Entretien avec Olivier François, président de la Fédération européenne des industries du recyclage
«L'utilisation de matières recyclées est un levier extraordinaire pour la décarbonation»
Elu président de la Fédération européenne des industries du recyclage en mars 2022, Olivier François, également directeur du développement de Galloo1, nous dresse un état des lieux de la filière de recyclage en France et nous éclaire sur les principaux défis à venir.
La Gazette : Vous venez
d'être plébiscité à la tête de la Fédération européenne de
l'industrie du recyclage. Que représente cette nomination
pour vous ?
Olivier François : C'est
vraiment une belle reconnaissance de la profession. Cela fait 20 ans
que je suis très actif dans le domaine du recyclage à travers la
Fédération française et, petit à petit, à travers mon
investissement, je me suis investi dans la Fédération européenne
à Bruxelles. J'ai été vice-président de la Fédération et suis
donc aujourd'hui devenu président pour trois ans de mandat.
Concrètement, que recouvre la filière du recyclage ?
Nous
considérons que le recyclage est la production de matières
premières, c'est-à-dire le fait de produire du neuf avec des
matériaux recyclés. Or les gens ont tendance à penser que notre
métier est uniquement lié à la gestion des déchets. Aujourd'hui,
80% de l'activité du recyclage est liée aux métaux, dont 40% pour
les métaux ferreux et 40% pour les métaux non ferreux (aluminium),
7% pour le papier carton, 3% pour les plastiques et 10% pour tout ce
qui concerne le textile, le bois, les pneumatiques... Les métaux
jouent un rôle absolument majeur dans le métier de recyclage. A
l'échelle nationale, la filière pèse environ 9 milliards d'euros
de chiffre d'affaires et représente plus de 1 000 entreprises.
Quels sont les
principaux défis à relever pour la filière ?
La
Commission européenne, avec Ursula Van der Leyen comme présidente
depuis 2019, avait affiché la couleur avant même le Covid. Le cap
n'a pas varié depuis : la Commission a clairement inscrit
l'économie circulaire comme sa priorité numéro 1, ainsi que la
décarbonation comme autre priorité. Il faut que l'Europe accélère
sa politique en matière de décarbonation, cela représente l'un des
principaux enjeux des années à venir.
Comment
s'articule le plan d'actions de la Commission européenne ?
Précisément l'objectif
à terme est d'utiliser les matières recyclées pour
la conception et la fabrication d'objets neufs, c'est cela qui crée
le lien indissoluble entre l'économie circulaire et la
décarbonation. Donc l'utilisation de matières recyclées est un
levier extraordinaire pour décarboner la production industrielle.
«Introduire
des obligations d'incorporation de matières recyclées dans les
objets neufs, c'est là tout l'enjeu actuel»
Quels
sont, actuellement, les freins persistants de la filière recyclage ?
Les entreprises savent très bien faire leurs calculs : quand elles consomment des matières recyclées, elles font forcément des économies d'énergie, il n'y a donc pas réellement besoin de les convaincre.
Aujourd'hui,
c'est beaucoup plus les autorités à l'origine des réglementations qu'il faut convaincre. C'est ce à quoi nous travaillons intensément. Pour
cela, l'idée est d'introduire des obligations d'incorporation de
matières recyclées dans les objets neufs, c'est là tout l'enjeu
actuel. En 2025, par exemple, l'Europe
a imposé l'incorporation obligatoire d'au moins 25% de plastique
recyclé dans les bouteilles en plastique type PET (typiquement les
bouteilles d'eau).
La plupart des grands groupes à l'image de Danone et Nestlé, à
titre d'exemple, se sont immédiatement rapprochés des acteurs du
recyclage par rapport à ces futures réglementations.
L'introduction
d'obligations est-elle donc la solution pour que la filière accélère ?
L'introduction
d'obligations est effectivement une voie, mais il faut favoriser la
demande. Parce que c'est bien de recycler mais la demande est
extrêmement importante, et l'incorporation d'obligations de matières
recyclées stimule cette demande. C'est un argument qu'on a déployé
depuis des années et qui commence à trouver des effets dans les
décisions politiques à l'image de la France. De l'autre côté, les
industriels ne veulent pas d'obligation et veulent rester libres de
choisir. Il faut donc vaincre les réticences de la part des
constructeurs d'objets neufs. Aujourd'hui, nous nous appuyons sur un
vrai soutien des parlementaires français et européens pour stimuler
la demande à travers ces obligations.
Est-ce que la France est plutôt en avance sur ses voisins européens en matière de recyclage ?
Il n'existe que très peu de différences entre les pays de l'Europe de l'Ouest, à savoir la France, l'Allemagne, le Benelux et même l'Espagne qui a beaucoup rattrapé son retard. Nous constatons très peu de différences en matière de qualité technique et d'investissements entre ces pays. En revanche les pays de l'Europe de l'Est restent en retard en ce qui concerne le traitement de déchets et le recyclage.
Etes-vous
confiant pour les années à venir ?
Il
y a une réelle prise de conscience en ce qui concerne l'usage de
matières recyclées pour décarboner l'industrie. J'ai cette
impression que même la guerre en Ukraine ne va pas profondément
remettre en cause l'idée de décarbonation. Elle risque de retarder
l'application de certains projets, mais nous sommes sur la bonne voie
en matière de décarbonation. L'objectif est d'accélérer sur un
mode de consommation et de production d'objets qui soient décarbonés,
mais il faut pour cela que ce soit l'objectif numéro 1 des Etats. Il
y a urgence à amplifier le recyclage, mais il faut nous permettre
d'investir et de continuer à produire des matières premières
recyclées...
1. Société franco belge aux 600 M€ de chiffre d'affaires et 700 collaborateurs, Galloo, située à Halluin, est aujourd'hui numéro 1 du recyclage des métaux en Belgique et numéro 2 en France.