L'Etat condamné pour faute dans l'affaire à l'origine du procès Dupond-Moretti
Il y a bien eu "faute" de l'Etat dans l'affaire qui avait valu un procès inédit à l'ex-garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, a estimé la justice administrative, condamnant l'Etat à indemniser deux magistrats du PNF pour...
Il y a bien eu "faute" de l'Etat dans l'affaire qui avait valu un procès inédit à l'ex-garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, a estimé la justice administrative, condamnant l'Etat à indemniser deux magistrats du PNF pour les avoir "publiquement" et nommément mis en cause.
Jugé par la Cour de justice de la République (CJR) pour prise illégale d'intérêts dans cette affaire en novembre 2023, Eric Dupond-Moretti avait été relaxé.
Le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser en réparation des préjudices subis 12.000 euros à Patrice Amar et 15.000 euros à Ulrika Delaunay-Weiss, qui a depuis quitté le parquet national financier.
Avec l'ex-cheffe du PNF Eliane Houlette, ils avaient tous trois été visés en septembre 2020 par des enquêtes administratives ouvertes par Eric Dupond-Moretti fraîchement nommé ministre, alors qu'il avait eu des différends avec eux quand il était avocat.
L'ouverture de ces enquêtes avait été annoncée dans un communiqué de presse où leurs noms figuraient, choquant le monde de la magistrature qui avait déjà mal accueilli la nomination de l'avocat le plus connu de France, notoirement peu tendre avec eux.
Le conflit d'intérêt dénoncé dès le départ par les syndicats lui vaudra ce procès inédit pour un ministre de la Justice en exercice. En parallèle, les trois magistrats visés avaient finalement été blanchis de toute faute disciplinaire.
Dans sa décision, le tribunal administratif met en avant que le communiqué et les justifications du ministre en public et dans les médias "étaient matériellement inexacts", mettaient "en cause leur éthique professionnelle" et avaient ainsi "porté atteinte à la réputation professionnelle des intéressés". Ils étaient donc "constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat".
Au cours du procès, les deux magistrats avaient décrit l'impact sur leur vie personnelle et professionnelle.
"On livre nos trois noms à la presse, c'est un immeuble qui s'effondre sur ma tête", "pendant des semaines j'étais incapable de faire quoi que ce soit. J'étais comme un zombie", s'était remémorée Ulrika Delaunay-Weiss. "Le ministre a vengé l'avocat", avait-elle conclu.
Lettre d'excuses
"Plus de quatre ans après les faits, une décision de justice sanctionne enfin les graves fautes commises par Eric Dupond-Moretti", s'est réjouie Me Marie Lhéritier, avocate des deux magistrats "dans le viseur" du garde des Sceaux.
La décision du tribunal administratif "tiendra donc lieu de lettre d'excuses d'Eric Dupond-Moretti", a-t-elle ajouté.
Sollicité, le ministère de la Justice n'a pour l'heure pas réagi.
Dans une décision inhabituelle en matière de prise illégale d'intérêts, la CJR (composée de magistrats professionnels et de parlementaires) avait estimé qu'Eric Dupond-Moretti s'était bien placé en situation de conflit d'intérêts, mais qu'il ne pouvait être reconnu coupable faute d'élément "intentionnel".
Resté à l'écart de la vie publique depuis son départ de la place Vendôme en septembre, il remontera bientôt sur les planches où il avait déjà joué sa vie d'avocat, cette fois pour raconter celle du ministre dans une pièce intitulée "J'ai dit oui".
En juin 2020, alors qu'Eric Dupond-Moretti était encore avocat, on avait appris que le PNF avait fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées (fadettes) et celles d'autres avocats, pour tenter de débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé l'ex-président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute dans l'affaire de corruption dite "Paul Bismuth".
Eric Dupond-Moretti avait dénoncé une "enquête barbouzarde", un basculement dans "la République des juges", et porté plainte.
Face à l'"émoi", la ministre de la Justice d'alors, Nicole Belloubet, avait lancé une "inspection de fonctionnement" sur l'enquête du PNF.
Entre temps, en juillet 2020 et à la surprise générale, Eric Dupond-Moretti avait été nommé ministre de la Justice. Malgré les alertes d'un risque "évident" de conflit d'intérêts par les syndicats de magistrats, c'est lui qui avait reçu les conclusions de l'inspection.
Le rapport ne pointait aucune faute disciplinaire mais le ministre, sur "recommandation" de son administration, avait ordonné une enquête administrative pour rechercher d'éventuels manquements individuels, contre la cheffe du PNF Eliane Houlette, et contre Patrice Amar et Ulrika Weiss-Delaunay, chargés de l'enquête sur les fadettes.
36U97D6