Green IT : les enjeux écologiques du numérique
Au cours d’un petit-déjeuner débat, organisé le 27 février à Paris, par la Fondation Mines-Télécom, dans le cadre de son cycle de veille «numérique durable», Fabrice Flipo, professeur de philosophie des sciences et techniques, rattaché au Laboratoire du Changement social et politique de l’Université Paris 7, a présenté une analyse très complète des enjeux liés à l’impact du numérique sur l’environnement. Éclairage.
Pour évaluer l’empreinte environnementale du numérique, il convient de mesurer à la fois la consommation énergétique de cette activité, sa consommation de matières premières et les émissions à effet de serre qu’elle génère, a expliqué le philosophe et enseignant-chercheur Fabrice Flipo.
Consommation d’énergie : en hausse continue
En ce qui concerne la consommation d’énergie, on observe une augmentation continue et soutenue liée à la hausse du trafic et à celle de la puissance de calcul appelée. Une tendance alimentée «par une économie de plus en plus digitalisée» et qui devrait s’accentuer «avec le déploiement de la 5G», a-t-il précisé. Selon un rapport du Conseil général de l’économie publié en décembre 2019, le numérique absorbe actuellement 8 % de la consommation électrique nationale. Un chiffre auquel il conviendrait ajouter «l’énergie consommée par la fabrication» des équipements informatiques et de téléphonie, non prise en compte dans ce rapport, car ces derniers «ne sont pas fabriqués en France», a-t-il souligné.
Matières premières et déchets : une économie peu circulaire
Pour ce qui est de la consommation de matières premières, «le numérique est une industrie extractive majeure qui a un impact sur les activités minières mondiales», a expliqué Fabrice Flipo. Aujourd’hui, 10 % de l’énergie mondiale est investie dans l’extraction minière et les industries du numérique utilisent des matières premières dites critiques (telles que l’indium, le germanium, le cuivre ou les terres rares) «difficilement substituables» et dont «le recyclage est très faible». Qui plus est, «40 % des déchets de l’économie numérique disparaissent, on ne sait pas ce qu’ils deviennent», a ajouté le chercheur, en rappelant la force influence de mafias dans l’industrie des déchets.
Émissions de gaz à effet de serre : l’effet rebond joue à plein
De même, les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les activités numériques enregistrent une hausse continue : «trente ans de numérisation de l’économie, 30 ans de croissance des émissions de gaz à effet de serre», a-t-il résumé. Une tendance qui s’explique en partie par ce que les économistes appellent «l’effet rebond» : le fait que les gains en efficacité et en productivité permettant de réaliser des économies sont réinvesties pour produire et consommer plus, annulant tous les efforts tendant vers la sobriété. Autre constat dressé par Fabrice Flipo : «on peut aussi se demander si l’investissement dans le numérique n’induit pas un sous-investissement dans d’autres secteurs, tels que l’agriculture, notamment».
Des mesures radicales pour aller vers un numérique durable
Pour réduire et limiter l’empreinte environnementale du numérique, «il faut faire l’inverse de ce que veut faire l’industrie», a-t-il lancé : «ne pas déployer la 5G et aller vers la low tech», «limiter le recours à l’intelligence artificielle, qui consomme énormément d’énergie», «réorienter les investissements vers les vraies priorités de la transition écologique et du social». Ou encore, «développer le recyclage au sein de cette économie peu circulaire, et notamment, celui des métaux critiques» et «impliquer les associations spécialisées en matière environnementale au sein des éco-organismes » (sociétés détenues par les producteurs et distributeurs en charge, dans chaque filière, de la fin de vie des équipements qu’ils mettent sur le marché). L’expert plaide également pour une amélioration du niveau général d’éducation sur les questions écologiques. Quid des gestes individuels en matière d’écologie ? «Il ne faut pas être béat sur l’échelle individuelle (…), on évalue l’impact des actions individuelles à moins de 20%. (…) Ce qu’il faut, c’est une approche systémique avec des politiques qui ont un impact sur les infrastructures». Autant de recommandations qui vont totalement à l’encontre de l’injonction actuelle au tout numérique et à contre-courant du discours porté par la «start-up Nation».
Miren LARTIGUE