de son chiffre (17,2 millions d’euros), son point mort s’est relevé et le dentellier perd 1,6 million d’euros. Certes, 2014 laisse entrevoir une éclaircie, mais son chiffre d’affaires de 18,3 millions d’euros intègre 3,7 millions en produits exceptionnels. Début 2015, Noyon affiche même des embauches après cette augmentation du chiffre d’affaires de 7%. Un optimisme étonnant.
Scénarios. Quid aujourd’hui ? Avant un premier rendezvous d’étape au tribunal qui lui avait initialement laissé six mois, Noyon est au centre de toutes les attentions : clients, concurrents, fournisseurs. Le Caudrésien Sophie Hallette a été aperçu rue des Salines cet été et prépare son nouveau site avec une surface de plusieurs milliers de mètres carrés d’ateliers : de quoi y loger des centaines de métiers. Deux autres confrères du Cambrésis évaluent le parc des métiers Leavers et Jacquard, ainsi que la collection de dessins (notamment pour la robe, spécialité caudrésienne). Solstiss, majoritaire dans la teinturerie Color Biotech, sait depuis plusieurs mois que l’activité de Noyon est en berne. Desseilles, Codentel considèrent le sort de leur confrère avec appréhension car un fabricant qui disparaît fait mécaniquement baisser les volumes du marché qui ne se reportent pas intégralement sur ses confrères. Le passé en témoigne largement avec ce qui reste des centaines d’entreprises de dentelle d’antan… “Olivier Noyon travaille d’arrachepied, mais c’est compliqué”, souligne Patrick Gheerardyn, délégué général du Groupe Calais dentelles qui vient de réélire Olivier Noyon comme président. Que peut-on attendre des juges consulaires de Boulogne-sur-Mer ? Qu’ils liquident la société dont les actifs seraient octroyés à des confrères de Caudry, de Calais ou d’ailleurs ? Qu’ils attendent quelques mois un repreneur pour l’ensemble ? Ou qu’ils donnent le temps à Olivier Noyon de trouver une solution à l’heure où Noyon risque de sombrer définitivement ? Une certitude : la casse sociale sera à la hauteur d’une situation compliquée qui dure depuis plus d’une décennie.