Il y a 80 ans, les Françaises votaient pour la première fois

"J'étais contente et fière": comme Marcelle Abadie, 105 ans, les femmes françaises ont déposé leur bulletin dans l'urne pour la première fois lors des élections municipales du 29 avril 1945. Acquis de haute lutte, le droit de vote est l'un des jalons essentiels...

Des femmes reçoivent leur bulletin de vote pour la première fois en France lors des élections municipales à Paris, le 29 avril 1945 © -
Des femmes reçoivent leur bulletin de vote pour la première fois en France lors des élections municipales à Paris, le 29 avril 1945 © -

"J'étais contente et fière": comme Marcelle Abadie, 105 ans, les femmes françaises ont déposé leur bulletin dans l'urne pour la première fois lors des élections municipales du 29 avril 1945. Acquis de haute lutte, le droit de vote est l'un des jalons essentiels sur le chemin de l'égalité entre femmes et hommes.

Comment les femmes ont obtenu ce droit ?

L'obtention du droit de vote "résulte d'un très long combat", indique à l'AFP l'historienne Françoise Thébaud, spécialiste des mouvements féministes.

Il commence avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791 par Olympe de Gouges. Les femmes réclament ensuite ce droit lors des révolutions de 1830 et 1848. Il s'agit de "revendications individuelles ou de petits groupes", précise Françoise Thébaud. "En France, comme ailleurs, le mouvement suffragiste organisé commence au XXe siècle."

Précurseurs, la Nouvelle-Zélande (1893) puis l'Australie (1901) octroient le droit de vote aux femmes. Suivent la Finlande (1906), le Danemark (1915), l'Uruguay (1917), l'Allemagne (1918), les Etats-Unis (1920), le Royaume Uni (1928)...

En France, après la Première guerre mondiale, des propositions pour accorder le vote aux femmes sont présentées à de multiples reprises à l'Assemblée, mais bloquées par le Sénat, conservateur.

C'est finalement via une ordonnance du 21 avril 1944 du Gouvernement provisoire du général de Gaulle que les femmes deviennent électrices et éligibles.

Comment s'est passé leur premier vote ?

Avant les élections municipales d'avril 1945, pas de communication nationale publique envers les femmes mais "la presse donne des conseils pratiques pour s'inscrire sur les listes électorales et se déplacer dans le bureau de vote", retrace pour l'AFP Anne-Sarah Bouglé-Moalic, docteure en histoire à l'Université de Caen-Normandie et spécialiste du sujet. 

Conscients de la nouveauté, les journaux couvrent le Jour J. Une majorité de femmes votent, selon l'historienne. "Tout s'est passé dans le calme et avec beaucoup de sérieux", précise-t-elle.

Parmi les électrices, Marcelle Abadie, 105 ans aujourd'hui, qui vivait alors au nord-est de Paris. Elle se souvient de cet "événement": "J'étais contente et fière de voter, on me demandait mon avis pour la première fois, ça m'a marqué". Au bureau de vote, toutefois, des hommes "nous regardaient comme si nous n'étions pas à notre place, à l'époque les femmes étaient considérées comme les bonnes à tout faire" à la maison, déplore la centenaire.

Comment les femmes ont-elles voté ?

Nombre d'entre elles ont voté pour "accomplir leur devoir de citoyenne, tout en étant indifférentes à la politique", explique Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Certaines, toutefois, étaient déjà plus engagées, en raison notamment de leur histoire familiale ou de leur milieu social. 

Une minorité de femmes figurent même parmi les candidats et se font élire maire comme aux Sables-d'Olonne, Ouessant, Villetaneuse ou Saint-Omer. 

On estime que la vaste majorité des couples ont voté pour le même parti. "On observait une homogénéité du vote au sein des structures familiales, très liée à la classe sociale et c'est encore le cas aujourd'hui", souligne la chercheuse. "Souvent, l'orientation politique précède le couple", qui tend à voter pour le même candidat.

Marcelle Abadie, qui avait 25 ans en 1945 et vivait avec son mari, tenait à se faire son propre avis dès son premier vote. "Je me suis renseignée, j'ai questionné des amis et écouté la radio", témoigne celle qui travaillait alors pour une compagnie d'assurance. 

Quel impact a eu l'obtention du droit de vote ?

"Il s'agit bien sûr d'une réforme fondamentale, mais ce n'est pas pour autant que les femmes deviennent égales aux hommes, il n'y a pas d'égalité des droits civils notamment", pointe l'historienne Françoise Thébaud. A l'époque, le code civil limite encore l'autonomie des femmes dans différents domaines. 

Par exemple, ce n'est qu'en 1965 qu'une loi autorise les femmes mariées à travailler et ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de leur mari.

L'émancipation des femmes a été progressive. "Les années 1970 marquent un véritable tournant, avec l'émergence du nouveau féminisme qui permet d'obtenir la maîtrise de la fécondité, une révolution", rappelle Françoise Thébaud. 

La contraception a été légalisée en 1967 et l'avortement dépénalisé en 1975. La "liberté garantie" aux femmes d'y recourir figure dans la Constitution depuis 2024.

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