« La décentralisation se fait dans la douleur »

« La décentralisation se fait dans la douleur »

L’Association des maires ruraux de France, dont le siège est situé à Lyon, tient son congrès annuel les 8 et 9 octobre à Saint-Vincent-de-Boisset (Loire). Rencontre avec son président (depuis 2008), Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre (Indre).

Réso hebdo éco : Le récent rapport Pisani-Ferri préconise un renforcement des métropoles au détriment des zones rurales. Comment réagissez-vous ? Vanik Berberian : Depuis des années, les dirigeants politiques n’abordent pas la question de la ruralité. Il a fallu attendre trois ans pour que ce gouvernement nomme enfin un ministre, en la personne de Jean-Michel Baylet, alors que depuis 30 ans, il existe un ministre de la Ville. Les lois sur l’aménagement ne concernent finalement que l’urbain. Le fait urbain est une réalité qu’on ne doit pas négliger, mais le politique a un devoir de rééquilibrage.

R.H.É. : Comment se met en place la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) ? En cas d’alternance, sera-t-elle amendée ? V.B. : Pour ma part, je pense que la prochaine majorité, de droite ou de gauche, ne touchera à rien. Et tant mieux. Les élus, qui ont besoin de stabilité, sont saturés par la profusion des lois. Nous avons besoin de temps pour mettre les choses en place. Je regrette seulement que la loi ait été votée par des élus urbains qui ne connaissent pas les réalités locales. L’exemple du transfert de la compétence de transport de la commune vers les régions le démontre. Comment peut-on décider d’un circuit de ramassage scolaire, dans son bureau, à deux heures du terrain ? Résultat : devant le principe de réalité, les régions délèguent une partie de cette compétence aux communes. Dans bien des cas, la loi NOTRe va droit dans le mur.

R.H.É. : Comment font les autres pays qui ont des communes plus étendues ? V.B. : À la mauvaise question “y-a-til trop de communes ?”, je préfère la bonne question : “la commune est-elle utile ?”. Nous sommes en France, un grand pays par sa superficie, avec un maillage territorial et une histoire différents des autres pays. La taille des communes allemandes tient en partie à l’autonomie des Länder allemands. Les deux situations ne sont pas comparables. L’Espagne et le Portugal, où les concentrations se sont faites de manière autoritaire, font marche arrière.

R.H.É. : Êtes-vous contre l’intercommunalité ? V.B. : Nous avons une tradition jacobine dont nous ne parvenons pas à nous défaire. Résultat : la décentralisation se fait dans la douleur dans un schéma qui reste pyramidal. Ceci posé, les maires ruraux ne s’opposent pas à l’intercommunalité. À condition qu’elle soit de nature coopérative. Tout ce que l’on ne peut pas faire tout seul, mieux vaut le faire à plusieurs. En revanche, si l’intercommunalité consiste à remplacer la commune par une commune plus grande, je ne suis plus d’accord.

R.H.É. : La réforme des rythmes scolaires pèse sur les petites communes. Que préconisez-vous ? V.B. : La loi Peillon définit un cadre qui relève de l’Éducation nationale pour la formation initiale, des communes pour les activités extra-scolaires. Seulement, l’État n’assure pas la péréquation entre les communes les plus riches, qui peuvent assumer cette nouvelle charge, et les autres moins bien dotées. La loi prévoit une aide au démarrage, qui vient d’être reconduite compte tenu de ces difficultés. Il faut revenir à une règle simple : paie celui qui décide. L’État doit assumer ses responsabilités. R.H.É. : En matière de baisse des dotations, il semble que les communes ne souffrent pas tant que cela. Est-ce votre avis ? V.B. : Le problème ne se pose pas en ces termes. Tout dépend du niveau de services que l’on veut rendre aux citoyens. Deux thèses s’affrontent. Pour certains, la baisse de 3 à 4% est supportable. Pour d’autres, elle se traduit par une baisse de l’investissement, qui a un impact direct sur le tissu économique, particulièrement le secteur des TP, ou du niveau des services à la population. Pour maintenir les services, il faut recourir à l’impôt.

R.H.É. : Comment sortir de cet effet de ciseaux entre la baisse des dotations et la hausse des charges liées aux transferts ?   V.B. : Il faut revenir aux sources, à la fameuse DGF, un sujet qui fâche. La dotation globale de fonctionnement est attribuée au prorata du nombre d’habitants. Seulement, la DGF par habitant est deux fois moins élevée pour les habitants des campagnes que pour ceux des villes. En matière de DGF, il faut deux ruraux pour faire un urbain.

R.H.É. : Comment l’expliquez-vous ? V.B. : Cet écart pouvait se justifier dans les années 1960, à une époque d’exode rural et de crise démographique dans les campagnes. Or, aujourd’hui, le courant s’est inversé. Quelque 100 000 urbains quittent chaque année la ville pour s’installer à la campagne. La désertification des territoires est derrière nous. Les nouveaux ruraux ont les mêmes besoins que les urbains. Nous assistons à une convergence, une homogénéisation des modes de vie. C’est pour cela qu’il faut revoir le calcul de la DGF, regarder la ruralité autrement. Une partie des problèmes des villes a sa solution dans les campagnes. R.H.É. : Comment se traduit le recul de l’investissement dans les communes rurales ? V.B. : Essentiellement par l’abandon de certains projets. Or, un retard de travaux coûte plus cher à l’arrivée. Nos dirigeants passent trop de temps à regarder comment faire des économies.

R.H.É. : Où en est le chantier de la couverture Internet ? V.B. : Elle reste une priorité. Si nous ne parvenons pas à couvrir les territoires ruraux, nous serons satellisés. Le chantier avance, mais pas assez vite à notre avis. La généralisation du haut débit crée de nouvelles contraintes pour les élus ruraux qui doivent accompagner les plus réticents, ou plus simplement ceux qui sont dépassés par les nouvelles technologies. Or c’est à nous qu’ils s’adressent en cas de difficultés. Et celles-ci croissent au même rythme que la dématérialisation de l’administration. Plus que jamais, nous avons besoin de proximité dans les campagnes.

R.H.É. : Les “États généreux de la ruralité” devraient aboutir sur des propositions concrètes. Les soumettrezvous aux candidats à la présidentielle ? V.B. : À chaque élection, les candidats viennent nous voir et nous disent ce que nous voulons entendre. J’ai proposé de renverser le cadre. Les contributions des “États généreux”, synthèse des attentes des élus ruraux, feront l’objet d’une série de propositions que nous présenterons aux différents candidats. Je souhaite que ce document porte la voix de la ruralité, une voix plus unanime, plus forte.