Bruno Deletré, président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française
«L’évolution des taux va avoir un impact certain sur la situation économique globale»
Dans un contexte conjoncturel délicat et incertain, l’écosystème bancaire régional affiche une solidité certaine avec des résultats d’exploitation quasi-record l’an passé. L’accompagnement et le soutien au tissu entrepreneurial régional et local ne devraient donc pas fléchir. Reste qu’aujourd’hui la hausse des taux enregistrée entraîne une nouvelle approche et des perspectives moins réjouissantes. Le tout accentué par la fin du «quoi qu’il en coûte» étatique, dont les conséquences commencent à être perceptibles, et les incertitudes liées à la situation géopolitique en Ukraine. Les années à venir s’annoncent beaucoup plus délicates. Décryptage avec Bruno Deletré, le président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française.
La crise sanitaire apparaît derrière nous et la
mobilisation des banques a été active. Aujourd’hui la situation géopolitique en
Ukraine entraînant des problèmes d’approvisionnement, de croissance,
d’inflation laisse planer plusieurs inquiétudes. Le système régional bancaire
a-t-il les reins assez solides pour faire face et continuer à soutenir le tissu
économique régional et local ?
Nos banques régionales (et nationales) sont de grands établissements solides. Depuis la crise de 2008, l’ensemble des organismes bancaires ont augmenté et renforcé leurs fonds propres. Leur niveau de solvabilité est très élevé. Nous avons donc la solidité nécessaire pour continuer d’accompagner les entreprises dans leur développement et leur permettre de traverser les difficultés.
L’augmentation des taux est de plus en plus perceptible du fait, notamment, des conséquences liées à la guerre en Ukraine, comment les organismes bancaires voient-ils aujourd’hui cette évolution auquel le tissu entrepreneurial va être directement confronté ?
L’environnement bancaire a profondément évolué ces derniers mois. Nous sommes en train de changer de monde. L’évolution aujourd’hui des taux va avoir un impact certain sur la situation économique globale et notamment sur les comptes de résultat des banques. Les différents résultats présentés pour l’année passée par les différents organismes bancaires sont bons, voire même très bons. Il semble certain que les choses seront tout autre cette année, et sans doute, dans les années à venir. Avec cette hausse des taux, les emprunts, que cela soit pour les entreprises comme les particuliers, vont devenir nécessairement de plus en plus chers.
Jusqu’à quel niveau ?
Il est impossible de le dire à l’heure actuelle ! Il est certain, qu’à court terme, je ne vois pas aujourd’hui ce qui permettrait d’annoncer que les taux vont baisser. Nous sommes partis dans un cycle de remontée des taux d’intérêt après plusieurs années, il faut le dire, où ils étaient extrêmement bas.
Quels sont les conseils à donner, notamment aux entreprises, pour faire
face à cette nouvelle donne ?
La situation de chaque entreprise est différente. Cela dépend de son activité, de sa structure financière. Le conseil que l’on peut donner aux entreprises c’est de ne pas hésiter à s’engager dans un dialogue transparent avec son banquier. C’est toujours le meilleur moyen de prévenir les difficultés.
Dans ce comportement des entreprises, les PGE (Prêts garantis par l’État) ont joué et jouent encore un rôle important au même titre que les PPR (Prêts participatifs relance), ou encore plus récemment les PGE Résilience. Quelle est la situation dans la région au niveau de ces différentes mesures d’aide et d’accompagnement ?
Dans la région, le gros des volumes que nous enregistrons concernent les PGE classiques. Au 31 mars 2022 près de 8,5 milliards d’euros de PGE ont été attribués aux entreprises de la région. 90 % de ces PGE ont d’ailleurs été distribués à des très petites entreprises.
Certains brandissent l’inquiétude d’un non remboursement de ces PGE par les entreprises, entraînant l’interrogation des défaillances de ces dernières. Cette crainte est-elle présente dans la région ?
La crainte d’un non remboursement massif des PGE annoncé il y a encore quelques temps ne semble pas avoir lieu d’être. Ce n’est pas ce qu’on constate aujourd’hui même si naturellement vous avez des entreprises qui ne pourront pas le rembourser avec toutes les conséquences que cela aura sur leur pérennité. Globalement, au niveau national, 16 % de l’ensemble des PGE sont aujourd’hui totalement remboursés et 84 % commencent à être amortis. Cette tendance est similaire dans la région.
Comment les entreprises de la région ont-elles utilisées ces PGE ?
Dans la grande majorité, les entreprises ont généralement souhaité garder un maximum de trésorerie et s’engager à amortir sur une période plus ou moins longue. C’est un comportement très prudent par rapport à l’évolution de la situation économique.
Et au niveau des PPR (Prêts participatifs Relance) ?
Ces prêts ont été mis en place l’an passé pour permettre aux entreprises, qui avaient un véritable projet de rebond, d’avoir les possibilités financières de le faire. A la différence des PGE, ils ont été beaucoup plus faibles en nombre. L’ampleur n’est pas du même ordre. Ces PPR sont ciblés sur des entreprises solides notées 5+ à la Banque de France, c’est-à-dire ayant de fortes capacités à honorer leur engagement financier.
Face aux conséquences directes de la guerre en Ukraine pour certaines entreprises, des PGE Résilience ont été mis en œuvre, sont-ils nombreux dans la région ?
C’est difficile de donner un chiffre car, en fait, ces PGE Résilience sont une extension des PGE classiques donc ils entrent directement dans le total. Comme dans l’Hexagone, ce sont les entreprises qui travaillaient avec l’Ukraine qui ont été demandeuses de cette extension.
Ces différents dispositifs, coconstruits par l’État et les
différents acteurs financiers, courent toujours mais la situation, notamment,
le fameux «quoi qu’il en coûte», ne durera pas éternellement. Craignez-vous
voire apparaître une hausse des défaillances d’entreprises ?
Paradoxalement, on remarque aujourd’hui que le taux des défaillance d’entreprises
demeure extrêmement bas même s’il augmente légèrement récemment. Le raz-de-marée
annoncé par certains n’a pas eu lieu et il ne devrait pas avoir lieu, mais ce
seuil bas de défaillances ne durera pas éternellement. Cette donne entraîne actuellement
les banques à s’interroger sur le réel coût du risque. C’est aujourd’hui, et
encore plus demain, un de nos grands défis.
Dans le chapitre «défi», à l’instar d’autres secteurs, la digitalisation est plus qu’en marche dans les organismes bancaires. Les néo-banques sont-elles l’avenir du secteur bancaire ?
Les personnes qui fonctionnent uniquement et à 100 % via une néo-banque sont, en fait, assez rares ! Le digital et l’humain vont de pair et doivent former un duo efficace. Les opérations, disons classiques, sont aujourd’hui facilitées par le développement du digital mais l’importance du contact humain demeure notamment pour les opérations les plus engageantes. C’est cet équilibre, ce juste équilibre, à trouver qui préoccupe ardemment les organisations bancaires, notamment au niveau de leur modèle de réseau de distribution et d’agences. Il leur faut être présents partout tout en tenant compte de la fréquentation physique des agences. C’est un chantier permanent que la recherche de ce bon équilibre.
Numérique, néo-banques, dans cet univers du digital, on parle beaucoup des cryptomonnaies, notamment dans le financement des entreprises. Comment les organismes bancaires voient-ils cette tendance aujourd’hui qui pourrait s’intensifier ?
Les cryptomonnaies, rendues possibles grâce à la possibilité d’accéder à des prestataires de services d’actifs numériques, demeurent des actifs très volatils. Prédire la valeur d’un actif numérique sur le court, moyen et long terme est très difficile. Pour le financement, les banques doivent s’assurer de la provenance des fonds et sont aussi chargées de veiller au respect des règles anti-blanchiment. Pour la cryptomonnaie, il faut avoir cette même exigence. Cet univers souvent présenté comme propice au blanchiment, nous incite à demeurer très vigilants sur ce point.
Une confiance renforcée
87 % des Français ont une bonne image de leur banque ! L’enquête de début d’année de la Fédération bancaire française semble confirmer une tendance déjà présente l’an passé. «Avec la crise sanitaire et notamment la mobilisation des banques au niveau des PGE (Prêts Garantis par l’État), l’image du système bancaire en général a été renforcée», assure Bruno Deletré, le président du Comité des banques Grand Est de la Fédération bancaire française. Les différents chiffres présents dans cette enquête semblent confirmer la validité du modèle bancaire français. La confiance évoquée est aussi recherchée aujourd’hui dans la sécurité des paiements et celle des données. «Les Français ont confiance dans les banques pour la sécurité de leurs données personnelles. Lorsqu’on les interroge sur la confiance accordée à différents acteurs, ce sont les banques qu’ils placent en premier. 68 % déclarent, ainsi avoir totalement confiance dans les banques sur la sécurisation de leurs données personnelles, loin devant les opérateurs de téléphonie, les entreprises high-tech ou les Gafa», peut-on lire dans l’étude Ifop-FFB 2022. Côté sécurisation des paiements en ligne, l’an passé les banques ont achevé le déploiement de l’authentification forte pour les achats en ligne afin de renforcer la sécurité de leurs clients. «Cette action a permis une baisse significative du taux de fraude des paiements à distance, passant de 0,17 % en 2020 à 0,14 au premier semestre 2021.» 66 % des Français assure que «leur banque est capable de réagir vite en cas de fraude sur leur compte (un chiffre en augmentation de deux points par rapport à novembre 2020).» La confiance règne donc…