"Il faut que les Français jouent enfin en équipe"

Début juin, le réseau Initiative France a tenu son université à Lille. Environ 500 membres du réseau, représentant 150 plates-formes sur les quelque 230 que compte Initiative France dans le pays, se sont réunis pour échanger sur leurs pratiques.

 

La Gazette. Quels sont les principaux enseignements du rapport d’activité d’Initiative France pour 2015 ?

Louis Schweitzer. Depuis quelques années, le nombre d’entreprises soutenues reste stable, autour de 16 000. Mais cette année, on observe une hausse des emplois créés, à 40 738 : c’est une bonne année. Ça veut dire que les entreprises que nous soutenons sont plus importantes. Notre réseau est le mécanisme le plus efficace en France pour créer de l’emploi aujourd’hui, avec un investissement de 1 350 euros par emploi. Une entreprise aidée par Initiative France a neuf chances sur dix d’être encore vivante après trois ans. Pour une entreprise classique, ça tombe à deux chances sur trois. Cela fonctionne grâce à nos 16 000 bénévoles qui nous offrent leur force de travail extraordinaire. Le credo du réseau, c’est que tout le monde doit être aidé. Un point important, c’est que tout est gratuit pour le bénéficiaire, les prêts que nous faisons sont sans intérêts. Mais cette année, à l’assemblée générale, l’inquiétude était palpable sur notre financement, qui dépend beaucoup des collectivités territoriales. Mais avec la fusion des régions, la baisse des budgets des départements et les difficultés que connaissent les communautés d’agglomération et les CCI, nos ressources traditionnelles sont mises en cause. Il va donc nous falloir en trouver de nouvelles et, pourquoi pas, auprès des entreprises que nous avons soutenues et qui sont aujourd’hui florissantes. Les grandes entreprises, et même les ETI, sont bien conscientes qu’elles ne peuvent pas vivre dans un désert et qu’elles ont besoin d’un tissu de petites et moyennes entreprises autour d’elles. Et certaines des entreprises que nous avons soutenues à leurs débuts sont devenues très grandes, comme Blablacar ou O2. Peut-être que l’on peut trouver des soutiens du côté de ces entreprises et, pourquoi pas, développer davantage le réseau autour des entreprises qui ont très bien réussi.

Quels sont les défis du réseau pour 2016 ?

La question du financement sera indubitablement l’un de nos grands chantiers pour cette année. Pour le reste, nous avions défini en 2014 une stratégie pour les quatre années suivantes, autour de trois axes : plus de croissance, plus d’efficacité et plus de cohésion. En 2016 et en 2017, nous allons continuer avec ce programme qui marche, même si nous cherchons en permanence à nous améliorer sur notre cœur de métier. Sur l’efficacité et la cohésion, nous avons bien avancé déjà, mais pour la croissance, ce n’est pas tout à fait ça. Il y a beaucoup d’entreprises que nous devrions aider encore, mais il existe deux freins à cela : le premier est financier (nous n’avons pas toujours autant de ressources que nous voudrions) et le deuxième, c’est que certaines de nos plates-formes sont moins dynamiques que d’autres, l’activité est un peu inégale.

Initiative France est particulièrement bien implanté dans le Nord − Pas-de-Calais, y voyez-vous un écosystème particulièrement favorable ?

C’est vrai que le réseau fonctionne particulièrement bien ici. Par exemple, nous avons visité une zone d’activité à Frévent, dans le Pas-de-Calais, où quatre entreprises sur dix avaient été accompagnées par le réseau, quand la moyenne nationale est plutôt autour de six sur cent. Je pense que ce succès est lié au dynamisme des équipes en local et au tissu économique régional. Nous sommes un réseau de réseaux. Dans le Nord − Pas-de-Calais, les différentes plates-formes travaillent particulièrement bien ensemble, puisque la région est faite de nœuds serrés. Dans d’autres régions, les liens sont plus distendus, mais ici le système fonctionne bien et bénéficie d’une bonne notoriété.

Cela fait cinq ans que vous avez pris la présidence du réseau. Quel serait votre bilan ?

On a fait pas mal de choses ces cinq dernières années, comme créer une marque unique pour réunir toutes nos plates-formes. Nous avons également créé les labels «Entreprises remarquables» et «Entreprises innovantes», qui nous permettent de mieux accompagner les porteurs de projet qui nous paraissent très prometteurs. Le réseau s’occupe, bien sûr, de tous types d’activité. Notre rôle, c’est de faire en sorte que toutes les entreprises qui peuvent être aidées le soient. Mais pour être plus performants, nous avons créé deux systèmes particuliers. Celui pour les “Entreprises innovantes” et un autre pour les «Entreprises remarquables», celles dont le projet s’accompagne d’une dimension sociale ou écologique forte, et qui méritent un accompagnement particulier. Ce que j’aime dans le réseau, c’est la diversité des rencontres. J’ai pu découvrir quantité de profils d’entrepreneurs différents, les entrepreneurs-nés, et ceux qui le sont devenus par accident, des gens de 25 ans comme de 55. Et de voir tous ces gens plus heureux et plus épanouis grâce à l’aide que leur apporte le réseau, c’est très concret et très satisfaisant.

En mars, vous déclariez «comprendre l’angoisse» des jeunes face à la loi El-Khomri. Depuis, la contestation se poursuit, les tensions s’exacerbent : quel est votre regard sur la situation sociale aujourd’hui ?

Bien sûr que je comprends l’angoisse des jeunes d’aujourd’hui. Les gens de ma génération étaient sûrs de trouver un emploi rapidement ; il y avait trente fois moins de chômeurs qu’aujourd’hui ! Donc je comprends la frustration de ceux qui mettent des mois à décrocher un emploi, ou qui sont coincés entre les petits boulots et les CDD… Ils ne comprennent pas pourquoi ça tombe sur eux, et c’est légitime. Concernant la situation en France, j’ai envie de croire que ça va mieux. Le climat social va s’apaiser, je l’espère. La France s’est toujours réformée par secousses, et nous traversons l’une d’entre elles. Concernant le texte, je ne suis pas pour la baisse de la protection des salariés, et je pense que la stabilité et la simplicité sont très importantes. Mais question simplicité, on a encore de la marge.

Vous êtes également commissaire général à l’investissement. Où en est-on des programmes d’investissement d’avenir ?

Deux programmes ont été réalisés, pour 38 milliards d’euros sur les 47 qui étaient annoncés. Le troisième volet du programme investissement d’avenir devrait être soumis au Parlement cette année. Ce sont 10 milliards qui doivent être investis dans l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation, pour des projets comme l’Idex pour lequel Lille n’a malheureusement pas été retenue, mais j’espère qu’une nouvelle candidature va être déposée. Le cahier des charges est très pointu, on n’aide que les dossiers excellents, être bon ne suffit pas ! Et nous n’aidons que les projets innovants, avec une grande attention portée sur la coopération. En France, nous avons beaucoup d’excellents chercheurs, mais les gens ne travaillent pas assez ensemble. Il y a trop de clivages entre les universités et les grandes écoles, la recherche publique et la recherche privée, les grandes entreprises et les plus petites… Nous sommes trop individualistes, et pour peser dans le match mondial, il faut s’entraider. L’un des rôles du PIA, c’est d’encourager la coopération et faire en sorte que les Français jouent enfin en équipe.